PS et CDH n’arrivent toujours pas à se mettre d’accord pour labelliser les structures chargées des animations d’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (Evras), dans les écoles.
Labelliser l’Evras, c’est mal parti. Le dossier patine depuis le début de la législature. L’idée est pourtant simple: les structures qui interviennent à l’école pour proposer des animations sur l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle devraient répondre à certains critères de qualité. «Aujourd’hui, n’importe qui peut faire de l’Evras, regrette Gaëtan De Laever, directeur de la Fédération laïque des centres de planning familial. Il existe un véritable problème de qualité. Les enseignants sont absents pendant les animations. Il n’existe donc aucun contrôle externe.»
Les inquiétudes relatives à la qualité des animations d’Evras prodiguées dans les écoles se sont exprimées vivement en 2016 après qu’une asbl catholique – le Groupe Croissance – eut été suspectée de véhiculer un discours pro-vie radicalement antiavortement, comme l’avait révélé alors le journal La Dernière Heure. «Cette affaire avait renforcé notre volonté politique», se souvient Stéphanie Wilmet, porte-parole d’Isabelle Simonis, ministre de la Jeunesse (PS).
«On pensait dégager assez rapidement du gouvernement. Alors nous avons voulu agir vite, avant de partir.» Stéphanie Wilmet, cabinet Simonis
La volonté politique des socialistes était de créer un «label Evras» pour baliser les contenus des animations et vérifier les antécédents des associations. Isabelle Simonis souhaitait que ce label soit contraignant. Selon ce modèle, les écoles qui désirent faire appel à des structures extérieures pour lancer des animations Evras n’auraient pu le faire qu’en piochant dans la liste des structures labellisées. Côté CDH, on s’opposait à toute contrainte, en arguant qu’un tel label empiéterait sur la sacro-sainte autonomie des établissements scolaires. Les deux partis négociaient… jusqu’à la date du 19 juin.
Un mini-label dans le secteur jeunesse
Le 19 juin, les deux partenaires de la majorité se déchirent. Isabelle Simonis décide alors d’agir seule, dans son coin. «On pensait dégager assez rapidement du gouvernement, rappelle Stéphanie Wilmet, alors nous avons voulu agir vite, avant de partir.» La ministre n’a aucune compétence sur les écoles. Elle lance un label qui ne s’applique qu’au secteur jeunesse, donc aux animations Evras données en centres de jeunes ou en organisations de jeunesse.
Ce label passe par un incitant financier: un appel à projets. Les structures qui souhaitent bénéficier de la petite manne d’argent libérée pour l’occasion (128.440 euros) doivent s’engager à aborder certains thèmes prédéfinis et à respecter les contenus édictés dans la circulaire rédigée par l’équipe de la ministre. Les animateurs devront par exemple «donner une information claire sur toutes les méthodes de contraception», et «promouvoir la conscience de ses droits, y compris le droit à l’avortement». L’objectif est d’informer les jeunes «de manière objective et exhaustive», écrit-on alors chez Isabelle Simonis. Septante-trois structures répondent à l’appel; 65 obtiennent le label, décerné par un comité de sélection, essentiellement composé de membres de l’administration.
«L’idéal eût été que l’on se mette d’abord autour de la table pour mieux définir ce qu’est l’Evras», Sébastien Fonteyne, Fédération des centres de planning et de consultation
Le cavalier seul de la ministre n’enthousiasme pas pour autant le premier secteur concerné, les plannings familiaux. «C’est un premier pas, ce n’est pas suffisant», affirme Emilie Saey, coordinatrice de la Fédération des centres pluralistes de planning familial. Sa fédération n’a d’ailleurs pas encouragé ses membres à tenter le coup, car le subside était trop faible comparé au temps nécessaire à monter le dossier.
Gaëtan De Laever est très sévère avec le label Simonis: «Ça ne ressemble à rien, lâche-t-il. Le dossier à remettre est minimal, il suffit d’envoyer une note et un CV et vous obtenez le label.» Selon lui, il aurait presque été préférable d’avoir, dans un premier temps, un label «non contraignant, mais de portée plus large, et appliqué de manière sérieuse». Un label qui met la formation au cœur du projet. «Il faut que les animateurs d’Evras suivent des formations spécialisées et que l’on vérifie qu’ils soient bien formés.» Enfin, la Fédération des centres de planning et de consultation se situe sur une autre ligne. Son secrétaire général, Sébastien Fonteyne, n’est pas opposé à une labellisation. «Mais les centres de planning familial sont financés spécifiquement pour faire de l’Evras, précise-t-il. Leur demander des exigences supplémentaires, des contraintes supplémentaires, cela n’a pas de sens. Nous sommes pour l’octroi automatique de ce label pour les centres agréés.»
Plus fondamentalement, Sébastien Fonteyne pense qu’on met la charrue avant les bœufs: «L’idéal eût été que l’on se mette d’abord autour de la table pour mieux définir ce qu’est l’Evras, quels sont les objectifs. Ensuite un label pourrait être mis en place, éventuellement contraignant. Ce label devrait lister les thématiques à aborder mais laisser l’autonomie aux pouvoirs organisateurs, dans les écoles, pour la mise en place concrète.»
Résistances catholiques
Dans les écoles, l’Evras est généralisée depuis 2012 et est intégrée au décret «Missions». Sauf que le décret en question est très vague au sujet de la déclinaison concrète du concept. Une école peut se lancer dans de multiples animations et d’autres «se contenter de mettre une affiche sur le mur», déclare Emilie Saey. Quant au contenu et à la manière d’aborder l’Evras, les directions d’établissements ont les coudées franches. Le protocole d’accord interministériel de 2013 sur l’Evras et la circulaire applicable aux écoles définissent de manière assez floue ce qu’est l’Evras, afin de laisser une marge de manœuvre aux établissements. C’est pourquoi le Centre d’action laïque milite à la fois pour «un label contraignant et des contenus balisés», explique Johanna De Villers, juriste au Cal. Ce type de propositions suscite bien des réserves côté catholique. «Sur cette question, le clivage catholique/laïque est assez fort. L’association des parents d’élèves catholiques s’oppose catégoriquement à toute idée de label contraignant.»
«Il faut un cadre mais un cadre où on ne subordonne pas le relationnel et l’affectif au sexuel.» Bernard Hubien, Ufapec
Bernard Hubien, secrétaire général de l’Union francophone des associations de parents de l’enseignement catholique (Ufapec), a l’impression que «les laïques veulent interdire des structures qui ont un horizon convictionnel différent. Nous demandons un respect de nos convictions». Selon lui, un «cadre minimal permettrait d’exclure les groupes les plus extrêmes». Mais à quel moment la conviction se transforme-t-elle en extrémisme? Pas facile de répondre. Pour l’Ufapec, il faudrait exclure les «groupes qui souhaitent contrevenir à des dispositions légales. Un groupe qui estimerait que l’homosexualité est une maladie devrait être exclu. Un groupe qui assimilerait l’avortement à un meurtre serait exclu. Concernant l’avortement, il faut rappeler le cadre légal, rappeler que l’avortement a été dépénalisé, dans telle ou telle condition. Il faut un cadre mais un cadre où on ne subordonne pas le relationnel et l’affectif au sexuel».
Les parents d’élèves et le pouvoir organisateur catholique ont encore du poids sur ce débat politique, aujourd’hui enlisé. Et Marie-Martine Schyns semble épouser les positions de l’Ufapec. Mais, officiellement, Stéphanie Wilmet affirme que les négociations «ont repris».
En savoir plus
Alter Échos n° 459, «Sexe, amour et animation chez les Dames de Marie», Cédric Vallet, 6 février 2018