Beaucoup d’étudiants attendaient la mise en application de la loi sur l’extension de visa dans le droit national belge. Depuis cet été, les étudiants diplômés d’un graduat, d’un bachelier ou d’un master, peuvent introduire une demande de titre de séjour valable 12 mois, afin de chercher un emploi ou bien d’exercer une activité indépendante. Avant que cette loi ne soit adoptée, une fois leurs études terminées, les étudiants étrangers devaient faire leurs valises et quitter le territoire avant le 31 octobre de l’année académique suivante. Elias (prénom d’emprunt), étudiant libanais, a terminé son master en criminologie à l’Université catholique de Louvain, en septembre 2021. À cette époque-là, il n’était pas encore au courant de la nouvelle loi; il explique que l’été 2021 a été l’un des plus stressants de sa vie: «Je devais rendre mon mémoire au mois d’août et en même temps commencer à postuler à des offres. À ce moment-là, la situation politique et économique au Liban était de plus en plus difficile, et je savais que je devais quitter la Belgique sous peine de me retrouver en situation irrégulière si je ne trouvais pas de travail avant la date d’expiration de mon visa. Quand j’ai appris que la directive européenne venait d’être transposée dans la loi belge, à la fin de l’été, ça a été un réel soulagement.» La période de transition entre la fin de l’université et la vie professionnelle constitue en elle-même un passage stressant, mais, pour les étudiants hors Union européenne, des inquiétudes liées à leurs titres de séjour viennent s’y ajouter.
Des conditions strictes et un manque d’information
Elias est l’un des premiers à pouvoir profiter de la loi sur l’extension de visa. S’il se réjouit de cette opportunité, les conditions sont strictes. Pour pouvoir y prétendre, il faut démontrer la preuve de moyens de subsistance suffisants afin de ne pas tomber à charge des pouvoirs publics. Le montant de la garantie a été fixé à 8.000 euros net. Au-delà des conditions financières, dans sa recherche d’emploi, le jeune homme se retrouve souvent confronté à devoir expliquer aux différents services la spécificité de son visa: «J’ai l’impression que c’est à moi d’informer les différents acteurs du monde du travail, que ce soit Actiris ou les recruteurs. Après avoir pris rendez-vous avec une conseillère emploi, elle m’a annoncé qu’à cause de mon statut, elle n’était pas sûre de pouvoir m’accompagner, puisqu’au sein même d’Actiris, ils ne savaient pas quoi faire avec ce genre de visa. Comme c’est la première année, on sent que tout le monde fonctionne par tâtonnements.» Face à ce constat, Coralie Hublau, coordinatrice au sein du Ciré, met en place des solutions: «On s’est rendu compte que beaucoup de conseillers emploi n’étaient pas au courant de cette loi récente. Au sein de notre asbl, on organise des formations pour les conseillers emploi d’Actiris, où l’on aborde toutes les procédures de migration.»
Malgré la possibilité offerte aux jeunes diplômés étrangers d’intégrer le marché du travail belge, ils ne bénéficient toujours pas des mêmes conditions d’accès que leurs confrères européens. «Durant mes études, j’ai fait mon stage à l’Institut national de criminologie, je voulais postuler pour un emploi, mais, dans les conditions requises, il fallait être Européen, j’ai donc été directement écarté de la sélection. Je n’ai pas accès à certains emplois comme policier ou magistrat», explique Elias. Ayant étudié le droit et la criminologie, cela réduit drastiquement ses chances de trouver un emploi dans son domaine d’études, une des conditions pour bénéficier de l’extension de visa. Comme le précise l’Office des étrangers sur son site internet: «L’étranger doit chercher activement un emploi qui lui permettra de demander un permis unique en tant que salarié ou prendre les mesures nécessaires pour remplir toutes les obligations légales pour exercer une activité indépendante.» Concrètement, cela signifie que, tant qu’ils n’ont pas de contrat de travail, les personnes bénéficiant de cette extension de visa restent sous couvert du titre de séjour sous statut étudiant. Pour en changer, il est nécessaire de trouver un employeur qui introduise une demande de permis unique afin que l’employé obtienne un visa de travail. Il existe un délai contraignant de trois mois entre l’introduction d’une demande de permis unique et la réponse de l’Office des étrangers. Néanmoins, ce laps de temps limite l’embauche immédiate de personnes extérieures à l’Union européenne qui candidatent auprès d’employeurs à la recherche des personnes disponibles immédiatement.
«J’ai l’impression que c’est à moi d’informer les différents acteurs du monde du travail, que ce soit Actiris ou les recruteurs.» Elias, diplômé libanais en criminologie
Les trois premiers mois après la fin des études correspondent à une phase d’observation. L’Office des étrangers se réserve ensuite le droit, après ce délai, de vérifier si la personne suit bien le déroulé des recherches. Ce n’est qu’à ce moment-là, comme précisé sur le site internet de l’Office, qu’il est possible de «mettre fin au séjour si, lors du suivi du dossier, il apparaît que l’étranger ne remplit plus les conditions de séjour ou qu’il n’a aucune chance raisonnable d’être embauché par un employeur ou de créer une entreprise». Cependant, des incertitudes demeurent. Aucune information complémentaire n’explicite la temporalité dans laquelle le suivi de dossier intervient ni ne précise dans quelle mesure il est possible d’évaluer la chance «raisonnable» d’être embauché ou de devenir indépendant. «Si le dossier est complet, la personne pourra bénéficier de la loi pour prolonger son séjour, mais, dans le cas où le dossier est incomplet, on n’a pas d’information sur la suite de la procédure. Le jeune diplômé pourrait-il bénéficier d’un délai pour présenter les éléments manquants ou lui retirerait-on son titre de séjour?», se demande Laureta Panxhaj, travailleuse au sein du Ciré. Face à ce flou, l’asbl spécialisée sur les questions migratoires conseille de «conserver les candidatures envoyées, les formations complémentaires, les démarches Actriris pour rassembler un maximum de preuves pour le dossier».
D’étudiante en séjour régulier à sans-papiers
Au-delà de ça, certains jeunes diplômés ne peuvent pas bénéficier de cette loi. Alors qu’elle pensait que la Belgique, comme la majorité des pays européens alentour (France, Allemagne, Pays-Bas), offrait la possibilité aux jeunes diplômés de rester à la fin des études, María(1), étudiante mexicaine, s’est retrouvée coincée à la fin de son master: «J’avais entendu dans mon entourage qu’il y avait une possibilité d’obtenir une extension de visa. Durant mes études, je n’ai pas fait de stage, car ce n’était pas dans mon programme et je comptais vraiment sur le fait de pouvoir rester à Bruxelles après mes études pour le faire. Et puis j’avais aussi rencontré mon copain ici, et je n’avais pas envie de partir.» Malheureusement, lorsqu’elle rend son mémoire en septembre 2020, elle réalise qu’il n’existe aucune possibilité pour elle d’envisager un stage ou le début de sa vie professionnelle en Belgique: «En octobre 2020, mon titre de séjour est arrivé à échéance, j’aurais dû prendre mes affaires et retourner au Mexique. Je ne l’ai pas fait et je suis devenue sans-papiers.» Plus d’un an plus tard, la situation de María n’a pas évolué et l’arrivée de la loi d’août 2021 n’y a rien changé. Puisqu’elle a été diplômée en 2020, elle n’entre pas dans les conditions d’extension de visa. La Belgique n’ayant pas respecté la directive européenne de 2016 qui prévoyait un délai de deux ans pour sa mise en application dans les États membres, María commence alors une procédure avec l’aide d’un avocat, «on a monté un dossier ensemble et j’ai réuni tous les documents nécessaires: les garanties financières auprès de la banque, de la mutuelle, l’attestation de réussite, etc. En décembre 2020, on a envoyé tous les documents à l’Office des étrangers, cela fait maintenant onze mois que j’attends une réponse. C’est très difficile de vivre en sachant tous les jours que l’on est dans une situation d’illégalité administrative. Cette situation remet en question mon humanité en tant que personne».
«En octobre 2020, mon titre de séjour est arrivé à échéance, j’aurais dû prendre mes affaires et retourner au Mexique. Je ne l’ai pas fait et je suis devenue sans-papiers.» María, étudiante mexicaine
De manière générale, la politique de la Belgique en matière de migration académique est claire, comme reprise par la note de politique générale présentée le 3 novembre 2021 à la Chambre, par Sammy Mahdi, secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration (CD&V). La politique migratoire est entendue comme une «valeur ajoutée»: «En 2022, l’accent continuera d’être mis sur l’évaluation et le renforcement de ces mesures, en accordant une attention à l’identification des abus et des cas de fraude.» Ce qui ne devrait pas faciliter les démarches et procédures des étudiants étrangers désireux de suivre une formation ou des jeunes diplômés d’avoir accès au marché du travail en Belgique.
1. Prénom d’emprunt.
En savoir plus
«Étrangers hors UE: étudier à quel prix?», Alter Échos n° 499, décembre 2021, Adeline Thollot.
«Un accueil hostile pour les étudiants étrangers», Alter Échos web, 21 décembre 2021, Adeline Thollot.