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Regard critique · Justice sociale

Fadila Laanan : « Mon but, c’est un texte où les associations ne sont pas prises en otage »

Fadila Laanan est ministre de la Culture, en charge du secteur de l’éducation permanente (PS)1. Elle revient pour Alter Échos sur la réforme àlaquelle le secteur est soumis depuis deux ans. L’interview vise à faire le point sur la mise en œuvre de ce décret relatif à l’action associative dans le cadre del’éducation permanente. Elle fait suite à d’autres articles relayant les points de vue des différents acteurs concernés, leurs interpellations.

15-11-2006 Alter Échos n° 219

Fadila Laanan est ministre de la Culture, en charge du secteur de l’éducation permanente (PS)1. Elle revient pour Alter Échos sur la réforme àlaquelle le secteur est soumis depuis deux ans. L’interview vise à faire le point sur la mise en œuvre de ce décret relatif à l’action associative dans le cadre del’éducation permanente. Elle fait suite à d’autres articles relayant les points de vue des différents acteurs concernés, leurs interpellations.

Alter Échos (AE): De nombreuses associations expriment leurs difficultés par rapport à la mise en œuvre du décret de 2002. Elles voient undécalage entre les textes légaux, l’interprétation des objectifs du décret par les différentes instances chargées d’appliquer ou de contrôler sonexécution et la manière dont chacune pense devoir appliquer ce décret. Certaines expriment leur incompréhension à propos de la manière dont s’estdéroulée la procédure d’agrément et de son résultat. Que répondez-vous à ces associations ?

Fadila Lannan (FL)
: Je l’ai constaté de suite, dès mon entrée en fonction, il y a des difficultés dans l’application de ce décret. Les associations qui devaientrentrer leur dossier de reconnaissance se sont vues confrontées à un texte qui est assez critérisé, formalisé, avec des exigences chiffrées, des formulairesoù il ne faut par exemple pas dépasser un certain nombre de caractères. C’est vrai qu’il y a eu des divergences d’interprétations à la fois parce quel’administration donne un avis, l’inspection un autre avis et le Conseil supérieur de l’éducation permanente aussi. Ces trois instances peuvent développer une lecturedifférente voire divergente. C’est que ce décret n’est pas rédigé pour le mieux. Mon prédécesseur a voulu bien faire et il faut reconnaître quel’exercice était difficile. Le législateur a essayé de rencontrer l’hétérogénéité du secteur d’où une certaine complexité.

Très vite, on a procédé à un travail de clarification. J’ai demandé à l’administration, à l’inspection et au Conseil supérieur deréfléchir à simplifier mais aussi soutenir, épauler les associations qui rentraient des dossiers. Un vade mecum a été rédigé. Il a en tout caspermis aux associations d’interpréter le texte. Il faut aussi savoir que l’administration se trouve toujours à disposition des associations pour entrer dans le cadredécrétal.

J’ai vu, avec les premiers trains de reconnaissance, des avis divergents entre ces trois instances. Cela ne me dérange pas que le Conseil ait un avis différent de celui del’administration et de l’inspection. Mais c’est un problème que ces deux dernières instances aient, elles, des avis divergents. On a donc fait en sorte qu’il ne puisse plus y avoird’avis différents au sein des services de la Communauté française. Ces deux services doivent s’entendre pour rendre un avis unanime.

Le politique a bien eu cette attention pour la simplification de la vie des associations et continue ce travail. En effet, une série d’associations disent encore aujourd’hui, malgréle vade mecum, malgré le soutien de l’administration, rencontrer des difficultés. On s’efforce d’assurer cette concertation pour faire en sorte que le texte colle au mieux à laréalité et ne freine pas la reconnaissance des associations qui le souhaiteraient.

AE : Un des éléments amenés dans ce débat, c’est le mémorandum du Conseil supérieur qui reprend une série de propositions visant àfaciliter l’application du décret. Quelle suite va être donnée à ce document ?

FL : Si la question que vous posez est de savoir si je vais modifier le décret, ce n’est pas le but. C’est sûr qu’il pourrait y avoir une relecture du décret à lalumière du mémorandum et de la pratique quotidienne des services. Mais modifier fondamentalement l’esprit et la philosophie du décret, non. Moi, ce que j’ai demandéà l’administration, c’est de ne pas se limiter à la forme des dossiers, d’arriver à intégrer les projets qui répondent aux objectifs du décret dans un cadrequi permet de stabiliser financièrement et juridiquement les associations qui ont pignon sur rue, et faire en sorte que les émergents puissent également se retrouver dans ledispositif. C’est également de développer une lecture ouverte de ce décret pour se préoccuper non pas des aspects formels mais bien de l’esprit du décret.

AE : Vu l’importance des aspects administratifs pour répondre aux exigences décrétales, qu’est ce qui est envisagé pour aider les associations et en particulier lesplus petites, les moins outillées ?

FL : Les associations qui sont en demande d’un soutien doivent pouvoir l’obtenir au niveau de l’administration. L’inspection est à la fois un outil de contrôle et surtout un outild’accompagnement. C’est ce que j’ai donné comme instruction aux inspecteurs. Je n’ai pas envie d’avoir des inspecteurs qui examinent des rapports sans avoir pour ambition d’être àl’écoute de l’association voire de l’aider à monter le dossier. En même temps, je pense que les associations tiennent beaucoup à leur autonomie, choix tout à faitrespectable, et donc, il faut aussi qu’elles puissent montrer par elles-mêmes leur inscription dans le mouvement de professionnalisation qu’impulse le décret. Mais il est clair que jedemande aussi aux associations d’être à même de rentrer dans un cadre. On ne peut pas réaliser leur dossier à leur place. Elles doivent pouvoir justifier desactivités qui sont exigées dans le décret.

AE : A propos du financement du décret, en 2003, il avait été prévu certains moyens, et un phasage de l’attribution de ces moyens d’ici à 2010, enparallèle au refinancement de la Communauté. Est-ce que ces moyens seront bien attribués ? N’est-ce pas l’un des principaux critères, par défaut, dansl’attribution des reconnaissances ? Et n’y a-t-il pas un risque de voir une différence de traitement entre les premières associations se situant dans les premiers trains etcelles se trouvant dans les derniers ?

FL : Le but du précédent gouvernement et de cet exécutif qui maintient les orientations qui ont été prises précédemment, c’est de faire en sorteque l’on puisse assumer financièrement l’application totale de ce décret à toutes les associations reconnues. Je dois aussi dire que cela dépendra desdisponibilités budgétaires. Cette année sera la plus difficile budgétairement depuis 2004. Il n’y a pas de risque pour l’éducation permanente parce que les grandstrains de reconnaissances seront surtout pour 2008. Avec les moyens dont je dispose actuellement et qui ont été accordés, je peux m’en sortir du moins pour les associations quisont dans le train de reconnaissance 2007. Pour le reste, on verra. On a dû faire des économies parce que la Communauté était largement en déficit et on a dûsolliciter une aide du gouvernement wallon. Mais nous respecterons les engagements qui ont été adoptés jusqu’à présent.

AE : Dès le départ, s’est posée la question de la place des nouveaux entrants. Est-ce qu’il y a des seuils minimaux (et maximaux) en termes de reconnaissance ?

FL : Non parce que nous n’avons aucune maîtrise sur les demandes et les dossiers de reconnaissance. On ne sait pas qui postule…

AE : Oui, mais vous avez une maîtrise sur la décision d’accorder ou non une reconnaissance ainsi que sur le niveau de cette reconnaissance.

FL : Ce sont des choix qu’on a dû faire dans une série de dossiers où on avait des avis divergents entre les instances; et où, il est vrai que l’on n’a pas toujoursrencontré les demandes qui étaient faites par les opérateurs. Par contre, il y a énormément d’associations qui ont vu leur subside multiplié par deux, troisou quatre. On a une vision la plus objective et la plus transparente de la gestion de ces dossiers, mais on ne fait pas de calcul quant aux proportions de nouveaux et d’anciens. Je vais plutôtessayer de faire en sorte que les dossiers qui entrent soient le plus objectivés possible, et en fonction des moyens de les mettre à disposition de ces associations. Quand les budgetsseront épuisés, je le dirai et donc ceux qui n’auront pas rentré leur dossier dans les temps risquent peut-être de se retrouver frustrés. C’est quelque chose surlequel je n’ai pas beaucoup de maîtrise. Ce budget qui est disponible, je ne sais pas le multiplier par dix. (…) Je pense avoir géré ce dossier en bonne mère de famille.Il y a des frustrations. Des recours ont été déposés par des associations mécontentes auprès du Conseil supérieur. C’est le jeu, c’est prévudans le décret. Mais je pense avoir pris une décision en toute responsabilité.

AE : Cela ne risque-t-il pas de fragiliser le décret. Vous avez déclaré tout à l’heure qu’il n’était pas question de toucher à l’esprit dudécret, mais est-ce qu’il ne faudra pas tout de même revoir la manière dont ces objectifs sont opérationnalisés ?

FL : Je ne veux pas toucher aux objectifs mais il pourrait arriver que l’on fasse du toilettage parce que, comme je l’ai dit tout à l’heure, il y a un problèmed’interprétation. Mon but, c’est un texte qui soit le plus conforme possible et où les associations ne sont pas prises en otage. Donc, s’il y avait, on est là dans la politiquefiction, des recours au Conseil d’Etat, je suis une légaliste, donc je reverrais les choses. Mais on n’en est pas là. Ce texte est difficile, mais les associations en sont quandmême satisfaites, du fait qu’elles peuvent être confortées dans leurs activités.

AE :Un décret demande à être « animé » : formation continue, mutualisation d’outils, aide à la diffusion, etc. Il existe certains dispositifs, maisqui n’ont pas été revus à la suite du renouvellement du décret. Est-ce que cette question est (a été ou sera) travaillée ? Et par qui, vu la surchargede travail de l’administration à la suite des procédures de reconnaissance ?

FL : C’est vrai qu’idéalement, l’administration doit être à la disposition des acteurs pour les aider à faire vivre le décret. Mais effectivement, ils sontpour l’instant tellement noyés par les dossiers de reconnaissance que c’est un des volets qui demande à être travaillé. Je rappelle que beaucoup d’animations, deséances d’information ont été organisées au début de la mise en œuvre du décret. En même temps, si c’est une revendication du secteur, je peuxdemander que l’on affecte du personnel pour mettre l’accent là-dessus. Je pense que l’administration doit être au service des acteurs du secteur. Le Conseil supérieur peut aussiêtre le lieu privilégié de cette réflexion, de même que les instances de formation existantes, les « bagic » (ndlr: brevet d’aptitude à lagestion d’institutions culturelles), mais il faut leur laisser le temps de se couler eux aussi dans le décret.

AE : Dans les conclusions des Etats généraux de la culture, on parle beaucoup de renforcer les articulations entre les différents opérateurs et laproduction/l’action culturelle. Au sein de l’éducation permanente, on trouve beaucoup d’associations qui ne sont pas à proprement parler des opérateurs culturels (insertionsocioprofessionnelle, alpha, sensibilisation à d’autres thèmes tels l’environnement). Va-t-on vers un recentrage sur la culture ?

FL : La volonté n’a jamais été d’exclure les associations d’éducation permanente qui n’étaient pas centrées sur la culture. Au contraire, concernant lesEtats généraux de la culture, la question centrale a été comment mieux formaliser les politiques, les améliorer dans le quotidien. Beaucoup d’associationsd’éducation permanente travaillent avec l’outil culturel. Mais, à aucun moment, il n’a été question de perdre cette diversité qui existe dans l’éducationpermanente. L’ambition, c’est qu’à travers les outils utilisés par l’éducation permanente, les associations qui travaillent dans d’autres domaines que la culture puissentdévelopper cet aspect. L’idée est plutôt de créer davantage de synergie et de complémentarité avec le secteur culturel.

AE : Dans les débats sur le décret, mais également dans ceux qui concernent le décret organisations de jeunesse, on parle d’un décret sur les loisirs actifs,pour clarifier un peu les choses. Ce chantier sera-t-il ouvert avant 2009 ?

FL : Il y a une série de propositions qui ont été faites à ce sujet. Mais ce n’est pas dans mes priorités. Je reçois de nombreuses demandes. Et parfois jeme dis que l’éducation permanente doit soutenir beaucoup de choses. Je reçois, par exemple, des demandes de groupe de scrabble, de personnes qui font de la chasse à courre.« On est une association et on relève de l’éducation permanente ». Ce qui m’énerve un peu. Tout ne relève pas de l’éducation permanente. Et j’en aimarre qu’on considère que l’on doit accepter ce que les autres secteurs, qui sont plus formalisés et critérisés, ne soutiennent pas. Souvent, ce qui se passe, quand on nesait pas trop de quoi relève un dossier, on le met dans l’éducation permanente. Si on doit prendre un décret sur les loisirs actifs, se pose la même question. Qu’est-cequ’on y met ? Est-ce que ces activités relèvent vraiment d’un dispositif que les pouvoirs publics doivent soutenir financièrement ? Par contre, s’il y a une ambitionformative ou autre, alors pourquoi pas. Je suis un peu mal à l’aise par rapport à ce projet. Je crains que l’on ne soutienne tout et n’importe quoi, sans qu’il n’y ait une philosophiequi réunisse ces activités.

AE : Dans un ouvrage récent, la plate-forme « Bigoudis » pose des questions qui interpellent et renouvellent les formes de militance et de citoyenneté sur lesquelless’est construit le secteur de l’éducation permanente jusqu’ici. Le décret, dans sa forme actuelle, ne serait pas adapté au soutien de ces nouvelles formes d’engagement etd’action : cf le débat sur le rapport entre bénévolat et professionnalisation. Que pensez-vous, en tant que ministre de tutelle, de ce type d’approche ?

FL : Moi, je ne suis pas convaincue. Je suis bénévole dans une série d’associations depuis l’âge de 18 ans, et dans des postes où il fallait s’investir, donner dutemps. Au contraire de ces associations émergentes qui pensent que le bénévolat est l’idéal, il me semble qu’il faut professionnaliser les associations. Je ne dis pas quele bénévolat n’est pas bien. Mais, de moins en moins de gens donnent du temps à ce type d’activités. À terme, ce type de projets ne peut avoir unepérennité tant au niveau de l’activité que de sa qualité. Comment faire en sorte pour que ces activités se pérennisent ? Il existe notamment une ligne decrédit dotée de 900 000 euros qui permet de travailler des projets transversaux avec un ancrage dans l’éducation permanente sans être complètement inscrits dans lesecteur.

AE : Ces associations revendiquent une action éphémère, transitoire sous forme de réseau… C’est une autre manière de penser l’action militante etl’avènement d’une citoyenneté critique.

FL : Je n’ai jamais été contre. Le problème, c’est l’absence de structuration, voire de personnalité juridique. Et puis, il y a aussi ce mépris de certainsà l’égard des associations reconnues, disposant de personnels salariés. Il y a un minimum pour que les associations disposent des moyens adéquats afin de réaliserles missions qui leur sont assignées. Ce type d’émergence permet de faire évoluer les pratiques, d’ouvrir un champ nouveau, c’est intéressant mais comment le financer etl’intégrer dans la logique de fonctionnement des pouvoirs publics qui implique un contrôle de la manière dont les moyens sont dépensés. Est-ce que cette dynamiqueest gérable pour un pouvoir public ? Il y a une écoute à avoir par rapport à ce dynamisme, mais il y a aussi des contraintes de gestion qu’il faut pouvoirintégrer.

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