En décembre, les chercheurs du Girsef (UCL) et de Sonecom ont mis la dernière main à un document qui passe aux rayons X le basculement du secteur de l’éducation permanente dans son nouveau décret. Quelques points à en retenir.
C’est assez rare, donc relevons-le d’emblée : le décret de 2003 qui a réformé le secteur de l’éducation permanente prévoit que « le gouvernement procède à une évaluation du présent décret dans les six ans à dater de son entrée en vigueur et ensuite tous les cinq ans. » Evaluer une politique publique ou un décret, en soi, ce n’est pas simple. Evaluer une réforme l’est encore moins. Pensez donc à évaluer le décret sur l’éducation permanente, avec ses finalités à haut degré de matérialité comme « le développement de la citoyenneté active »…!
En fait, le rapport ne nous embarque pas sur les terrains les plus complexes de l’évaluation comme la pertinence ou les impacts du décret1. Il se focalise essentiellement sur deux aspects :
- comment la composition des associations agréées a évolué, dans un exercice du type « avant-après », sur la base des statistiques disponibles à l’administration ;
- comment les associations ont perçu les forces et faiblesses du nouveau décret, au moyen d’une enquête en ligne.
Il ne s’agit donc pas ici d’une évaluation globale du décret ou du secteur, mais avant tout d’une évaluation de la nouvelle procédure d’agrément. Le lecteur qui apprécie les chiffres, les tableaux, les tartes pourra s’en rassasier en parcourant à son aise ce document qui en reprend d’innombrables. On notera aussi que pour illustrer ou prolonger leurs analyses, les chercheurs ont cité de nombreux extraits d’entretiens qu’ils ont eus avec des acteurs de l’éducation permanente.
Les anciens et les nouveaux
Ce sont pas moins de 425 associations qui ont demandé une reconnaissance entre 2004 et 2010. Rappelons que celles reconnues par l’ancien décret, celui de 1976, devaient faire l’exercice au même titre que celles qui n’y participaient pas (dites « les émergentes »).
Sur ces 425, 58,8 % ont réussi leur coup. 254 associations bénéficient d’une reconnaissance nouvelle formule fin 2010, dont 15 mouvements. Un quart (67) de ces 254 sont justement des émergentes.
Ce basculement n’a pas toujours été une sinécure : 100 associations ont retiré une ou deux fois leur dossier en cours de procédure pour l’améliorer et le redéposer. L’analyse de ces dossiers montre que la procédure entamée par une association émergente avait deux fois moins de chance d’aboutir : 57,9 % des dossiers d’« ex-76 » ont eu une issue positive et fonctionnent désormais avec un contrat-programme quinquennal. Tandis que 30,8 % des dossiers d’asbl émergentes sont arrivés à bonne fin.
Le tri par le « sas »
Pour une partie des 67 nouvelles venues, tout n’est pas encore joué. Il faut en effet se rappeler que pour les émergentes, le décret a prévu un système de sas : une convention de deux ans, avec enveloppe minimale, et réévaluation pour passer, dans un second temps seulement, sous contrat-programme quinquennal. Régime de défaveur ? L’idée était de mettre les nouvelles asbl dans une situation d’apprentissage et de progression par rapport à la logique du décret. 57 associations y sont passées et 10 s’y trouvent toujours.
Et cet effet de sas fonctionne : six n’ont pas résisté à l’épreuve et se sont retrouvées sur le carreau. Cinquante-et-une en sont sorties, mais deux avec un déclassement, c’est-à-dire avec un contrat-programme moins bien subventionné que celui qui était mis à l’essai. Quatorze associations ont fait deux tours dans le sas du fait d’une évaluation mitigée.
Les recalés de 76
Un tel mécanisme de transition appliqué aux « ex-76 » aurait-il eu un sens ? Le rapport ne pose pas la question. Certes, faire partie du secteur avant la réforme était un atout. Mais ce ne fut aucunement une garantie… 47 des associations reconnues par le décret de 1976 qui ont demandé un agrément « nouvelle formule » s’y sont cassé les dents.
De façon plus inattendue, les évaluateurs ne disent rien sur le fonctionnement des quatre instances amenées à statuer sur chaque dossier2. Lequel a été le plus ou le moins strict ? Or gageons que nombre d’asbl qui ont suivi tout le cheminement, ou intéressées à entrer dans le décret, ont cette question au premier rang de leurs préoccupations…
And the winner is …?
Le décret pèse (à fin 2010) un bon 31 millions d’euros. Les montants annuels par asbl vont de 6 496 € par an à… 1,42 million – un petit vingtième du budget pour une seule association, en l’occurrence un mouvement.
En réalité, le cinquième des associations qui bénéficient des plus petits montants se partage 1 % du budget, et le cinquième de celles qui bénéficient des plus élevés s’en partage 61 %. Attention, il ne s’agit pas d’une scandaleuse inégalité dans la répartition des richesses, mais simplement d’un effet de la structure complexe du décret, avec tous ses seuils et ses paliers. Ces différences considérables reflètent donc avant tout l’extraordinaire hétérogénéité du secteur, où l’on peut difficilement comparer l’une des 67 associations actives au niveau d’une commune, d’un hameau ou d’un quartier, souvent sans personnel fixe, et les quinze macrostructures que sont les mouvements.
Face à de tels écarts, le rapport se penche sur les asbl qui étaient reconnues dans l’ancien décret et tente de départager celles qu’il qualifie de « gagnantes » et de « perdantes » de la réforme. Non, non, pas de noms ! (Ils figurent dans une annexe non publiée.) Mais des chiffres : « Les évolutions dans le montant des subsides alloués sont diverses. En effet, les plus petites associations (en termes de budget alloué en 2010) ont perdu en moyenne 1 296 €, tandis que les autres catégories ont en moyenne progressé. Ce sont les plus dotées qui ont gagné le plus en absolu, même si certaines associations ont perdu beaucoup, jusqu’à plus de 500 000 euros. » En clair, une évidente tendance à la concentration des moyens.
Un hit-parade des critères flous
Qu’ils soient le fait de grandes ou de petites structures, vieilles routières du secteur ou nouvelles têtes, les tâtonnements ont caractérisé la manière dont les asbl se sont approprié leur nouveau décret.
On peut interpréter ce moment de flottement de deux manières. D’une part, le nouveau décret a amené de nombreuses nouveautés : sur les finalités, les publics, les pratiques, les « métiers »3, les territoires d’action, la programmation du travail autour de thématiques, etc. Ces nouveautés, toutes les associations ont dû s’y plier, s’y adapter, et ce n’était généralement pas possible en se contentant de quelques changements formels.
Mais d’autre part, avec certains éléments de définition et certains critères, les textes laissent une marge d’appréciation qui peut créer pas mal d’incertitudes. Difficile, en effet, en début de procédure, de savoir à quelle sauce on va être mangé, d’estimer les chances d’obtenir les paliers de subvention que l’on vise.
L’enquête par questionnaire a notamment tenté d’identifier ces éléments qui ont été plus ou moins bien perçus par les associations agréées.
Si 85,3 % se disent satisfaites de la reconnaissance finalement obtenue, quelques pierres d’achoppement apparaissent. Ainsi, pour les associations qui se sont positionnées sur l’animation (une grande majorité), ce sont les notions de « public populaire », de « grand public » et de « thématique » qui passent le moins bien la rampe… Ce n’est pas à négliger. Ainsi, alors que le secteur s’est longtemps vu comme essentiellement au service des publics populaires, cette notion reçoit l’une des pires cotes de pertinence, qui plus est « davantage soulignée parmi les associations qui n’orientent pas leur action vers de tels publics ».
Mais encore
Tous ces points ne constituent qu’un premier relevé. Le rapport fourmille d’autres considérations, par exemple sur les champs d’action des associations, leurs moyens humains et financiers, leurs publics, le partenariat. Comme toujours dans les exercices d’évaluation, tous les constats ne sont pas univoques, et certains n’apportent pas grand-chose de nouveau.
La dernière partie amène une série de recommandations. La plupart ne visent pas des modifications du décret ou de l’arrêté, mais cherchent par différents moyens à donner réponse à ce « sentiment d’un flou important entourant les critères de validation des activités » qui sont considérées comme relevant ou non du décret. Et de plaider notamment pour des mécanismes d’animation du secteur qui permettent de reconstruire une vision « bottom up » de différents concepts-clés de l’éducation permanente.
k
1. Depuis le 9 février, le rapport est disponible sur
http://www.educationpermanente.cfwb.be/index.php?id=edup_archive
Girsef, UCL, Place Montesquieu 1/14, à 1348 Louvain-la-Neuve – tél. : 010 47 20 66 – fax : 010 47 24 00, http://www.uclouvain.be/girsef.html
2. Successivement : l’administration, l’inspection, le conseil supérieur et la ministre. Puis en deuxième instance (recours), le conseil et la ministre.
3. Le décret différencie quatre grandes manières de faire de l’éducation permanente. Pour faire simple : l’animation, la formation des animateurs, la production d’outils et le développement de campagnes.