Que ce soit choquant ou en tout cas questionnant, c’est un fait : le placement d’enfants en Fédération Wallonie-Bruxelles concerne plus fréquemment les familles touchées par la grande pauvreté. Un groupe de travail s’est penché sur le lien enfants-parents dans la séparation au sein des familles les plus pauvres.
Les chiffres publiés par l’aide à la jeunesse sont éloquents. En 2011, 4 476 jeunes, soit un jeune sur six, avaient été pris en charge en raison de problèmes matériels ou financiers, dont la moitié pour des problèmes de logement. Comment soutenir le lien dans la séparation entre enfants et parents, surtout au sein des familles les plus pauvres ? C’est à cette question complexe qu’un groupe de travail composé de familles et de professionnels a tenté de répondre, dans son rapport [i]Familles pauvres : soutenir le lien dans la séparation[/i].
Selon de nombreux professionnels, les difficultés matérielles et financières, à commencer par les problèmes de logement, aboutissent plus rapidement au placement des enfants qu’à l’obtention d’un logement pour la famille. Dans de trop nombreux cas, la situation sociale de la famille se dégrade jusqu’à nécessiter le placement de l’enfant. D’où la nécessité de prévenir en amont, notamment via l’accès à un logement décent dont le loyer n’est pas trop élevé pour une famille.
Le placement appauvrit
Autre conclusion du rapport, le placement d’un enfant affaiblit la capacité financière de la famille, surtout quand les parents vivent de revenus de remplacement, notamment parce que ces familles peuvent perdre leurs allocations. Sans compter que le coût d’un enfant placé peut très vite devenir onéreux en termes de déplacement ou d’accueil pour ces familles en difficulté. Autrement dit, le placement fragilise d’autant plus la famille que celle-ci est déjà en position de faiblesse.
Le groupe de travail relève aussi plusieurs difficultés rencontrées par les familles lors du placement. Les souffrances occasionnées par les difficultés d’ordre pratique et relationnel sont nombreuses. Le lieu de placement est souvent évoqué comme problématique ; les fratries sont souvent confrontées à un nombre limité de places disponibles, tant dans les institutions qu’à cause de la pénurie de familles d’accueil.
Par ailleurs, tant les familles que les professionnels constatent un manque de moyen humain pour maintenir le lien, encadrer de façon adéquate les visites et échanges avec la famille, et assurer un travail d’accompagnement psychosocial. Les locaux adaptés pour permettre l’accueil des parents sont également insuffisants. La fréquence des visites devient donc un point de tension vive entre familles et professionnels. Plusieurs institutions s’interrogent aussi sur la qualité de ces rencontres, car elles doivent souvent accueillir différentes familles en même temps dans une salle polyvalente.
Bref, un manque de moyens évident. Or pour favoriser ces visites et leur fréquence, le soutien aux familles suppose de prendre en compte leurs difficultés matérielles (frais de déplacement, difficultés par rapport aux horaires de visite, justification auprès de l’employeur…) et la charge affective que représentent les rencontres, moments chargés d’émotion, parfois vécus difficilement par les parents qui peuvent se sentir évalués.
Évaluer et harmoniser les pratiques
Le maintien du lien avec l’enfant placé, jugé insuffisant par de nombreux parents, rend les retours plus difficiles. Une situation particulièrement injuste dans la mesure où ces familles ont été remises en question dans leur capacité à s’occuper de leur enfant. Plus interpellant, certaines d’entre elles ne comprennent tout simplement pas la motivation du placement ou de sa prolongation. Les causes de la séparation entre l’enfant et sa famille sont parfois exprimées de manière trop vague.
Ces nombreux constats issus du groupe de travail reflètent les difficultés vécues sur le terrain au quotidien. Les difficultés des familles dues, tout simplement, à leur vécu douloureux au moment du placement, au fait, aussi, qu’elles ont l’impression qu’il est difficile pour la plupart des professionnels de réaliser concrètement ce que cela signifie de vivre dans la précarité. Les difficultés de nombreux professionnels, confrontés à des situations psycho-sociales complexes.
Ces premiers échanges ont aussi permis de souligner les incompréhensions et tensions, parfois nombreuses, entre familles et professionnels.
Le manque d’évaluation des pratiques de maintien du lien est une des conclusions du rapport. Un manque d’autant plus marqué que les pratiques sont éclatées : elles varient d’un arrondissement à l’autre, d’une institution à l’autre, d’un intervenant à l’autre au sein d’un même service. Certaines institutions, comme Tamaris par exemple (voir Alter Échos n° 366) favorisent des solutions créatives permettant de donner plus de place aux parents. D’où une demande importante des professionnels d’harmoniser les pratiques et de maintenir le lien de façon la place adéquate.
ENCADRE
La prévention pour éviter le placement
« Les premières conclusions tirées par le groupe de travail reflètent surtout des situations sociales plus complexes, une précarité plus étendue qui touche d’autres familles. Notamment dans des situations où les mères sont célibataires, où les problèmes de logement sont importants… D’où la nécessité accrue d’un travail de prévention en amont pour éviter ces situations de précarité qui conduisent au placement d’un enfant et fragilisent le lien entre les parents et les enfants. En outre, il faut harmoniser les pratiques entre professionnels. Mais pas seulement. Il faut aussi, pour mieux maintenir ce lien, favoriser les échanges entre l’aide à la Jeunesse et les CPAS, les écoles… pour lutter davantage contre la pauvreté et aller au plus près des besoins des familles. Par ailleurs, il faut aussi analyser concrètement l’impact financier d’un placement pour ces familles en difficulté. Il ne faut pas que le placement d’un enfant ajoute de la précarité à la précarité et affaiblisse définitivement l’enfant. » Marie Thonon, conseillère à la cellule aide à la jeunesse
Améliorer le dialogue entre familles et professionnels
« Notre but était de promouvoir le dialogue pour rendre compte des contraintes entre les familles et les professionnels. Un dialogue difficile… On peut même parler de non-compréhension réciproque, certains allant jusqu’à parler de familles toxiques alors que ces familles sont en grande souffrance et vivent dans des conditions difficiles. On ne peut le nier, la précarité interfère dans le processus éducationnel et le lien entre placement et pauvreté est significatif. Il y a quinze ans, ce constat semblait encore impossible : beaucoup de professionnels niaient ce lien. Aujourd’hui, les professionnels l’expérimentent plus qu’avant. Ce n’est qu’un début, et il faut donner une suite à ce dialogue pour maintenir le lien entre les enfants placés et leurs parents, éviter des dégâts collatéraux et hypothéquer l’avenir de toute une famille. » Françoise De Boe, service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale
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Aller plus loin
Alter Échos n° 366 du 30.09.2013 : Tamaris renoue le cordon familial
En savoir plus
Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale (CECLR), Familles pauvres : soutenir le lien dans la séparation, Bruxelles, octobre 2013. Disponible sur le site : http://www.luttepauvrete.be/publications/rapport_lien_2013.pdf