Petite commune du Hainaut, Estaimpuis est connue depuis quelques années pour son nombre particulièrement réduit de bénéficiaires du revenu d’intégration sociale (RIS). Alors, la commune hennuyère a-t-elle découvert le Saint Graal en matière d’insertion socioprofessionnelle ou s’agit-il d’un simple effet de comm’ ? Interview en guise de tentative de réponse avec Christian Hollemaert, le président du CPAS d’Estaimpuis
Alter Echos : On parle beaucoup de la commune d’Estaimpuis et de son faible de taux de bénéficiaires du RIS. Est-ce que c’est toujours le cas aujourd’hui ?
Christian Hollemaert : On peut dire que oui puisqu’en 2012, nous avions quatre bénéficiaires du RIS pour 10 000 habitants. Nous avons aussi 11 RIS étudiants, mais je ne considère pas ça comme des RIS en puissance, même si c’est un phénomène qui prend de l’ampleur.
A.E. : Existe-t-il une politique spécifique, notamment de mise à l’emploi, qui peut expliquer ce chiffre ? Ou bien Estaimpuis est-elle une commune particulièrement favorisée ?
C.H. : Nous ne sommes pas favorisés du tout. Mais nous avons la chance de disposer de deux outils : la commune avec qui nous avons un partenariat très étroit et l’asbl communale « Impact », active dans le repassage et le nettoyage, et qui travaille avec des titres-services. Elle compte environ 100 travailleuses titres-services.
A.E. : Ce qui veut veut dire que…
C.H. : Quand les personnes que nous recevons au CPAS peuvent effectuer des travaux comme de la peinture, de la maçonnerie ou du jardinage, elles sont engagées en tant qu’article 60 et vont travailler à la commune. Et quand il s’agit de personnes habiles dans le secteur du nettoyage ou du repassage, le plus souvent des dames, elles sont orientées vers l’asbl Impact. Voilà pourquoi il n’y a pas beaucoup de RIS à Estaimpuis.
A.E. : Imaginons que je bénéficie du RIS. Est-ce le CPAS qui, de son propre chef, va me proposer de passer sous article 60 ou d’aller chez Impact ?
C.H. : Tout à fait. Mais on y va en général de façon progressive. Si la personne est désinsérée depuis cinq ans, nous n’allons bien sûr pas lui demander d’aller directement faire ses 38 heures/semaine. Nous allons lui dire : « Tu vas commencer à mi-temps et si ça va bien, on passera à un trois-quart temps puis à un temps plein. » De manière globale, après deux ou trois mois, si ça fonctionne bien, les personnes passent à temps plein.
A.E. : Y a-t-il des cas où l’assistante sociale vous dit qu’il est trop tôt pour mettre une personne à l’emploi ?
C.H. : Bien sûr. Dans ce cas on donne le RIS à la personne, qui est suivie pendant quelques semaines par l’AS.
A.E. : Je peux refuser de passer en article 60 ou d’aller travailler chez Impact ?
C.H. : Oui.
A.E. : Et ça arrive ?
C.H. : Presque pas. Mais il y en a bien sûr qui acceptent de passer en article 60 et qui sont malades après 15 jours.
A.E. : La politique que vous menez ne risque-t-elle pas de négliger d’autres questions d’insertion plus sociales comme le surendettement, les problèmes d’énergie, d’assuétudes ou de santé mentale ?
C.H. : Non, parce qu’il y a un suivi des personnes en article 60. Nous organisons des réunions mensuelles, des groupes de parole qui les suivent autrement que dans leurs droits. Nous essayons aussi de les revaloriser, ce sont des gens souvent isolés, avec peu de vie sociale. Nous organisons de petites activités comme une journée cuisine, une visite d’un musée.
A.E. : Oui, mais quid des problèmes déjà évoqués ? Va-t-on d’abord s’atteler à résoudre les problèmes sociaux et puis d’emploi ? Ou bien s’agit-il de l’inverse, comme une sorte de « Job first », à l’image du « Housing first » ?
C.H. : Tout se passe en même temps. On leur propose un travail, mais nous avons aussi un service de médiation de dettes qui travaille dans la foulée. Et il existe aussi des guidances budgétaires. Il y a un suivi logique. Si la personne est endettée, nous allons essayer de solutionner le problème. Nous ne lui disons pas : voilà, tu travailles, tu te débrouilles.
A.E. : Les article 60 ou les travailleuses d’Impact sont donc suivi(e)s par ailleurs ?
C.H. : Tout à fait. En 2012 nous avions 30 guidances budgétaires pour 15 article 60.
A.E. : On ne reste pas article 60 toute sa vie. Il s’agit en général d’un moyen pour avoir accès aux allocations. Est-ce que vous savez ce que deviennent ces personnes par après ?
C.H. : Oui. Pour celles qui vont travailler à la commune et pour qui cela se passe bien, nous essayons de les y maintenir en leur donnant un CDD et puis un CDI. Nous faisons tout pour les garder chez nous. Notre but ce n’est pas de dire « Dans deux ans vous êtes au chômage »… Et pour ce qui concerne Impact, nous essayons de les faire travailler.
A.E. : Avez-vous une idée du nombre d’article 60 qui décident de retourner au chômage ?
C.H. : Je dirais un quart d’entre eux.
A.E. : Cela ne contribue-t-il pas, par un effet de vase communiquant, à alimenter le chômage de la commune ?
C.H. : Peut-être que oui. Mais d’un autre côté il y a les chômeurs qui perdent leurs droits et qui se rendent au CPAS. Donc…
A.E. : Ce système ne risque-t-il pas de faire également grossir le nombre d’employés communaux ou de travailleurs titres-services ?
C.H. : Pour moi il n’y a pas de risque, la population d’Estaimpuis étant assez limitée. Nous avions 15 personnes en article 60 en 2012, ce qui n’est pas énorme. Sur les 15, il y en a peut-être 10 que nous allons maintenir. Ce n’est pas énorme comme emploi, mais ça aide le CPAS. De même, si nous n’avions pas 100 emplois à Impact, il y aurait 80 RIS de plus à Estaimpuis, ça c’est clair.
A.E. : D’autres CPAS pourraient-ils être tentés de s’inspirer de votre politique ?
C.H. : D’autres présidents de CPAS ont déjà appelé pour voir comment nous travaillons. Mais il est évident qu’il faut les mêmes conditions qu’ici, avec la commune et Impact. Il existe certes beaucoup de structures titres-services en Belgique, mais il s’agit surtout de structures privées en recherche de travailleurs bénéficiant des mesures Activa. Et une fois que ces travailleurs arrivent en fin d’Activa, elles s’en débarrassent et en prennent des autres. Ce que nous ne faisons jamais, même s’il est bien sûr intéressant de bénéficier d’Activa. Il s’agit de main d’œuvre relativement peu chère, qui est remise dans le circuit. Notre but est de rendre une certaine dignité à toutes ces personnes, même si nous ne crachons pas sur le fait de gagner de l’argent avec ça.
A.E. : Une structure d’économie sociale est également assez active dans le coin. Il s’agit d’Euro Services Qualités (ESQ)…
C.H. : Oui, c’est une coopérative à finalité sociale, qui a été créée un quart par la commune, un quart par Impact, un quart par le CPAS et un quart par des privés. Et elle est active dans le secteur des petits dépannages.
A.E. : Le CPAS met-il également ses travailleurs article 60 à la disposition d’ESQ, comme le système en prévoit la possibilité ?
C.H. : Oui, nous le faisons. Lorsqu’une personne est très bonne en jardinage ou en bricolage, on peut la mettre à disposition d’ESQ plutôt que de la commune.
A.E. : Il s’agit d’un troisième débouché finalement.
C.H. : Oui, je n’y pensais pas tantôt, mais c’est vrai. Mais cela concerne beaucoup moins de personnes. Il y a peut-être une dizaine d’employés à ESQ, actifs dans les petits dépannages, la tonte de pelouses, le taillage de haies.
A.E. : Ceux en article 60 restent-ils aussi chez ESQ
si cela se passe bien ?
C.H. : Oui, cela arrive.