La décision de Caterpillar de se séparer de 1 400 employés fait monter les enchères à 15 000 pertes d’emplois en Belgique depuis un peu plus de six mois. Combien de licenciements massifs faudra-t-il encore pour que notre société connaisse un sursaut de conscience ? Une carte blanche signée, Laurent D’Alvis, chef d’entreprise, et fervent défenseur de la réindustrialisation par l’entrepreneuriat. Son blog : www.laboralys.com
Il errait, solitaire, dans les espaces déserts de son usine, le casque vissé sur le crâne, un autocollant revendicatif bien en vue, comme un étendard, comme une appartenance à un hypothétique clan de la dernière chance. Un frêle rempart devant l’inévitable, un combat perdu d’avance et qui le dépasse. Des braises encore chaudes crachent leur dernier souffle devant l’entrée du cimetière industriel. Des palettes calcinées racontent une histoire triste. Des fumées de colère s’élèvent dans un ciel rouge. Le parvis de l’usine ne connaîtra plus son tumulte humain et comme une gangrène qui achève son œuvre, les derniers pans d’un certain savoir-faire vont disparaître, tandis qu’un plan de licenciement achève d’égrainer les centaines d’employés, un à un, minutieusement, répertoriés par classes d’âges et d’expériences, affublés d’une prime ou d’un repos forcé. Toute cette énergie gaspillée, dilapidée, diluée dans la masse grouillante des consommateurs au pouvoir d’achat entretenu. La perspective d’une retraite dorée pour faire oublier la perte de sens et le changement de valeurs.
Invoquer le péril jaune comme explication à une restructuration permet de couper court à une analyse plus poussée. Les décisions stratégiques qu’a un groupe international de licencier du personnel vont bien au-delà et les infléchir tient malheureusement de la gageure. Selon moi, le salut ne réside donc pas uniquement dans la négociation d’un plan de licenciement équilibré (comme on l’entend souvent), mais surtout dans une réflexion approfondie sur la façon de redonner du sens au travail afin de permettre à chacun d’exprimer au mieux son talent. C’est dépasser le deuil et se battre pour élever au plus haut rang notre riche histoire industrielle, lourde de sens.
Mais avant une crise économique, ne vivons-nous pas une crise culturelle de plein fouet ? N’est-il pas temps de repenser les valeurs de notre société ? N’est-il pas temps d’insuffler une véritable conscience collective, tranchant avec un individualisme galopant, afin que chacun d’entre nous prenne possession des événements qui touchent l’ensemble de la société ? Car d’une certaine manière, nous sommes chacun d’entre nous un peu complice de cette fameuse course au « low cost ». Investir dans les énergies humaines et compétences de notre vivier, favoriser sur le long terme l’éclosion de nouvelles idées et de nouvelles forces, incuber et oser l’esprit d’entrepreneuriat, rendre aux métiers manuels leur noblesse d’antan, remettre l’artisanat à l’honneur, voilà quelques pistes qu’il faut accentuer, fortifier et défendre.
Je rêve parfois que ces innombrables employés licenciés s’unissent aussitôt pour créer une nouvelle activité industrielle, ou pour le moins, qu’une poignée d’entre eux rejoigne les rangs de l’artisanat et de l’entrepreneuriat de proximité, forts de leurs compétences inestimables et volonté de défendre une certaine vision idéaliste du développement. Cette défense de nos savoirs serait portée par la collectivité dans un esprit d’ouverture à la création de valeur, en favorisant la qualité et le développement local. En choisissant l’artisan à la grande distribution, nous nous faisons les alliés d’un développement plus vertueux, nous supportons la création d’emplois et l’enrichissement de nos savoirs.
Quand viendra donc le grand sursaut de conscience et de positivisme sur nos capacités d’inventivité industrielle ? Quand viendra donc le grand sursaut de conscience sur l’importance de notre implication collective dans la destinée de notre économie ?