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Regard critique · Justice sociale

Enquête

Dans le milieu gay, les violences sexuelles sortent du placard

Peu documentées, les agressions entre partenaires masculins sont un angle mort de la prise en charge des violences sexuelles. Des représentations stéréotypées de la virilité aux espaces de drague particulièrement propices aux agressions, en passant par le chemsex et un contexte sociétal hétéronormé… Le tabou domine.

Coline Labeeu et Charlotte Verbruggen 25-03-2025 Alter Échos n° 522
(c) Eugénie Lavenant

C’est une douce soirée d’été entre potes dans le centre de Bruxelles. Les verres de vin blanc s’enchaînent sur la table d’un bar des Halles Saint-Géry. Quand tout à coup, une notification s’affiche: «Viens me sucer, sale chienne.» C’est le message qu’un ami vient de recevoir sur Grindr, cru et accompagné d’une «dickpick» (anglicisme désignant une photo de pénis envoyée par smartphone, NDLR) non sollicitée. Il le prend avec le sourire, par habitude: «C’est comme ça sur Grindr.» Et hors des applis ça se passe comment? Il raconte que c’est pareil, la drague entre hommes non hétérosexuels est rapide et souvent trop directe. Que ce soit en soirée dans les bars gays, dans les darkrooms ou dans les saunas, les mains au cul, voire dans le caleçon sont choses courantes, parfois sans un mot ou même un «eye contact» au préalable.

Des violences décrites comme omniprésentes mais difficilement quantifiables. Le peu d’études existant au sujet des violences sexuelles dont sont victimes les personnes LGBTQIA+ concerne généralement l’ensemble des minorités. Selon l’étude UN-MENAMAIS – menée par l’Université de Gand (UGent), l’Université de Liège (ULiège) et l’Institut national de criminalistique et de criminologie (INCC) en 2021, elle s’intéresse aux chiffres et recommandations pour la prévention et la prise en charge des violences sexuelles en Belgique –, 80% des répondants LGBTQIA+ ont été exposés à une forme de violence sexuelle. Un chiffre important mais qui ne permet pas de connaître exactement le pourcentage d’hommes gays et bisexuels concernés.

Une enquête de 2023 sur les violences entre partenaires intimes non hétérosexuels menée à l’initiative de l’asbl Tels Quels, active dans la défense des droits des personnes LGBTQIA+, révèle, elle, que les hommes cisgenres (dont le genre correspond au sexe de naissance) gays sont ceux ayant vécu le plus de violences dans ce cadre. Ils sont 51% à témoigner de violences psychologiques, physiques et/ou sexuelles.

Si trouver un chiffre exact concernant spécifiquement les violences sexuelles entre hommes ayant des relations avec d’autres hommes (HSH) est compliqué, les espaces de drague, qu’ils soient virtuels ou physiques, semblent être une piste pour mieux saisir leur ampleur. Alors, qu’en est-il des attitudes et approches dans ces lieux dédiés à la séduction entre hommes?

Décoder les espaces de séduction

«Pendant l’adolescence, les jeunes gays vont être très seuls et vivre leur désir pour la personne du même sexe dans le secret», énonce d’entrée Stephen Barris, coordinateur chez Ex Aequo, une asbl de promotion de la santé auprès des hommes ayant des relations avec d’autres hommes. La fin de l’errance relationnelle et charnelle rime pour beaucoup d’homos, passé la puberté, avec la fréquentation de lieux de drague dédiés aux hommes comme les bars, les saunas ou les boîtes. «Historiquement, ces lieux ont été marqués par une hypersexualisation ainsi que par l’expérience de la transgression. Malgré une impression de liberté au premier abord, les relations y sont ultra-codées. On est soudainement catapultés de la solitude vers un milieu très sexualisé», précise Stephen Barris.

Sans éducation sentimentale et sensuelle préalable, à cause d’un manque de représentation et/ou d’une adolescence au placard, le milieu festif devient un terrain d’apprentissage où tout arrive en accéléré «au prix de se cogner la tête contre les murs». Pour Stephen Barris, il y règne notamment une culture du silence qui glamourise le mystère et le virilisme. «C’est une drague qui est basée sur la posture. Je suis plus sexy si j’ai l’air un peu méchant et que je fais la gueule.» Ce manque d’échanges et ces approches brutales ont amené Mathieu, un homme gay énergique de 26 ans, à vivre des agressions. Lunettes de soleil rose sur le nez, il se souvient en fixant le vide: «En soirée, on me touchait les fesses sans mon consentement. À un moment, un gars m’a plaqué contre le mur en me disant ‘Viens, on rentre à la maison’. Il pensait que ça allait être sexy, alors que ça m’a fait peur.»

 

Aujourd’hui, un défi principal attend les associations, les lieux de drague et ceux qui les fréquentent: «Rendre le consentement sexy», formule Stephen Barris, coordinateur chez Ex Aequo.

Sylvio*, gay et âgé de 28 ans, a lui aussi des histoires sombres à raconter. Son regard est doux, mais ses boucles d’oreilles s’agitent autant que ses boucles noires lorsqu’il revient sur son expérience des soirées gays et plus précisément des «darkrooms». Ces dernières sont de purs produits de la vie nocturne, des pièces aux lumières tamisées prévues dans certains clubs pour que les gens puissent avoir des rapports sexuels en plein cœur de la fête. «Dans ces espaces-là, je ne suis pas sûr que le consentement existe réellement.» Sylvio* y a été agressé en mai dernier pendant une soirée techno. Parti se griller une clope au fumoir, il s’est approché de la darkroom située à côté, juste par curiosité. À peine dans la zone, il raconte avoir directement été touché, à plusieurs reprises et malgré ses refus, par un homme sans que ce dernier ne lui adresse un mot. Pour Sylvio*, ce genre de situation arrive souvent: «Finalement, je me demande même si une approche adéquate et ‘safe’ existe vraiment dans les darkrooms.» En parallèle, il met en question le fait de banaliser le mélange entre soirées, substances et sexe.

Face à l’essor des pratiques comme le chemsex – associant consommation de psychotropes et rapports sexuels –, où l’accord n’est pas toujours donné en pleine conscience, Ex Aequo a lancé une campagne axée sur le consentement à destination des HSH. «Il faut conscientiser le public au fait que les personnes ont le droit de dire non. Et aussi au fait que, en tant qu’homme gay, il faut prendre soin de l’autre mais aussi de soi», approfondit Stephen Barris. De son côté, à partir de ce début mars, la Maison Arc-en-Ciel de Liège a organisé avec le Centre S cinq rencontres Chemsex & Moi pour «échanger et créer collectivement un outil de prévention», peut-on lire sur les visuels de campagne. Les associations commencent à prendre les choses en main.

La consommation de substances est une des vulnérabilités à laquelle les publics marginalisés sont plus susceptibles d’être confrontés. Pour Noah Gottlob psychologue clinicien et cofondateur d’Épicentre (un espace de santé bruxellois inclusif), cela peut être à lier à un sentiment de honte et de culpabilité face à ses propres ressentis et vécus. «Ces émotions sont induites par les discriminations vécues. Les vulnérabilités spécifiques sont le résultat des mécanismes d’oppression et de domination qui peuvent se voir intériorisés et se jouer à l’échelle de sa propre existence, de soi à soi.» À côté de ça, le psychologue tient à rappeler que les hommes cis gays bénéficient tout de même de certains privilèges au regard de l’ensemble des minorités LGBTQIA+, notamment les personnes trans.

Aujourd’hui, un défi principal attend les associations, les lieux de drague et ceux qui les fréquentent: «Rendre le consentement sexy», formule Stephen Barris. Mais ces espaces pour hommes ne sont pas les seuls à faire face à des difficultés, l’ensemble de la société a du mal à évoluer en matière de consentement, rappelle Noah Gottlob.

Au jeu des applis, échec et match pour la violence

«Avec l’apparition des applications de rencontre pour mecs, on a tous fait l’apprentissage de ce que ça voulait dire être un objet virtuel», dit Stephen Barris. Virtuellement – et particulièrement sur Grindr –, des normes discriminantes sont tout aussi présentes, si pas plus assumées avec la barrière de l’écran. «Pour avoir des matchs, il faut répondre à certains dogmes physiques, avoir un certain ‘level’. Si tu n’y réponds pas, tu ressens beaucoup de rejet comme ça a été mon cas», confie Sylvio d’une voix douce entre deux gorgées de café.

En plus des normes physiques, il faut suivre des injonctions comportementales pour augmenter son nombre de matchs. «Il y a très peu de place pour les sentiments et la tendresse», exprime tristement Bruno*. Aujourd’hui trentenaire, cet homme bi a découvert la sexualité entre hommes à travers des expériences traumatisantes une dizaine d’années plus tôt lorsqu’il était à l’université à Bruxelles. Sur les applis, une communication de chasse est donc de mise, les partenaires potentiels s’abordant avec un langage de prédateur cru et direct. Noah Gottlob décortique l’origine de ces injonctions fortement présentes dans la séduction entre hommes: «Quand on ne sait pas comment faire, notamment à cause de l’invisibilisation des rapports non hétérosexuels dans la société, il y a une plus grande vulnérabilité à se saisir des stéréotypes. On peut avoir tendance à penser qu’on doit s’adapter à ces normes de masculinité pour plaire.»

«Mes relations d’un soir ont été très violentes, accompagnées d’une notion de performance. Mes partenaires voulaient absolument me pénétrer et le faire vite pour exprimer leur virilité, mais ça me faisait juste mal», confie Mathieu. Il a essayé de faire des rencontres via ces plateformes, mais ces méthodes de séduction ne lui convenaient pas: «Tu reçois des photos de bite et de cul sans consentement, il y a beaucoup de violence et de nudité.» Une fois l’étape de la discussion passée, place à la rencontre où la violence n’est pas moins présente. «Il n’y a pas d’espace pour la communication bienveillante pendant les rapports. Quand je posais des questions pendant l’acte, on me disait que j’étais bizarre.»

«Quand on ne sait pas comment faire, notamment à cause de l’invisibilisation des rapports non hétérosexuels dans la société, il y a une plus grande vulnérabilité à se saisir des stéréotypes. On peut avoir tendance à penser qu’on doit s’adapter à ces normes de masculinité pour plaire.»

Noah Gottlob psychologue clinicien et cofondateur d’Épicentre

Stephen Barris rejoint l’avis de Mathieu, il décrit les échanges via ces applications comme «très directs et pourtant tellement silencieux». Difficile donc de respecter les limites et envies de la personne sans communication ou instructions. Il dénonce une sorte de contrat tacite qui accompagne la création d’un profil sur ces plateformes. Le rejet de la sexualité est vite décrédibilisé: «Si tu refuses un rapport, on va te dire que pourtant ‘tu sais pourquoi tu es venu’.» Cependant, même si on ne sait pas sur qui on peut  tomber, ces sites de rencontre dédiés aux hommes non hétérosexuels restent, au même titre que les lieux de drague, une voie d’accès pour certains à une sexualité désirée. «Je ne crois pas qu’il faille bannir ces voies d’exploration là, mais il faut faire preuve d’une grande prudence dans leur utilisation», précise le psychologue Noah Gottlob.

Bruno*, Mathieu et Sylvio* ont essayé de s’adapter aux codes de séduction souhaitant se sentir légitimes et acceptés dans leur sexualité. Malheureusement, ils en retiennent une période de rejet et de solitude. Mathieu a essayé de conscientiser certains autres homosexuels par rapport à ces modes de séduction qu’il trouve problématiques; même s’ils étaient plutôt d’accord, ceux-ci ne voyaient pas d’issue. «Comme tu es sexualisé, tu te sens attirant. Tu te sens obligé d’être dans ces jeux-là pour te sentir valide en tant que gay», explique-t-il, énervé. Traumatisé et dégoûté des hommes cisgenres, son corps a fini par rejeter toute forme de sexualité pendant trois ans.

Une homophobie écrasante

Le rejet de sa sexualité et d’une partie de son identité peut être renforcé par un contexte sociétal où l’homophobie reste présente. «Il y a tellement de violences qui résultent de la sexualité gay. On les subit puis, quand on n’a pas encore géré l’homophobie intégrée, on va nous-mêmes être violents avec nos partenaires», témoigne Mathieu. Le psychologue Noah Gottlob désigne l’homophobie (au même titre que toute autre LGBTQIA+-phobie) – en tant que système de domination sur une minorité de personnes – comme «un terreau très fertile pour la violence et certainement pour les violences sexuelles.» Il ajoute que la reproduction de ces violences de manière intracommunautaire est, en fait, la continuité de mécanismes d’oppression au niveau sociétal.

(c) Eugénie Lavenant

«On ne nous a pas donné les outils pour se comprendre. Les garçons n’apprennent pas à respecter autrui», confie Bruno* sur un ton timide et réservé. Victime de plusieurs agressions sexuelles de la part d’un même agresseur, le trentenaire est convaincu que les stéréotypes de genre ont leur part de responsabilité. Il dénonce des «cultes virilistes» qui entretiennent notamment l’idée que les hommes ne doivent pas exprimer leurs émotions et qui favorisent des rapports «brutaux et violents». «Il existe une certaine culture qui pousse à se montrer le plus masculin possible, montrer qu’on n’est pas gay et qu’on n’est pas le bottom (le bottom, en opposition au top, est considéré comme le pénétré, le passif d’une relation sexuelle, NDLR).» Ne pas vouloir sembler «trop gay», une autre idée stigmatisante encore bien ancrée dans notre société patriarcale hétéronormée. Pour certains, les hommes homosexuels sont encore perçus comme des «sous-hommes» – au même niveau que les femmes en somme – avec le statut inhérent de «dominé» qui les accompagne.

Violences sexuelles, un retour au placard

Conformément aux chiffres des Centres de prise en charge des violences sexuelles (CPVS) de 2023, 90% des auteurs d’agressions sexuelles, tous publics confondus, sont des hommes cisgenres. Il n’est donc pas surprenant que ces violences trouvent leur place dans un groupe qui en est quasi exclusivement composée. Si en matière de dénonciation des agressions sexuelles, ce sont majoritairement les femmes cis hétéros qui prennent la parole, un #MeTooGay est bien apparu sur les réseaux sociaux début 2021. Mais bien que relayé dans les médias, il n’a pas connu le retentissement mondial du #MeToo originel né quatre années plus tôt.

Les prises de parole publiques à propos des violences entre HSH restent faibles, tout comme les libérations de la parole plus privées. L’enquête de Tels Quels de 2023 montre que, quelle que soit la nature des violences, quand un partenaire intime est concerné, le recours à une aide extérieure est difficile. Parmi l’échantillon de personnes LGBTQIA+ victimes à avoir cherché de l’aide (67%), 63% des victimes en parlent à leur cercle privé, 30% dans un contexte professionnel ou de soins de santé et seulement 2% à la police ou à un(e) avocat(e).

«Mes relations d’un soir ont été très violentes, accompagnées d’une notion de performance. Mes partenaires voulaient absolument me pénétrer et le faire vite pour exprimer leur virilité, mais ça me faisait juste mal. […] Tu reçois des photos de bite et de cul sans consentement (sur les applications de rencontre, NDLR), il y a beaucoup de violence et de nudité.»

Mathieu, 26 ans

L’inspecteur Xyngakis, en charge des dossiers LGBTQIA+phobes pour la zone de police de Liège, vient confirmer ce peu de recours aux forces de l’ordre. Malgré qu’il soit référent LGBTQIAP+ et qu’il collabore étroitement avec les lieux festifs dédiés aux HSH, il explique que seulement 22 faits lui ont été remontés pour l’année 2023. Tous concernent des hommes cis gays qui ont fait l’objet de violences à caractère homophobe. Seul un dossier traite d’un cas de viol impliquant deux partenaires intimes. Des chiffres qui ne correspondent pas aux statistiques et que l’inspecteur juge «ridicules par rapport à la réalité».

À Bruxelles, plusieurs zones de police disposent depuis peu d’une cellule EVA (Emergency Victim Assistance), spécialisée dans la prise en charge des victimes de violences sexuelles et intrafamiliales. La cellule EVA de la zone de police de Bruxelles Capitale-Ixelles a rédigé 498 procès-verbaux en 2024, mais elle ne dispose cependant pas de chiffres précis quant à la proportion de dossiers LGBTQIA+.

 

Selon le psychologue clinicien Noah Gottlob, une des explications au manque de dénonciation aux forces de l’ordre pourrait être la façon dont sont parfois reçues ces plaintes et la manière dont la masculinité normative ne laisse pas la place à une position de victime de violences. «Toutes les injonctions liées à la masculinité vont vers une position de domination, de pouvoir. Être l’objet de ce pouvoir, de violence est quelque chose dont on peut plus difficilement s’emparer avec une identité masculine.» Il poursuit en insistant sur le fait qu’il faut «pouvoir faire évoluer ces carcans rigides stéréotypés. Il faut former, informer, sensibiliser l’ensemble des forces de l’ordre à un accueil inclusif, au sujet des LGBTQIA+phobies. Tout en sensibilisant les personnes concernées sur les possibilités de faire exister sa place de victime de violences, de dénoncer, de demander de l’aide.»

Car, pour parler des agressions subies, encore faut-il les conscientiser. Selon Marine de Tilesse et Céline Mélignon, travailleuses chez Tels Quels, le tabou autour des agressions sexuelles entre HSH est, en partie, lié au fait que ces violences sont trop souvent abordées sous le prisme féminin et surtout hétérosexuel. «Comme la majorité des campagnes sont hétéronormées, les personnes n’envisagent même pas qu’elles ont pu être victimes.»

Un constat qui fait écho au récit de Mathieu qui n’a pas eu d’emblée conscience des violences sexuelles infligées par ses partenaires. «J’acceptais ces micro-agressions comme si elles devaient faire partie de la sexualité.» User d’humour auprès de ses proches hétéros a aussi été un mécanisme qui a participé au ralentissement de sa prise de conscience. Aujourd’hui, il accepte son statut de victime, mais hors de question pour lui de mêler la police: «Ce serait ajouter de la violence sur de la violence.» Un rapport à la police qui est à mettre en perspective au regard de l’historique des personnes gays et plus largement queers avec l’institution. À titre d’exemple, les émeutes de Stonewall de 1969, à l’origine des Prides, font suite à une violente descente policière de plus dans un des rares bars gays de New York.

Du côté de Sylvio*, pas de recours aux autorités non plus. Ce dernier avoue avoir du mal à se sentir légitime. «Comme j’étais là [dans la darkroom, NDLR], je me dis que quelque part je l’ai cherché.» Bruno*, lui, lance fièrement qu’il a dénoncé son agresseur à la police. Avant d’ajouter, avec une pointe de colère, qu’il lui aura fallu dix ans avant de trouver l’assurance nécessaire pour entamer les démarches. Un processus qu’il a finalement trouvé trop douloureux et ne recommande pas.

Un manque de structure

Au moment des faits, Bruno* s’était déjà armé de courage pour parler des agressions sexuelles qu’il a subies. Notamment en se tournant vers le service prévu pour aider les étudiant(e)s victimes de son université. Un service qu’il s’excuse de décrire comme «nul à chier» à l’époque. Venu chercher de l’aide, il en est reparti davantage démuni. À l’instar de l’institution universitaire, il n’a pas non plus trouvé de réconfort auprès de ses proches. Ils n’ont pas su l’orienter ou compris ce qu’il traversait. «Personne ne m’a guidé correctement. J’ai perdu confiance en moi, en les autres. C’est un sentiment d’exclusion totale», dit-il frustré en évoquant un passé difficile au niveau de la santé mentale.

Vers qui les homosexuels peuvent-ils se tourner pour obtenir un accompagnement sécurisé? Selon l’étude de 2023 réalisée par Tels Quels, il y a un réel manque de prise en charge des victimes de violences entre partenaires intimes non hétérosexuels en Belgique francophone. «À l’inverse des personnes qui s’identifient comme femmes, il n’existe aucun centre d’accueil dédié aux hommes gays de plus de 25 ans en Belgique», ajoutent Céline Mélignon et Marine de Tilesse.

Des lieux prévus pour l’ensemble des victimes de violences sexuelles existent, comme les CPVS ou les cellules EVA de la police bruxelloise, où le personnel a reçu une formation spécifique à l’accueil des publics vulnérables comme les personnes LGBTQIA+. Au niveau des CPVS, il n’existe pas de chiffres relatifs à l’orientation sexuelle des victimes, nous indique L’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes (IEFH). Nous saurons seulement que 9,4% des victimes prises en charge dans les centres sont des hommes cis. L’IEFH nous assure cependant qu’il y a bien une volonté d’inclusion de toutes les victimes, hommes queers y compris: la dernière campagne de promotion des CPVS met en scène une victime d’apparence masculine qui vient d’être agressée par un autre homme dans un bar.

Selon l’étude de 2023 réalisée par Tels Quels, il y a un réel manque de prise en charge des victimes de violences entre partenaires intimes non hétérosexuels en Belgique francophone.

Mais Stephen Barris regrette que les campagnes de prévention soient encore trop peu visibles. Les conséquences d’un manque de moyens et de personnel persistent. Puis, les actions sont encore fort axées sur la prévention contre le VIH mais pas spécialement tournées vers la sécurité sexuelle. Cependant, les choses évoluent. L’engagement communautaire permet aussi l’émergence de différentes ressources. À titre d’exemple, Tels Quels a créé plusieurs outils, comme des podcasts et prospectus, pour permettre aux personnes queers d’identifier les violences auxquelles elles peuvent faire face et trouver des solutions pour se faire aider.

Selon Stephen Barris, la société vit un moment charnière et annonciateur d’évolutions, en partie grâce aux nouvelles générations. Plus provocatrices et revendicatrices, il a espoir en leurs combats et la rage avec laquelle elles les mènent. «Je suis convaincu que le changement passera par la culture populaire, notamment grâce à la gen z (la génération Z regroupe les personnes nées entre la fin des années 90 et le début des années 2010, NDLR), qui vit avec une culture queer plus forte. Ces jeunes vont encore changer la donne et la condition d’homosexuel sera différente dans le futur.»

Comme le rappelle Noah Gottlob, les hommes cisgenres non hétérosexuels sont encore loin d’avoir une réelle liberté identitaire et de jouir d’une individualité propre malgré les nouveaux modèles. Pourtant, ils sont nombreux à vouloir faire évoluer ces «codes spécifiques à la communauté» vers des pratiques plus «sécures». Mais comment? Bruno* rappelle que parfois, la douleur et la rage peuvent faire progresser les choses. «Aucun combat n’a commencé dans la joie, ils ont toujours démarré dans la frustration et la colère. Parfois ça a du bon, il faut juste les utiliser correctement.»

 

  • Certains lieux et noms ont été modifiés afin de préserver l’anonymat des témoins.

Cette enquête a été réalisée avec l’aide du Fonds pour le journalisme en Fédération Wallonie-Bruxelles

 

 

Le résumé 

° 80% des personnes LGBTQIA+ ont été exposées à une forme de violence sexuelle. Un chiffre important, mais qui ne permet pas de connaître exactement le pourcentage d’hommes gays et bi concernés.

° Chemsex, darkrooms, applications de rencontre…: les modes de drague entre hommes se révèlent souvent brutaux et violents.

° Une violence renforcée par un contexte sociétal empreint d’homophobie et où les rapports non hétérosexuels restent largement invisibilisés
.

° Les associations commencent à sensibiliser les HSH (hommes ayant des relations avec d’autres hommes) à l’importance du consentement.

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