Peut-on faire du social en revalorisant et en revendant des objets issus d’expulsions de logement? C’est à la résolution de cette équation compliquée que s’applique Trans’Form, un centre d’insertion socioprofessionnelle situé à Marcinelle.
Elle gît par terre, au milieu de câbles électriques, recouverte d’une fine couche de poussière. «Elle», c’est une Technics SL-1200MK2, cette platine vinyle mythique recherchée par tous les amoureux de musique depuis que sa production s’est arrêtée en 2010. À ses côtés s’empilent pêle-mêle d’autres objets comme un ampli guitare, quelques pédales d’effet, divers éléments de chaîne hi-fi. Tout ce matériel ayant manifestement appartenu à un musicos est aujourd’hui stocké dans des hangars de près de 1.200 mètres carrés situés à Marcinelle. Ceux-ci sont occupés par Trans’Form, un centre d’insertion socioprofessionnelle (CISP, une ex-EFT, pour «entreprise de formation par le travail») créé en 1998 par le CPAS de Charleroi et dont le but est de former des personnes – des stagiaires – éloignées de l’emploi.
Comme d’autres structures du secteur, ce CISP est notamment actif dans la revalorisation – par les stagiaires – et la revente de certains objets de seconde main comme de l’électroménager ou des meubles. Pour bon nombre d’entre eux, ils proviennent des collectes de la «Ressourcerie du Val de Sambre», créée elle aussi par le CPAS de Charleroi. Jusque-là rien d’inhabituel, une histoire presque classique dans le domaine de l’économie sociale… Mais d’autres objets, comme notre fameuse platine, ont une origine plus étonnante: ils sont issus des 140 à 150 expulsions ayant lieu chaque année dans une des communes de Charleroi. Sur chacun d’eux, une feuille est d’ailleurs collée au moyen d’un petit bout de scotch. On peut y lire différentes informations relatives à l’objet auquel elle est attachée, comme sa provenance. Dans le cas de la SL-1200 MK2 et de ses petits copains, la mention à ce propos est identique: «Dépôt expu», pour «Dépôt expulsion»…
Six mois pour récupérer ses biens
Voilà donc un centre d’insertion socioprofessionnelle ayant un objet social, mais qui, pour le soutenir, revalorise et revend dans des proportions non négligeables des objets issus d’expulsions. D’après Stéphane Capurso, coordinateur de Trans’Form, la vente d’objets provenant d’expulsions représente ainsi 6,4% du chiffre d’affaires provenant de la vente des «mobiliers», soit principalement des meubles, et 3,4% du chiffre d’affaires généré par l’ensemble des objets vendus dans le magasin attenant au hangar. Comment expliquer une telle situation? «C’est la Ville de Charleroi qui a confié au CPAS la mission de gérer les objets issus des expulsions. Et le CPAS a passé le relais à Trans’Form», explique Stéphane Capurso. Avant de tenir à mettre de la nuance. «Lorsqu’une expulsion d’un logement est planifiée, elle est réalisée par un huissier. Si la personne n’a pas d’endroit où les entreposer, les objets dans le logement sont mis à la rue et c’est alors à l’autorité communale de s’en occuper. Dans notre cas, elle les amène chez nous. Selon le prescrit légal, les objets sont entreposés ici pendant six mois, au cours desquels la personne expulsée en reste la propriétaire, le temps qu’elle trouve une solution de logement ou d’entreposage», souligne-t-il. Si, au bout des six mois, le propriétaire n’a pas réclamé ses biens, les objets sont alors récupérés par Trans’Form. Ce qui arriverait dans environ 80% des cas. «Le taux de reprise par les propriétaires est effectivement assez faible, de l’ordre de 20%. Un chiffre qui peut monter à 22 ou 23% les meilleures années, admet Stéphane Capurso. On peut faire l’hypothèse que c’est parce que leur situation est assez compliquée et qu’ils n’ont pas les moyens de récupérer ce qui est à eux…»
Attention: tous les objets issus d’expulsions ne sont pas exploitables. Ainsi, les biens périssables et «préjudiciables» ne sont pas gardés. «Nous n’avons pas de boxes pour récupérer ce qui est rempli de cafards par exemple, explique Stéphane Capurso. Tous les trois mois, le hangar est d’ailleurs traité contre les nuisibles.» D’autres objets, eux, ne sont tout simplement pas revalorisables. Quant aux objets revalorisés et ensuite revendus, leur prix de vente serait moins élevé que celui des objets en provenance de la Ressourcerie. Une indication, d’après Stéphane Capurso, que les publics faisant l’objet d’expulsion sont bel et bien précarisés.
Si le coordinateur concède que certaines personnes ont du mal à comprendre qu’un CISP puisse baser une partie de ses revenus sur ce modèle d’affaires, il note cependant que Trans’Form tente de gérer tout cela en «bon père de famille». «Et puis, nous ne sommes pas une société privée, nous faisons du social et nous avons un objectif environnemental du fait de notre activité de récupération, conclut-il. Dans la mesure où on ne peut pas garder ces objets en stockage ad vitam aeternam, nous prenons acte…»