La constitution en grappe est-elle l’avenir des entreprises, à défaut d’être celle de l’homme ? Pour l’économie sociale, elle peut en tout cas constituer une opportunité, tout comme pour de petits artisans. Illustration avec la « Grappe beaurinoise »
C’est sur le site d’une ancienne tannerie, depuis lors transformée en « Pôle beaurinois de formation et de développement »1 (voir encadré), qu’une partie des membres de la « Grappe beaurinoise » possède un atelier partagé, financé par des fonds provenant du Plan Marshall 2.vert. Les locaux, spacieux, abritent de nombreux outils, dont certains sont mutualisés. Ils permettent aux membres de la grappe de bénéficier, pour chacun d’entre eux, d’un espace « privé » tout en œuvrant au même endroit à la réalisation de structures en bois ou encore de travaux de couverture, d’étanchéité et d’isolation destinés aux maisons écoconstruites que la « Grappe beaurinoise » produit. Une grappe composée de l’entreprise de formation par le travail (EFT) La Calestienne (voir encadré), de l’entreprise d’insertion (EI) Couleur terre, ainsi que de plusieurs artisans indépendants actifs dans la couverture, l’étanchéité et l’isolation, la terre-paille ou encore l’ébénisterie. Un exemple de collaboration entre l’économie sociale et l’économie dite classique. « Nous nous apportons chacun quelque chose, explique Michel Thomas, directeur de La Calestienne et co-initiateur de la grappe. Les artisans nous permettent, nous qui sommes issus de l’économie sociale et notamment aidés par des subsides, de prendre le pouls de la « vraie économie », cela nous donne un rythme, nous permet de ne pas nous endormir. De l’autre côté, nous offrons à ces artisans une solidité en termes d’innovation, d’équipement, nous jouons un rôle de pilier de par notre organisation et nous pouvons les assister pour leur offrir davantage de vision et d’efficacité dans le quotidien. »
Un coup de cutter mal placé
Surtout, la grappe permet à l’ensemble de ses membres de monter ensemble sur des chantiers exigeants en matière d’écoconstruction, via des architectes qui connaissent son travail. Ce qui offre également des avantages qualitatifs. Réaliser une maison passive demande, notamment, une isolation sans faille nécessitant un travail précis qu’un intervenant mal informé des pratiques du secteur peut venir ruiner assez facilement. « Un coup de cutter mal placé d’un chauffagiste qui ne connaît pas ce type de travail peut tout mettre par terre. Travailler ensemble avec des intervenants qui connaissent ce genre de travail est donc un avantage », explique Michel Thomas. Autre avantage : une limitation intéressante de la concurrence stérile entre les membres, qui peuvent se développer de manière « coordonnée et différenciée. Les membres se côtoient, se connaissent et finissent presque naturellement pas développer des compétences différenciées alors qu’à la base ils faisaient la même chose », continue Michel Thomas.
La Grappe beaurinoise se situe dans un contexte plus global au départ duquel on trouve l’EFT La Calestienne, active depuis 1997 dans des secteurs traditionnels comme l’horeca et le nettoyage industriel tout en offrant aussi des formations plus innovantes préparant aux métiers de l’écoconstruction ou d’ouvriers de la nature. « Une des particularités, en Wallonie, de ce dernier secteur réside dans le fait que c’est l’économie sociale qui y est la plus en pointe, comparé au secteur de l’économie traditionnelle qui a hésité à s’engager dans le changement de paradigme que cela impliquait au niveau de la construction », explique Michel Thomas.
Aujourd’hui, La Calestienne est à l’origine de nombreux autres projets, comme Couleur Terre (une entreprise d’insertion active dans l’écoconstruction), La Coopérative de la Savonnerie (une autre EI fonctionnant en titres-services), un projet Idess (Initiatives de développement de l’emploi dans le secteur des services de proximité à finalité sociale) actif dans le secteur des parquets jardins, et enfin, Eco-immobilière une société coopérative à finalité sociale active dans les projets immobiliers dont le but est « de valoriser des bâtiments ou des terrains en faisant travailler le secteur de l’économie sociale », d’après Michel Thomas. Une manière, aussi, pour la constellation de projets déjà cités (La Calestienne, Couleur Terre et la Grappe beaurinoise) de devenir leurs propres clients et « d’être plus audacieux » dans les projets. A l’heure actuelle, quatre-vingts travailleurs sont occupés par ces projets, auxquels se rajoutent les trente stagiaires de La Calestienne.
Il est important de noter que tous ces projets ont bénéficié du développement, par La Calestienne, d’un projet de site appelé « Pôle beaurinois de formation et de développement » sur lequel leurs sièges sont tous regroupés, en plus d’une maison de l’emploi du Forem et d’un espace public numérique. « C’est une pépinière de projets qui a été déterminante dans notre histoire puisqu’elle nous a permis depuis sa création (l’ensemble des bâtiments a été acheté en 2003 et inauguré après rénovation en 2005, NDLR) de maîtriser notre espace, nos ressources », détaille Michel Thomas.
Une optique locale ?
Si certains membres de la grappe ont travaillé notamment dans le Brabant wallon, une certaine idée de l’échelon local prévaut néanmoins aujourd’hui dans l’aventure. « Nous sommes un groupe qui s’est développé de manière endogène avec une certaine idée de l’économie sociale et du développement de l’emploi local », précise d’ailleurs Michel Thomas. L’origine même de la grappe se situe dans cet esprit. « Lorsque nous avons fini les travaux sur le site du Pôle beaurinois, nous nous sommes rendu compte que nous étions dans une région avec beaucoup de petits artisans qui effectuaient du bon travail et qui en ont d’ailleurs fait sur le site du Pôle. Sensibilisés à l’écoconstruction, ils étaient intéressés par le fait de travailler en grappe », explique Michel Thomas.
La « Grappe beaurinoise » était donc née, structure à géométrie variable (certains membres sont depuis lors partis, d’autres sont arrivés), groupe créé sur une base « ascendante », les initiateurs du projet étant les petites structures qui le composent. Des structures qui gardent cependant un lien « informel », caractérisé par un site internet commun, mais qui n’a rien de financier ou juridique. « Un des enjeux de la grappe est de trouver une bonne distance. Il s’agit d’avoir des valeurs partagées, mais pas de lien juridique. Si nous partagions trop de choses, nous risquerions de nous brûler les ailes, nous pourrions perdre notre bonne entente dans une collaboration financière. Il faut que chacun se sente pleinement responsable du trou qu’il pourrait éventuellement faire dans sa caisse », détaille Michel Thomas. Les remises de prix se font d’ailleurs intervenant par intervenant, ou alors par le biais d’un seul d’entre eux, mais qui sous-traite alors les postes qui ne sont pas de sa compétence aux autres membres de la grappe ? Les réunions hors chantier entre les membres sont d’ailleurs assez rares, ceux-ci se voyant sur le site du Pôle beaurinois et se tenant au courant par téléphone quotidiennement. « Chacun possède des clients de son côté, et pense ensuite à la grappe. Nous n’en parlons plus, on la vit. C’est presque devenu une seconde nature », conclut notre interlocuteur.
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