Pendant plus de 25 ans, Jacques Duez, professeur de morale dans plusieurs écoles de la région du centre, a mené une expérience pour le moins unique avec sesélèves : filmer ceux-ci alors qu’ils s’exprimaient à propos de sujets tantôt sérieux tantôt plus fantaisistes. Aujourd’hui à la retraite, l’homme nes’est pourtant pas assagi puisqu’il vient de présenter son nouveau DVD dans le cadre de la journée d’étude « Des enfants qui ont beaucoup à dire »(organisée le 20 novembre 2007 par l’Observatoire de l’Enfance, de la Jeunesse et de l’Aide à la Jeunesse 1). Intitulé Les Temps des enfants,celui-ci prouve, s’il le fallait encore, que les plus petits en ont dans la cervelle. Il suffit de les écouter…
On ne présente plus Jacques Duez. Devenu célèbre grâce à sa série de documentaires (Journal de classe) diffusée sur la RTBF, l’ancienprofesseur aurait pu goûter aux joies d’une retraite bien méritée. Il faut croire cependant que l’appel de la caméra était trop fort puisque, reprenant le colliersuite aux sollicitations de Gentile Manni (chercheure au département Éducation et Formation de l’Université de Liège 2) et de la Communautéfrançaise 3, Jacques Duez vient de compiler une série de huit nouvelles séquences centrées sur la perception du temps par les enfants. Issus d’archives oufilmés spécialement pour l’occasion, ces documents de 11 à 20 minutes chacun forment, une fois regroupés, un témoignage pour le moins fascinant de lavivacité d’esprit de ceux que l’on a, un peu trop souvent, tendance à cantonner dans le rôle d’éduqués, alors qu’il semble clair que le costume d’éducateurpeut leur aller comme un gant si on leur donne la chance de l’endosser. « Il ne s’agissait pas de faire une recherche scientifique mais plutôt d’écouter le point de vue dedifférents enfants à propos de thématiques comme la lenteur en classe, l’ennui à l’école, à la maison ou encore le passage à l’âge adulte nousdit ainsi Jacques Duez à ce propos. Ces thématiques ont bien sûr déjà été abordées par une floppée d’études en tous genres. Maiselles parlaient toutes à la place des enfants. Ici, dans notre cas, il s’agissait de donner la parole aux bambins… »
Une vision positive de l’ennui
Aussi, à l’écoute de ces témoignages, c’est l’impression d’ennui qui frappe le plus, tant les enfants semblent attendre et s’embêter, que ce soit à l’écoleou à la maison. « Ce n’est pas forcément une mauvaise chose continue Jacques Duez. À l’heure actuelle, dès qu’un enfant n’a rien à faire, on panique, on leprend en charge et l’on tombe dans l’occupation à outrance. Or, l’ennui peut permettre aux enfants de s’arrêter, de réfléchir, de créer de lasingularité… Malheureusement, à l’heure actuelle, on est dans le culte de la vitesse, de l’efficacité et l’on projette ces fixations sur les enfants en s’imaginant quec’est bon pour eux. Moi je pense plutôt qu’il faut être leurs partenaires et écouter ce qu’ils ont à nous dire à ce propos. ».
Et de fait, il suffit de jeter un œil sur la séquence Éloge de la lenteur pour se rendre compte qu’il y aurait tout intérêt à calmer le tempo.Les douze petites minutes de film nous montrent ainsi les témoignages de deux enfants en proie à de sérieuses difficultés pour suivre le rythme des leçonsdispensées au sein de leur classe. « J’aime mieux être lente pour bien apprendre, ce n’est pas parce que je suis lente que je travaille moins bien que les autres… affirme ainsiAlexandra dans la séquence. Si le professeur veut qu’on se rattrape, il n’a qu’à nous laisser un peu plus de temps, sinon on ne sera jamais en ordre… » Et de renchérir:« Si le rythme va toujours vite, c’est normal que l’on se sente abandonné… ». Un sentiment d’abandon confirmé par son compagnon de classe : « Il y en a25 qui sont vraiment rapides, qu’est ce qu’on peut faire à ça? Nous, on est que deux, on va nous laisser abandonnés. Moi, je m’en fous, j’essaye tout le temps de me rattraper,tout le temps… ».
Dures, ces phrases montrent qu’il est peut-être temps d’offrir aux plus petits l’occasion de s’exprimer sur ces sujets qui les touchent de près ; de changer, aussi, le regardque l’on porte sur eux : « Quelquefois, c’est le regard que l’on porte sur quelqu’un qui est le plus important, conclut Jacques Duez. Dans la dernière séquence, intituléeEnfant mon ancêtre, j’ai filmé Frédéric, la vingtaine aujourd’hui. J’avais déjà eu la chance de tourner avec lui lorsqu’il avait 7 ans. J’aimontré ces images au Frédéric d’aujourd’hui, ce témoignage sur l’enfant qu’il était. Cela a bouleversé sa vie. Son parcours jusque-là n’avait pasété facile et le fait de voir ces images de lui enfant, exprimant ses rêves avec une grande intelligence et une grande sensibilité, a constitué un véritableélectrochoc. Il était loin d’avoir atteint ses rêves d’enfant, il les avait oubliés… Cela l’a poussé à se bouger, lui a redonné confiance en sespropres capacités. Mais mieux encore, son employeur a également vu ces images et a décidé, suite à cela, de lui confier plus de responsabilités. Ces imagesavaient changé sa manière de voir Frédéric… »…
1. Observatoire de l’Enfance, de la Jeunesse et de l’Aide à la Jeunesse, Secrétariat général
– adresse : ministère de la Communauté française de Belgique, bd Léopold II, 44 à 1080 Bruxelles
– tél. : 02 413 37 65 ou 02 413 36 27
– courriel : observatoire.enfance-jeunesse@cfwb.be
– site : www.oejaj.cfwb.be
2. Département « Éducation et formation » de l’Université de Liège :
– adresse : bd du Rectorat, 5 (B32) à 4000 Liège
– tél. : 04 366 20 95.
3. Secrétariat général, ministère de la Communauté française de Belgique :
– adresse : bd Léopold II, 44 à 1080 Bruxelles
– tél. : 02 413 37 65 ou 02 413 36 27
– site : www.cfwb.be