Après 30 ans de revendications, les accueillantes à domicile vont enfin obtenir un statut social. Un projet pilote va en tout cas dans ce sens en Fédération Wallonie-Bruxelles. Une vraie victoire pour le secteur de la petite enfance qui voit là le signe d’une revalorisation du métier.
Chaque année, 10.000 bambins de 0 à 3 ans côtoient des lieux d’accueil à domicile. Les accueillantes conventionnées1 – l’emploi du féminin s’impose dans un secteur où les hommes font figure d’exception – sont environ 2.550 à exercer cette profession dans la partie francophone du pays. Dix heures par jour, cinq jours par semaine. Sans compter le temps consacré au nettoyage, aux courses, à la préparation des repas… Si le nombre d’enfants par accueillante varie, il ne peut excéder quatre enfants équivalents temps pleins cinq enfants accueillis par jour et un total de huit enfants inscrits.
Pour gérer l’offre et la demande de places, les aspects administratifs et financiers, on peut compter sur les SAC, les Services d’accueillantes conventionnées. Agréés et subsidiés par l’Office de la Naissance et de l’Enfance (ONE), ces services sont soit privés (asbl), soit publics (communes, intercommunales, CPAS). Chaque accueillante signe une convention avec l’un de ces services, qui l’encadre dans l’exercice de son métier. Une fois par mois, un assistant social du service effectue une visite dans le milieu d’accueil, pour discuter, échanger, faire le point. C’est le service, aussi, qui facture aux parents (en fonction de leurs revenus et des barèmes ONE) et paie les accueillantes.
Les accueillantes ne perçoivent pas un salaire mais une «indemnité». Elles sont payées pour l’accueil des enfants présents. Une rémunération aléatoire, surtout si une place reste inoccupée. En cas d’absence d’un enfant (maladie, congés), une petite compensation financière leur est versée. Aux congés non payés s’ajoutent deux journées de formation continue obligatoires par an, tantôt non rémunérées, tantôt défrayées, selon les services. Du coup, pour les accueillantes, certains mois sont difficiles à boucler.
Ces professionnelles de la petite enfance bénéficient d’un maigre statut social. Elles sont en quelque sorte considérées comme des bénévoles percevant une indemnité de frais et ayant droit à quelques avantages (pension, assurance de soins de santé, allocations familiales) obtenus par un filet social en 2003.
Pas étonnant, donc, que le secteur de la petite enfance milite depuis plus de 30 ans pour que la situation change! Mais cette fois, ça y est: un statut est sur les rails.
Les accueillantes sont aujourd’hui considérées comme des bénévoles percevant une indemnité de frais.
Départ encourageant
Pour l’heure, il s’agit surtout d’un projet pilote sur deux ans (2018-2019) visant à amorcer le passage des accueillantes conventionnées au statut de salariées travaillant à domicile. Avalisé et financé par le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, ce projet est le fruit d’une concertation entre le cabinet de la ministre de l’Enfance Alda Greoli (cdH) et une plateforme réunissant partenaires sociaux et acteurs du secteur. «Un travail de co-construction, pour poser les balises budgétaires et les sécurités juridiques suffisantes», résume Eddy Gilson, responsable de la Direction Accueil Petite Enfance de l’ONE.
Cette phase de test devrait permettre à 400 accueillantes en activité depuis au moins cinq ans (200 en 2018, 200 en 2019) et à 200 nouvelles accueillantes de prendre le train en marche. Concrètement, ce statut flambant neuf signifie un salaire fixe d’environ 2.000 euros brut par mois – le financement servira à compenser l’écart éventuel entre les montants générés par les prestations et le salaire fixe –, des congés payés, l’accès au chômage, au congé parental, à la pension… La formation continue entrera dans la case journée de travail rémunéré. Quant aux SAC, ils endosseront la casquette d’employeurs.
Quid à terme?
Pour que les accueillantes accèdent à ce statut, l’ONE a lancé un appel à candidatures, proposant un quota à chaque service. Les retours sont encourageants. Pour les accueillantes déjà en activité, 700 dossiers se bousculent au portillon. «Même si le quota des services est dépassé, il nous semble important que les accueillantes intéressées introduisent leur candidature, poursuit Eddy Gislon. Cela nous permet de voir si ce qu’on a proposé répond réellement à une attente et, de ce point de vue là, on est satisfait.» Début mai, les premiers contrats de travail ont d’ailleurs été signés avec une poignée d’accueillantes.
Une phase d’évaluation et d’ajustement clôturera le projet pilote. Et après? Selon le responsable de l’ONE, «la trajectoire et les accords budgétaires sont déjà tracés, mais il y a toujours la logique de réserve budgétaire. Il faudra donc que ce soit confirmé par le gouvernement suivant».
Même s’il est difficile d’obtenir des garanties, Aurélie Gaziaux, de la Coordination des services d’accueillantes conventionnées de la Fédération Wallonie-Bruxelles (COSEGE), se dit optimiste pour la suite. «Il y aura certainement des choses à adapter, mais, à partir du moment où ce projet fonctionne, il sera compliqué de faire marche arrière. L’idée est qu’à terme, toutes les accueillantes puissent accéder au statut, tout en leur laissant le temps d’y réfléchir, de bien comprendre le processus et d’y mesurer l’intérêt.»
Petit bémol encore à l’analyse: le co-accueil. Ce système permet aux accueillantes d’exercer leur métier à deux, au domicile de l’une d’elles ou dans un local mis à disposition (par la commune, par exemple). Or, le statut social tel que conçu actuellement pour l’accueil à domicile ne colle pas avec une situation de mise à disposition de locaux. Dans l’attente d’une réponse juridique, les co-accueillantes restent, pour l’instant, sur le carreau.
Ce statut flambant neuf signifie un salaire fixe d’environ 2.000 euros brut par mois, des congés payés, l’accès à la pension…
Formation de qualité
L’enjeu du statut en a soulevé d’autres. Celui de la formation de base, notamment. Désormais, pour lancer leur activité tout en accédant au statut, les nouvelles accueillantes devront détenir un diplôme en puériculture ou assimilé. Une bonne chose pour la COSEGE: «Certaines formations courtes sont insuffisantes, souligne Aurélie Gaziaux. Le métier d’accueillante ne se limite pas aux soins apportés à l’enfant. Il y a aussi la relation avec les parents, le positionnement professionnel…»
Même son de cloche du côté du Fraje, une association qui propose des formations continues aux professionnels de l’accueil de l’enfance. Claudia Arce Rocha, psychologue et formatrice: «S’occuper des tout-petits, c’est un métier qui demande un investissement affectif important, il faut se former pour répondre aux besoins des enfants et des familles. Les formations, de base et continue, permettent entre autres de prendre le recul nécessaire pour travailler en partenariat avec les parents. C’est donc essentiel que la question du diplôme suive celle du statut.»
Vers une revalorisation
Pour Sandrine Ballaux, directrice du Centre régional de la petite enfance à Verviers, ce statut, c’est l’assurance d’une stabilité pour les accueillantes. «Aujourd’hui, il y a une rotation de personnel importante dans le métier. Il y a une fatigue physique due au travail, mais aussi une fatigue mentale. Ce qui est usant, c’est la pression de ne pas avoir suffisamment d’enfants pour pouvoir vivre correctement. Avec le nouveau statut, si un enfant manque ou est absent, les accueillantes travailleront plus ‘light’ pendant ce temps-là sans conséquence sur leur rémunération. Le statut va amener plus de stabilité et de souplesse. Il va aussi améliorer la qualité de l’accueil.»
Effet boule de neige, le quotidien des accueillantes devrait évoluer à bien des égards. «Elles y gagnent en stabilité financière et donc en autonomie en tant que personnes, explique Aurélie Gaziaux. Par ailleurs, comme elles disposeront d’un contrat, elles ne seront plus à charge de leur époux ou de leur compagnon, comme c’est le cas actuellement. Elles y gagnent en droits individuels.»
Derrière ce statut se trame une réelle volonté de revalorisation du métier. Pour pallier un recrutement en perte de vitesse. Pour maintenir, aussi, la diversité de l’accueil. «Dans certaines zones rurales, il n’est pas nécessaire d’ouvrir des crèches collectives, souligne Eddy Gilson. Et certains parents préfèrent un accueil familial.»
Pour le responsable de l’ONE, le statut est un «premier signal important, qui monte qu’on réinvestit dans le secteur de l’accueil de la petite enfance. Pas seulement en termes de places d’accueil, mais aussi dans les travailleurs du secteur et donc dans la qualité. Ces investissements ont un impact social, éducatif, santé, sur la longue durée». Aurélie Gaziaux le martèle elle aussi: «Investir dans la petite enfance, c’est donner le meilleur possible aux adultes de demain.»
- Les accueillantes « conventionnées » sont à distinguer des accueillantes « autonomes » qui, elles, disposent du statut social d’indépendant. Elles sont donc leur propre patron, gèrent les aspects administratifs, fixent leurs propres barèmes…