En logement social, il n’est pas rare que des tensions émergent autour des jeunes. Le référent social, en lien avec le réseau associatif local, peut intervenir pour favoriser le vivre-ensemble. Illustrations concrètes à Luttre et à Binche
Geoffrey Piétrons est un référent social qui n’hésite pas à aller au contact. Depuis le mois de septembre, il s’est lancé dans du « travail de rue » dans deux cités de logements sociaux, à Familleureux et à Mellet. Il envisage de s’attaquer bientôt au gros morceau : la cité des Trieux, à Seneffe, « où l’on rencontre des problématiques lourdes, de trafic de drogue et de loi du silence », lâche-t-il, prêt à relever le défi. En déambulant entre les habitations, Geoffrey Piétrons souhaite s’immerger dans la réalité de la vie quotidienne des habitants. Il souhaite qu’on l’identifie, sans pour autant qu’on l’associe à celui « qui ne vient que quand il y a un souci ». Le travail de rue, une vieille habitude que ce référent social a « attrapée » lorsqu’il travaillait dans le secteur de l’Aide à la jeunesse, en service d’aide en milieu ouvert. De là lui vient certainement ce tropisme pour les problématiques « jeunes », qui sont à l’origine de certaines frictions dans les cités sociales.
Référent social des Jardins de Wallonie, SLSP qui gère 1174 logements dans le Hainaut, autour des communes de Seneffe, Luttre ou encore Pont-à-Celles, Geoffrey Piétrons est bien placé pour observer les difficultés que traversent les jeunes en logements sociaux. Il voit des jeunes « sans emploi, sans formation, sans rien », dont la vie quotidienne est marquée par « l’oisiveté ». Il constate aussi des formes « d’abandon parental ». Si les 8-12 ans sont encore touchés par le tissu associatif local, bien implanté dans la plupart de ces sites de logements sociaux, les plus âgés sont difficiles à toucher.
Gérer la « zone »
Dans ce contexte, se développe ce que le référent social nomme une « problématique des cités ». Des jeunes qui « zonent » dans les halls d’entrée ou dans les plaines de jeux. Quelques joints et cannettes qui traînent par terre et un peu de bruit, voire des dégradations. « Globalement, rien de bien méchant », affirme Geoffrey Piétrons. Mais générateur de « tensions » entre habitants.
Dès lors, quel peut être le rôle d’un référent social ? Outre des interventions individuelles, il peut faire le lien avec d’autres services, créer des partenariats. « Je travaille en réseau », dit Geoffrey Piétrons. Concernant les jeunes, ce réseau est constitué d’éducateurs de rue du Plan de cohésion sociale (PCS), de services d’aide en milieu ouvert, d’écoles de devoirs, de maisons de jeunes. Un exemple de sollicitation ? Récemment à Mellet, Geoffrey Piétrons a demandé à l’AMO Pavillon J « d’investir le territoire » des logements sociaux. « Il y a des besoins. Une dizaine de jeunes de 13 à 18 ans traînent près de la rivière, font de petites conneries. La police y est souvent appelée, mais ne sait pas trop quoi faire. » L’AMO a donc fait son apparition à Mellet, grâce au « bus des quartiers » de la Cité de l’enfance de Charleroi. A son bord : le référent social et l’équipe de l’AMO. Un premier contact ponctué de « quelques insultes ». « Un bon signe » relève Geoffrey Piétrons, « ça veut dire que ça mord ».
Recréer du lien entre habitants
Il n’y a pas qu’aux Jardins de Wallonie qu’on travaille avec les jeunes. Christophe Van Der Goten, référent social de l’immobilière « Entre Sambre et Haine », tente d’impliquer les locataires dans la vie de leur quartier.
A Anderlues, en partenariat avec le PCS, il a initié des réunions de quartiers. Certaines ne sont adressées qu’aux jeunes. Certes, ils ne sont qu’une poignée à s’impliquer dans ces concertations, « mais cela a permis de constater que les préoccupations des jeunes sont les mêmes que celles des plus âgés », explique le référent social. « Que la cité soit propre, pas abîmée, qu’il y ait davantage de plaines de jeux », énumère-t-il.
A la cité du Fief, des dégradations sont l’occasion d’un travail collectif avec les jeunes du quartier. Christophe Van Der Goten : « Deux blocs se font face. L’entrée est souvent vandalisée, sale. Nous avons commencé par concerter, en partenariat avec les éducateurs du PCS, les jeunes de la cité. » Une consultation qui aboutit à la création d’une maison de jeunes et d’un projet de valorisation des halls d’entrée des deux immeubles, avec fresque de graffitis au programme. Les éducateurs du PCS vont essayer d’attirer davantage de jeunes via un atelier créatif. Le tout devant permettre une « appropriation du lieu » par les habitants, tout en « créant des liens autour d’un projet commun ». Un projet qui, selon Christophe Van der Goten, « s’appuie sur l’associatif existant ».
Travailler le sentiment d’insécurité
Il est également aux premières loges face aux difficultés des locataires. Il le constate, les jeunes sont souvent empêtrés dans du « décrochage scolaire », dans des « excès de consommation d’alcool ». Selon lui, ces jeunes sont désabusés car ils constatent « que la notion d’ascenseur social ne fonctionne plus tellement ». Il estime que beaucoup d’entre eux vivent dans le culte de « l’immédiateté ».
Ces problèmes de fond, le référent social est bien impuissant à les résoudre. Par contre, face au sentiment d’insécurité qui émerge chez certains habitants devant des regroupements de jeunes, souvent inoffensifs, le référent social est armé pour « recréer du lien », pour que les « habitants réapprennent à se connaître » et fassent tomber les préjugés. Fêtes des voisins, ouverture de locaux jeunes, comités de quartiers, été solidaire… : pas de recettes miracles, mais quelques outils que le référent social peut utiliser pour tenter d’améliorer le quotidien des habitants.
Comme chaque été, de nombreuses sociétés de logement public vont participer à l’opération « Eté solidaire ». L’occasion d’embaucher de jeunes habitants des cités pour de « petits travaux d’utilité publique ». Belle opération qui permet d’améliorer le cadre de vie, tout en donnant une expérience professionnelle – et un peu d’argent – à ces jeunes. Des petits boulots qui ont pour vertu de valoriser leur image au sein de leur quartier.
A Hornu, cinq jeunes s’apprêtent à participer au projet imaginé par la référente sociale Véronique D’Hooge, en partenariat avec la régie des quartiers. Vu les « difficultés d’orientation et de fléchage » dans l’un des sites gérés par la SLSP BH-P, les jeunes jobistes vont rencontrer les locataires, munis d’un questionnaire afin d’aller à la pêche aux idées. Que faudrait-il faire pour améliorer l’orientation sur le site ? « C’est aussi une occasion de nous faire connaître et d’entendre les demandes des locataires », ajoute Véronique D’Hooge. A la fin de l’enquête, les jeunes auront la charge de mettre en place la solution retenue.
L’Eté solidaire est un moment phare de la vie des logements sociaux. Mais certaines règles ont changé. Ce que regrette Geoffrey Piétrons, référent social aux Jardins de Wallonie : « Avant, le nombre de jobistes était attribué en fonction de la taille des communes. Maintenant, c’est calculé en fonction du nombre de logements gérés par la société. L’an passé, nous pouvions embaucher 26 jeunes. Cette année, seulement cinq. »
Depuis deux ans en Wallonie, les 68 sociétés de logement de service public (SLSP) se dotent l’une après l’autre d’un référent social, en quelque sorte un coordinateur social de la gestion locative. Dans ce numéro spécial Alter Échos dresse le portrait de ce dispositif qui se construit pas à pas, et continuera à mûrir.