Soutien scolaire, épicerie solidaire, aide juridique: l’engagement citoyen des étudiants croît et se diversifie. S’il est de l’avis général «un plus sur le CV», il reste peu valorisé sur le plan académique. À tort?
Pendant trois ans, alors qu’elle était bachelière en histoire de l’art, Lulendo Dikenda a fait du soutien scolaire au sein de plusieurs établissements bruxellois. Par conviction. Pour donner à son tour ce qu’elle avait reçu. «Quand j’étais en secondaire, j’ai eu des tuteurs. Ils avaient une fraîcheur, une proximité avec nous qui m’ont surtout aidée au niveau de la confiance en moi et de la gestion du stress», explique-t-elle. Défrayée 10 euros de l’heure par l’asbl Schola ULB, qui chapeaute ce programme Tutorat, Lulendo était aussi convaincue que cette activité «citoyenne» pourrait lui servir un jour. «Les études, c’est le moment où l’on peut faire ce genre d’expériences, ces rencontres tournées vers l’humain. C’est une bonne manière de ne pas rester dans un rôle trop scolaire, qui consisterait à restituer la matière de manière robotique. Il ne faut pas se le cacher: dans la société actuelle, ce genre d’expériences fait vraiment la différence sur le CV.» Lulendo parle en connaissance de cause: en parallèle de son master en cours du soir, elle est aujourd’hui professeure de néerlandais dans une école secondaire. «Si j’ai été engagée un mois seulement après la fin de mon bachelier, c’est bien sûr parce que je parlais néerlandais, mais aussi parce que j’avais cette expérience dans l’enseignement.»
Tutorat
Le programme Tutorat de Schola ULB a été mis en place il y a 25 ans dans l’optique d’accroître l’égalité des chances dans le milieu scolaire: à Bruxelles, une école secondaire sur quatre bénéficie aujourd’hui du programme, avec quelque 200 étudiants-tuteurs actifs chaque semestre. Peu connues du grand public, des initiatives similaires existent pourtant au sein de l’Université de Namur (en collaboration avec l’UCL), de la VUB (Vrije Universiteit Brussel) et de l’Université d’Anvers. À l’occasion d’un colloque qui s’est tenu à Bruxelles le 6 février dernier, ces quatre acteurs se sont réunis pour formuler leurs recommandations communes concernant l’engagement citoyen des étudiants, en présence des représentants des ministres flamand et francophone de l’enseignement supérieur, Hilde Crevits (CD&V) et Jean-Claude Marcourt (PS).
«En Belgique, des modes de reconnaissance existent ici et là, mais restent à l’initiative de l’institution.», Claire Sourdin Lainé, coordinatrice de l’asbl Schola ULB
Comme le rappelle Claire Sourdin Lainé, coordinatrice de l’asbl Schola ULB, le tutorat est en effet la forme d’engagement «la plus ancienne, la plus établie, la plus évaluée et la plus constante». Ces programmes constituent donc un bon point de départ pour réfléchir à l’impact et à la reconnaissance de l’engagement citoyen sur le campus, qui, face aux nouveaux enjeux écologiques, économiques, technologiques ou migratoires, prend aujourd’hui de multiples formes. «Rien qu’à l’ULB, nous avons une épicerie solidaire, une clinique du droit qui permet d’explorer les dossiers avant de les relayer vers un avocat, un green office qui œuvre pour un campus durable, un partenariat en télémédecine avec la République démocratique du Congo, etc.»
Engagement = crédits
La principale recommandation porte sur l’introduction d’un dispositif légal de valorisation académique des compétences acquises en tant que volontaire, que ce soit par l’octroi de crédits académiques ou par une labellisation. «Nous pensons que le terrain est mûr pour cette reconnaissance, qui est déjà une réalité depuis longtemps aux États-Unis et depuis plus récemment en France. En Belgique, des modes de reconnaissance existent ici et là, mais restent à l’initiative de l’institution», explique Claire Sourdin Lainé. À l’Université de Namur, par exemple, le programme de tutorat présente des spécificités qui ont permis de rendre effective cette valorisation: s’adressant spécifiquement aux étudiants en fin d’études secondaires, ce «tutorat de transition» orienté sur l’accès égalitaire aux études supérieures est exclusivement assuré par des étudiants d’agrégation ou de master à finalité didactique. «Les activités de tutorat entrent donc dans le cadre d’un cours à option ou sont comptabilisées comme heures de stage», explique Sarah Huygen, coordinatrice du programme.
«Nous apportons quelque chose à la société. Que cela puisse être valorisé serait une motivation supplémentaire.», Lulendo Dikenda, étudiante
«Notre ambition serait d’avoir un décret incitatif qui laisserait une marge de manœuvre à l’établissement, mais qui permettrait à l’engagement d’être promu, connu et reconnu. Il faudrait pour cela une impulsion communautaire, plaide Claire Sourdin Lainé. Nous avons mené une étude d’impact qui montre que l’engagement citoyen améliore certes l’employabilité du jeune, mais lui donne aussi confiance en lui, favorise le bien-être, les qualités d’autonomie et de leadership. Des études américaines ont d’ailleurs montré que la réussite académique des étudiants engagés était meilleure! Au niveau de l’institution, la responsabilité sociétale et environnementale des universités est aujourd’hui prise en compte dans les classements internationaux. Et puis des étudiants engagés, c’est aussi potentiellement des adultes engagés», poursuit la coordinatrice de Schola ULB, qui cite en exemple les pays d’Amérique latine où il n’est pas rare de voir des promotions entières mener des projets de recherche «à finalité sociale».
Volontaire si je peux
Valoriser académiquement un engagement a priori «désintéressé» n’est-il cependant pas paradoxal? «Je n’y vois pas de contradiction: les personnes qui s’engagent savent que c’est à la fois bon pour les autres… et bon pour eux!», estime Claire Sourdin Lainé. Pour la coordinatrice, rendre obligatoire cette reconnaissance académique – et non l’engagement lui-même – assurerait même une meilleure égalité entre les étudiants. «Si l’engagement sociétal s’inscrit dans une option, ça stimule et, en même temps, ça ne pénalise pas l’étudiant qui a besoin de travailler dix-huit heures par semaine en fast-food ou en hyper pour vivre. Car aujourd’hui, l’engagement sociétal est quelque chose qu’il faut encore pouvoir ‘se permettre’. Même s’il existe des défraiements, ce n’est pas ça qui paie un kot». Une valorisation officielle pourrait aussi venir appuyer certains dossiers: au cours du colloque, un étudiant regrettait que son engagement n’ait pas été un point fort dans sa candidature Erasmus, au contraire des «bons et loyaux services» rendus par un de ses camarades auprès d’une équipe sportive… «Nous apportons quelque chose à la société. Que cela puisse être valorisé serait une motivation supplémentaire et un argument pour ceux qui disent qu’ils n’ont pas le temps», estime de son côté Lulendo Dikenda.
Les représentants des programmes de tutorat plaident par ailleurs aujourd’hui pour un soutien financier durable, public comme privé, à l’image de celui assuré depuis 2010 par BNP Paribas Fortis, organisateur de ce colloque. Enfin, ils souhaitent améliorer la visibilité de l’ensemble de ces initiatives citoyennes, au sein et en dehors de la communauté estudiantine, par exemple par le biais d’un centre d’expertises. «L’idée, c’est de pouvoir organiser un matching entre les demandes qui nous arrivent et les initiatives qui existent, mais aussi de soutenir les étudiants porteurs de projets et de laisser la place à l’innovation», explique Claire Sourdin Lainé. Pour l’heure, les politiques semblent vouloir rester prudents, renvoyant la balle dans le camp des universités, en particulier en ce qui concerne la valorisation académique. Le plaidoyer devrait donc se poursuivre, notamment par le biais d’une toute nouvelle asbl, «L’ULB engagée». «Nous savons que le chemin est encore long, mais il faut en faire un enjeu central des prochaines élections», conclut Claire Sourdin Lainé.
En savoir plus
Alter Échos n° 333, «Clas et Das : les accrocheurs scolaires», Cédric Vallet, 2 mars 2012