Le secteur réclame depuis longtemps un parcours d’intégration pour les primo-arrivants. Les gouvernements de la Région wallonne, de la Communauté française et dela Cocof viennent d’adopter une note qui pose les bases d’une telle politique.
En Flandre, depuis 2004, tous les migrants nouvellement établis sur le territoire doivent s’engager à suivre un parcours d’intégration comportant des cours denéerlandais, un volet insertion socioprofessionnelle et un module d’intégration civique. Chaque primo-arrivant se voit désigner une personne de référence, letrajectbegeleider, pour l’accompagner sur ce chemin.
Cette politique flamande d’« inburgering » a fait couler beaucoup d’encre du côté francophone. A tort ou à raison, on l’a taxée de vouloir produire de« bons citoyens flamands » sans tenir compte de la dimension interculturelle. Mais, au-delà des débats d’opinion, la majorité du monde associatif et politiques’accorde sur la nécessité de mettre en place une politique intégrée d’accueil des primo-arrivants.
Une étape importante vient d’être franchie dans ce sens. Sept ans après le décret flamand, les gouvernements de la Région wallonne, de la Communautéfrançaise et de la Cocof viennent d’adopter une note portant sur la mise en place « d’un parcours pour l’accueil des primo-arrivants à Bruxelles et en Wallonie».
Actuellement, beaucoup d’initiatives sont prises à destination des primo-arrivants. Il suffit de taper « module citoyenneté » dans un moteur de recherche pours’en convaincre. Les réponses fusent. « En Wallonie, tout le monde peut s’instituer service social d’accompagnement. Il y a pas mal d’associations de migrantsqui, du jour au lendemain, décident de mettre en place des cours de français, de citoyenneté, etc., sans avoir forcément l’expérience et lescompétences pour le faire. On attendait depuis longtemps une prise de position de la Région par rapport à la qualité des projets et leur cohérence », seréjouit Jean-Michel Heuskin, président du centre d’intégration de Liège et directeur du Centre régional pour l’intégration des personnes issues del’immigration de Liège (Cripel)1.
« Ce qui manque, c’est un fil conducteur. Il faut un minimum de modélisation entre les opérateurs et entre les entités fédérées pour permettre,par exemple, qu’un migrant puisse suivre un cours de langues à un endroit et le module suivant à un autre, avec une cohérence entre les niveaux », insiste pour sapart la directrice du Centre d’action interculturelle de Namur, Benoîte Dessicy2.
Citoyenneté, éducation permanente et cohésion sociale
Être citoyen ne se résume pas à trier correctement ses poubelles et à respecter le code de la route. Au Cire, on plaide pour que le parcours d’intégrationà venir se base sur le modèle de l’éducation permanente. « L’objectif doit être de donner les outils aux migrants pour devenir des citoyens actifs etémancipés. De leur donner les clés leur permettant de comprendre notre société et de leur donner à réfléchir. Certainement pas de leur dictercomment ils doivent se comporter », plaide Fred Mawet, la directrice du Cire3.
En Wallonie, c’est la cohésion sociale qui est prise comme exemple par les centres d’intégration. « On doit mettre en place des modules citoyenneté avec unelogique d’approche interculturelle. Le but n’est pas seulement d’expliquer comment fonctionne l’Etat belge », avance Jean-Michel Heuskin, du Cripel.
Parcours non obligé
La note d’intention de la Région wallonne, de la Communauté française et de la Cocof assure que le parcours d’intégration se fera « sur une basevolontaire ». Tout au plus, des incitants seront éventuellement prévus.
En Flandre, les primo-arrivants qui refusent de suivre le parcours d’intégration sont passibles d’une amende. À Bruxelles toutefois, l’inburgering n’est pas obligatoire.Non pour des raisons philosophiques, mais juridiques. Imposer ce parcours d’intégration reviendrait à obliger des habitants de la capitale à choisir l’une des deux languesnationales.
Vu du côté francophone, le caractère obligatoire de l’inburgering est sans doute un des aspects qui a suscité le plus de réticences. « Il y a desobligations qui sont positives, comme l’obligation scolaire ou l’obligation de voter », modère toutefois Frédérique Mawet, la directrice du Cire. « EnFlandre, le discours politique justifie cette obligation par la volonté de vouloir toucher tout le monde. C’est aussi un projet intégré. Ceux qui s’inscrivent dans leparcours doivent suivre les trois volets [NDLR langue, insertion socioprofessionnelle, citoyenneté]. Souvent, les migrants veulent de l’aide pour trouver un emploi et apprendre lalangue. Mais ne jugent pas le module citoyenneté important. Ce n’est qu’a posteriori qu’ils se rendent compte de son utilité », observe également Nathaliede Wergifosse, responsable du secteur intégration au Cire.
La polémique pourrait s’arrêter là puisque la note francophone n’impose aucune obligation. Mais, craignent certains acteurs, le spectre du contrôle n’estjamais totalement éloigné. « Si on veut un outil d’évaluation du parcours, il faudra instaurer une traçabilité du suivi de la personne et desétapes. Le risque, c’est que cette traçabilité soit un jour utilisée pour sanctionner », s’inquiète Jean-Michel Heuskin. « Un peu comme avecle plan d’accompagnement des chômeurs », compare Chantal Gosseau, présidente du Centre régional d’intégrations de Charleroi (CRIC)4.
Concertation à tous les étages
Une politique intégrée d’accueil des primo-arrivants ne doit pas seulement assurer la cohérence entre les différentes initiatives sur le terrain, mais aussi entreles différents niveaux de pouvoir. Si la note le mentionne, les acteurs concernés n’ont pas manqué de le rappeler.
Créer un parcours d’intégration, c’est une chose. Mais, fait-on valoir du côté des centres régionaux d’intégration, cela restera insuffisant sil’on ne crée pas des liens avec l’enseignement, si les barrières à la reconnaissance des diplômes persistent, etc. Sensibiliser les demandeurs d’asile dans lescentres d’accueil fédéraux et les initiatives locales d’accueil serait également pertinent. « Un parcours d’intégration comme celui-ci ne peuts’inscrire que dans
une transversalité totale des niveaux de pouvoirs », plaide Jean-Michel Heuskin.
A Bruxelles, où 40 % des modules citoyenneté du Brussels onthaalbureau voor mensen van andere origine (BON) sont donnés en français, il faut également tenircompte de la dimension linguistique. « Pour une question de cohérence et d’égalité de traitement, il faut veiller à s’adresser de la mêmefaçon aux personnes qui arrivent via des dispositifs francophones ou néerlandophones et quelles que soit la commune dans laquelle elles s’inscrivent », souligne Fred Mawet.À cet égard, on peut se demander si la Cocom n’aurait pas pu jouer un rôle dans le parcours qui va se mettre en place.
Quelle porte d’entrée ?
En Flandre, huit bureaux d’accueil sont agréés dans le cadre du parcours d’intégration (Anvers, Gand, Bruxelles et les cinq provinces flamandes). Bien plus qu’un guichetd’information et d’orientation, ce sont véritablement des lieux de référence qui encadrent le dispositif. A Bruxelles, le travail des trois antennes du BON est souventcité comme un exemple à suivre par les acteurs du secteur.
En Wallonie, les avis divergent. « On ne peut pas comparer Bruxelles et la Wallonie, ne fût-ce que pour des raisons géographiques. Quand cinq familles de migrants vivent dansune petite entité, créer un bureau d’accueil local n’a pas beaucoup de sens. Et si le bureau est trop loin, je ne sais pas qui va le fréquenter », remarque ladirectrice du CAI de Namur. Pour les centres régionaux d’intégration, chaque opérateur doit pouvoir être une porte d’entrée dans le dispositif, avec un rôleprivilégié pour les communes. « Toute personne qui arrive sur un territoire doit s’inscrire à la commune. L’idée serait d’utiliser ce premier passage pourétablir un recensement et réorienter les personnes vers l’étape suivante. Il faut intégrer l’Etat civil dans le réseau global. Cela se fait déjàde manière artisanale, il faut le rendre automatique », propose Jean-Michel Heuskin. Pour renforcer le lien avec les communes, les centres régionaux d’intégration plaidentaussi pour que la future politique d’intégration des primo-arrivants s’intègre aux plans de cohésion sociale.
Et après ?
En sept pages, la note de la Région wallonne, de la Communauté française et de la Cocof jette les bases d’une politique d’accueil des primo-arrivants. Ce document doit encorefaire l’objet d’un long chemin institutionnel, être traduit en accord de coopération, en décret(s)… Chaque entité fédérée risque de le mettre enœuvre à sa sauce. Les acteurs de terrain y ajouteront sans doute leur grain de sel.
Notre boule de cristal ne nous a pas révélé à quoi ressemblerait précisément la future politique d’intégration intégrée.Certains points de la note portent d’ores et déjà sur des éléments précis. On sait, par exemple, que le parcours d’intégration s’appuiera sur un voletapprentissage du français, citoyenneté et orientation professionnelle. Répondant au souhait de l’associatif, le public cible a été défini sur une large base.Ce parcours s’adresse aux « personnes étrangères – dans le cadre d’un contrat de travail, d’un regroupement familial ou d’études – demandeurs d’asile,réfugiés, mineurs non accompagnés et aux personnes qui ont demandé un titre de séjour » du où elles « ne disposent pas d’un titre deséjour depuis plus de trois ans ». Le rôle central des CPAS et des communes est également reconnu.
Restent encore des questions à creuser. Quelle forme exactement prendra le bureau d’accueil évoqué ? Comment s’articulera-t-il avec les dispositifs existants ? Querecouvriront exactement les modules citoyenneté ? Dans quel esprit seront-ils donnés ? Dans quelles langues l’accueil sera-t-il organisé ? Comment le dispositif sera-t-ilévalué ?
Autre point d’interrogation, c’est la question des sous. Dans un contexte où l’on sait que la marge de manœuvre budgétaire n’est pas illimitée, l’enjeudu parcours d’intégration est de mieux utiliser les moyens existants. Reste que « la coordination nécessite du temps, et que ce temps il faudra le comptabiliser »,résume Benoîte Dessicy, du CAI Namur.
La question parlementaire
Ce 18 mai, Sophie Perciaux, parlementaire socialiste, interpellait la ministre de l’Action sociale en séance plénière du parlement wallon, notamment à propos dudélai de formalisation prévu. « Chacun des trois gouvernements a chargé ses mandataires de revenir dans les prochains mois avec un projet de protocole d’accord. En tant quereprésentant du gouvernement wallon, je ne manquerai pas d’établir ce projet dans les meilleurs délais », a promis Eliane Tillieux.
Elle a par ailleurs confirmé le caractère volontaire du parcours. « Il n’y a pas d’obligation de remplir, l’une après l’autre, chaque étape de ce parcours. Il s’agitavant tout d’offrir des possibilités permettant notamment de mieux connaître nos institutions, de proposer des tests de français visant à orienter les personnes versl’offre de formation la plus adéquate (…) ou encore de proposer une aide dans les démarches administratives ou d’ordre scolaire. »
La ministre n’a en revanche pas répondu à la question de Sophie Perciaux concernant le budget.
1. Cripel :
– adresse : place Xavier Neujean, 19B à 4000 Liège
– tél. : 04 220 01 20
– courriel : secretariat@cripel.be
– site : www.cripel.be
2. CAI Namur :
– adresse : rue du Docteur Haibe, 2 à 5002 Saint-Servais
– tél. : 081 73 71 76
– site : www.cainamur.be
3. CIRE :
– adresse : rue du Vivier, 80/82 à 1050 Burxelles
– tél. : 02 629 77 10
– courriel : cire@cire.be
– site : www.cire.be
4. CRIC :
– adresse : rue Hanoteau, 23 à 6060 Gilly
– tél. : 071 20 98 60
– courriel : info@cricharleroi.be
– site : www.cricharleroi.be