Les exclusions scolaires définitives furent l’objet d’un colloque organisé par le mouvement Changements pour l’égalité. L’occasion de se pencher sur un sujet quirévèle – une fois de plus – la dualité du système scolaire belge.
L’exclusion scolaire comme manifestation ultime de l’exclusion sociale. Ce rude constat, dressé par des acteurs de terrain, fut largement discuté le 18 octobre lors d’un colloqueorganisé par le mouvement sociopédagogique « Changements pour l’égalité »1 et initié par une dizaine d’organisations qui gravitentautour de l’école2. Une question était posée : « Les exclusions scolaires définitives sont-elles des rupturesévitables ? ». Car l’exclusion d’une école charrie son lot de souffrance. Souffrance chez l’élève exclu et souffrance dans le milieu éducatif.
Si l’exclusion scolaire est une réponse à un acte violent d’un élève, cette réponse est loin d’être anodine. Comme nous le confiait Alain De Meyer,directeur adjoint de l’Institut Paul-Henri Spaak, « le nombre d’exclusions est toujours trop élevé, car chaque exclusion est un échec. On pense àl’élève. C’est toujours un drame humain. Mais il faut aussi penser aux autres élèves qui veulent avancer. Certaines situations sont ingérables. »
Une fois exclu, que fait l’élève ? Il cherche une nouvelle école. Mais entre deux écoles, c’est le vide sidéral. C’est cette réalité que MarcDe Koker, de l’AMO Rythme3, souhaitait évoquer : « L’exclusion peut avoir pour conséquences, et c’est loin d’être anecdotique, un décrochagescolaire, un repli sur soi, un désœuvrement, voire un isolement qui s’installe et partant, une désaffiliation plus profonde. » Un constat auquel adhèreAndré Fulla, éducateur de rue à Anderlecht, qui est « en première ligne face à ces situations d’exclusion, car souvent, le premier réflexe est des’adresser à l’éducateur de rue. L’impact de ces décisions est que des jeunes traînent en rue, parfois pendant des semaines. »
S’il est possible – sous certaines conditions – d’exclure un élève, celui-ci reste soumis à l’obligation de scolarité. C’est ce qui fait tiquer BrigitteWelter, médiatrice scolaire à Saint-Gilles4 : « La Belgique ne respecte pas les droits de l’enfant quand des élèves ne sont plus scolarisés,quand on passe du jour au lendemain de la maison à la rue. »
« Un élève régulièrement inscrit dans un établissement de la Communauté française (ou subventionné) ne peut en être excludéfinitivement que si les faits dont l’élève s’est rendu coupable portent atteinte à l’intégrité physique, psychologique ou morale d’un membre du personnelou d’un élève (…) »
Exclusions : Une réalité contrastée
En 2011-2012, plus de 2 800 élèves ont été exclus en Fédération Wallonie-Bruxelles (2 078 exclusions et 762 refus de réinscription). Presquela totalité étaient inscrits dans le secondaire, dont 42 % dans le premier degré. La plupart des élèves concernés par cette mise au ban sont issus defilières professionnelles ou techniques, ou de classes « complémentaires » (redoublement) ou différenciées (pour les élèves qui n’ontpas obtenu leur CEB) pour le premier degré (57,5 % du total des exclusions dans le premier degré).
Voilà pour les chiffres. Leur interprétation, elle, varie en fonction des interlocuteurs. Pour Béatrice Welter, cette donnée démontre que l’exclusion« qui devrait être exceptionnelle, s’est banalisée ». Du côté de la Direction générale Enseignement de la FédérationWallonie-Bruxelles, on pense plutôt que ces 2 800 exclusions montrent que cette sanction n’est « pas courante », si l’on en croit Jacques Vandermest de la Directiondu contrôle des obligations scolaires, qui met en relation ce chiffre avec les 800 000 élèves inscrits en Belgique francophone.
On retrouve ce hiatus lorsqu’on évoque la période de latence entre deux écoles. Selon les organisateurs du colloque, des élèves se retrouvent sans écolependant plusieurs mois. Ils pointent du doigt le fait que les écoles sont pleines, surtout en Région bruxelloise. De plus, certains directeurs préféreraient ne pass’embarrasser d’élèves au dossier trop lourd. Jacques Vandermest, tout en admettant n’être pas en possession de données chiffrées, estime que dans la plupart descas, « cela ne prend pas plus de deux semaines pour réintégrer une école, parfois un mois, très rarement plus ». Toutefois, il admet que certainessituations s’éternisent. « Mais il s’agit de cas très particuliers, ajoute-t-il. Certains parents refusent l’école qu’on leur propose, alors dans ces cas, cela peutprendre du temps. Lorsqu’un élève est exclu dans une option très particulière, comme la menuiserie par exemple, il n’est pas évident de trouver rapidement uneécole avec la même option. De plus, pour des raisons liées au matériel, il est impossible de dépasser un certain nombre d’élèves. Dans ce type de cas,on peut proposer une école loin du domicile, les parents peuvent la refuser, alors il faut chercher la suivante, etc. Certains ne trouvent pas d’école, mais cela reste trèsrare. »
A la recherche de l’école perdue
Trouver une école après une exclusion n’est pas de tout repos. Pourtant, les familles ne sont pas seules. En théorie, l’école qui exclut est censée chercher unepiste d’atterrissage. « Dans les faits, c’est compliqué pour un directeur d’en appeler un autre pour qu’il accueille un élève difficile qu’il a lui-mêmeexclu », admet Jacques Vandermest. De leur côté, les parents cherchent un établissement, parfois accompagnés par des associations. Les Commissions zonalesd’inscription (chaque réseau d’enseignement a ses Commissions) jouent aussi le rôle de têtes chercheuses d’école. Ces Commissions ont même le pouvoir d’enjoindre lesécoles à accepter des élèves, utilisé inégalement en fonction des réseaux.
Lorsque l’attente à la maison s’éternise et que les directeurs, centres PMS, commissions zonales ne parviennent pas à trouver une école, l’élève exclupeut se tourner vers le médiateur de la Fédération Wallonie-Bruxelles. « Nous arrivons en fin de parcours », nous explique
Claude Wattiaux,conseillère-adjointe au service du médiateur de la Wallonie et de la Fédération Wallonie-Bruxelles5. « On m’appelle quand le gamin est à la maisonet qu’il a été renvoyé, qu’il se retrouve sans école. J’informe alors de la procédure et, notamment, des possibilités de recours contre une décisiond’exclusion (attention, le recours est non-suspensif, l’enfant reste à la maison). Je vois si la procédure a bien été respectée : l’envoi d’unrecommandé, l’audition de l’élève, etc. Je constate que les écoles ne donnent pas toujours la bonne information. Une chose est sûre, vous ne pouvez pas mettrequelqu’un dehors et ne pas vous en soucier. » Par conséquent, les écoles devraient avoir le premier rôle dans la quête d’un nouvel établissement. Leservice du médiateur estime tout de même assez « dingue » que des exclusions durent plus d’un mois et demi. « Quand cela dure trop et qu’on entend ça,on va secouer le cocotier. »
Les blessures de la relégation et la descente aux enfers
L’exclusion scolaire est à considérer au sens large. Celui d’une étape supplémentaire dans une trajectoire d’exclusion sociale. C’est en substance le discours de PhilippeVienne, sociologue de l’université de Mons. Pour lui, parler d’exclusion scolaire, c’est parler de relégation : « La relégation scolaire est un mouvement dedétérioration des trajectoires des élèves. Ils dégringolent vers ces « écoles de la relégation » à la réputationnégative. Plus ils dégringolent, plus leur identité est abîmée.
La relégation peut commencer au primaire. Souvent, dans les milieux populaires, le choix de l’établissement se porte sur l’école de quartier, qui peut déjàcréer les conditions de la relégation. Cela peut conduire rapidement vers le spécialisé (handicap) ou le différencié. Dans certains cas, cela conduità des exclusions d’établissements du secondaire puis au passage au professionnel. Au bout du chemin, les élèves n’ont plus le choix des filières, ilséchouent dans les écoles de la dernière chance. Ces rares écoles qui acceptent encore des élèves exclus. » Et dans ce système infernal– grossi au trait noir – les écoles s’échangent les élèves en difficulté « comme on s’échange les prisonniers ». Même sides enseignants contestent cette vision pessimiste de l’enseignement (« Dans certaines de ces filières, notamment professionnelles, c’est un vrai travail d’excellence qui estmené, où l’on travaille à la reconstruction de l’identité », affirme une enseignante), certains sont animés d’un sentiment de révolte face augâchis humain qu’ils constatent sur le terrain. C’est le cas d’Anne Chevalier, de CGé : « Ce qui me révolte, c’est que les victimes d’exclusion scolaire sont desexclus du système social. La plupart viennent de milieux socio-économiques défavorisés. On ajoute souvent de l’exclusion à l’exclusion, ce qui conduit desélèves à une descente aux enfers. L’enfant exclu traîne dans la rue, sombre parfois dans la petite délinquance. Ces exclusions sont la pointe de l’iceberg. C’est unsymptôme d’une société duale. »
Faut-il interdire les exclusions ?
Faut-il purement et simplement supprimer la possibilité d’exclure des élèves ? Pour Philippe Vienne, on touche ici à « une question de fond, car si lesexclusions scolaires ont bien des effets pervers, des profs en ont aussi besoin pour maintenir l’équilibre de la classe ». Néanmoins, pour le sociologue, l’exclusion scolaireest justement un thème que les acteurs de l’éducation doivent investir, car les chances d’obtenir des avancées sont certainement plus importantes qu’en matière derelégation scolaire. Quelles solutions furent proposées ? Coordonner les acteurs de l’école et autour de l’école. Voire réduire le nombre de ces acteursparascolaires pour réinvestir massivement dans l’école et la remédiation. Interdire les exclusions en fin d’année, rendre indépendant un organe de recours,améliorer la formation continuée des enseignants. Un vaste chantier en perspective.
1. Changements pour l’égalité :
– adresse : chaussée de Haecht, 66 à 1210 Bruxelles
– tél. : 02 218 34 50
– courriel : info@changements-egalite.be
2. AMO Atmosphère, AMO Rythme, Antenne scolaire d’Anderlecht service prévention, Médiation scolaire communale de Saint-Gilles, Nota Bene de l’asbl Bravvo, Service deprévention de la commune de Schaerbeek, Service droit des jeunes, Service prévention scolaire de Forest et CASG Solidarité savoir asbl
3. AMO Rythme :
– adresse : avenue Clémenceau, 22 à 1070 Bruxelles
– tél. : 02 534 16 23
– ajqmamo@hotmail.com
4. Médiation scolaire :
– adresse : rue Vanderschrick, 71 à 1060 Bruxelles
– tél. : 02 542 63 54
– courriel : bwelter@stgilles.irisnet.be
5. Médiateur Fédération Wallonie-Bruxelles :
– adresse : rue des Poissonniers, 11-13, à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 548 00 70
– courriel : courrier@mediateurcf.be