À Anvers, un Family Justice Center a vu le jour en juin 2016. Concept venu des États-Unis, c’est un lieu qui rassemble la plupart des services d’aide aux victimes de violence intrafamiliale. Et le système fait des adeptes dans le reste de la Belgique.
«Vous ne pouvez pas imaginer ce qu’on voit ici», lance Davy Simons, responsable du service violence intrafamiliale au Family Justice Center d’Anvers.
Quand quelqu’un est victime de violence intrafamiliale, il/elle peut se rendre auprès de plusieurs endroits pour témoigner, dont la police, un CPAS, un Centre pour le bien-être général (Centrum Algemeen Welzijnswerk – CAW). Auparavant, quand une victime se rendait par exemple à l’accueil d’un CAW, elle était reçue pour cinq entretiens et on la renvoyait vers une thérapie de famille, ce qui impliquait trois mois d’attente. Pendant ces trois mois, personne ne s’occupait d’elle et la violence à la maison ne s’arrêtait pas.
L’arbre qui cache la forêt
De multiples organisations sont impliquées dans la gestion de violence intrafamiliale, comme le confirme Davy Simons: «En 2010, on a fait une analyse de 45 cas et 48 services étaient actifs dans le suivi des dossiers. Les différents services travaillaient tous de leur côté, sans coordination.»
C’est pour lutter contre ce manque de suivi que le projet pilote CO3 a vu le jour en 2010. L’idée est de rassembler des partenaires de trois domaines: administrations locales, police/justice et secteurs des soins/assistance. C’est l’usager, ou la famille, qui devient l’élément central, et les différentes organisations concernées, comme le parquet, le CPAS et le CAW, vont travailler autour de lui. Dans chaque organisation, une personne est désignée pour faire partie d’une équipe de 10 personnes qui suit les mêmes dossiers. Une réunion hebdomadaire a lieu pour faire le point sur l’avancée d’un dossier. Pour chaque dossier, on nomme un coordinateur qui a une vue globale et fait le lien entre les différentes actions.
Le travail porte ses fruits: un meilleur suivi de l’accompagnement, des réorientations plus ciblées et un taux de récidive de 35% contre 65% sans la méthode CO3.
Une autre particularité de cette méthode est qu’elle s’adresse non seulement aux victimes, mais aussi aux agresseurs et aux enfants. On ne peut cependant pas avoir directement accès au Family Justice Center: seuls les cas les plus complexes y sont traités. Davy Simons explique: «Si tu es malade, tu vas chez le médecin traitant. S’il te dit que tu es gravement malade, il va te transférer à un spécialiste. S’il y a de la violence intrafamiliale, ils vont d’abord contacter la police ou la centrale des maltraitances d’enfants, qui se trouvent en dehors de notre centre. S’ils ont besoin de spécialistes, ils les renvoient ici.»
Triple objectif
L’objectif de la méthode est triple: arrêter la violence, éviter les récidives, augmenter les «facteurs de protection», comme le réseau social. Pour ce faire, les experts vont déterminer quels sont les domaines de vie problématiques et positifs. Ils mettent ensuite sur pied un plan d’attaque. Le centre traite environ 100 dossiers par an, des dossiers d’une durée moyenne de 21 mois. «Nous n’arrêtons pas le suivi tant que la violence n’aura pas cessé», assure Davy Simons.
Et le travail mené porte ses fruits: selon une étude menée par l’Université de Louvain, on assiste à un meilleur suivi de l’accompagnement, les premiers entretiens ainsi que les réorientations vers d’autres organisations se déroulent de manière plus ciblée, et le taux de récidive est de 35% contre 65% sans la méthode CO3.
Les bénéficiaires réagissent aussi positivement à la nouvelle structure, à l’image de F., 32 ans: «Pour moi, c’était vraiment stressant, je devais à chaque fois raconter mon histoire. C’est important que les organisations soient au courant de ma situation; ainsi je ne dois pas la répéter chaque fois.»
«Commencez petit»
Seul bémol: même si les usagers étaient mieux suivis, ils devaient se rendre aux quatre coins de la ville pour aller consulter les différents services. Or, depuis juin 2016, la plupart des services sont rassemblés dans un même bâtiment, le Family Justice Center.
Ce projet a été mis en place selon un concept venu tout droit des États-Unis. Anvers est la première ville en Belgique à avoir mis en place ce type de centre. Cela s’est inscrit dans le cadre d’un projet financé par l’Union européenne. D’autres villes comme Venlo, Tilburg, Varsovie, Berlin et Milan ont lancé leur propre Family Justice Center. Et le projet fait des adeptes dans d’autres villes flamandes: à Malines, un centre de ce type a vu le jour en mai. À Turnhout, la semaine dernière, et à Hasselt, ils vont en ouvrir un nouveau la semaine prochaine. Le ministre flamand du Bien-Être, Jo Vandeurzen (CD&V), souhaite d’ailleurs répandre le concept à toute la Flandre.
Du côté francophone, le projet suscite de l’intérêt. Rachid Madrane (PS) a visité le centre. «Nous recevons de nombreuses questions de Namur, Liège, Bruxelles. Mon premier conseil aux villes qui veulent se lancer, c’est ‘Dream big and start small’: commencez avec une petite équipe et les dossiers complexes. À partir de l’expérience acquise, vous pouvez continuer à construire, mais ça ne sert à rien de commencer avec un grand bâtiment», indique Davy Simons.
«La violence, c’est tabou»
Pour lutter contre l’isolement social auquel sont souvent confrontées les victimes de violence, il est important de développer les «facteurs de protection». C’est la raison pour laquelle des activités, comme des entraînements d’autodéfense, sessions de sport/yoga, groupes de soutien, sont organisées.
Hajar Siyahya, assistante sociale de la cellule violence intrafamiliale pour le CAW Anvers, organise notamment des groupes de soutien pour les femmes maghrébines victimes de violence intrafamiliale. Tous les mois, elles y discutent de différents thèmes, comme l’éducation. «Il s’agit parfois de dames qui étaient dépendantes de leur mari. On leur donne aussi des conseils pratiques, par exemple: comment utilise-t-on une carte de banque?»
«Pour moi, c’était vraiment stressant, je devais à chaque fois raconter mon histoire. C’est important que les organisations soient au courant de ma situation; ainsi je ne dois pas la répéter chaque fois.», F., bénéficiaire
Hajar Siyahya explique qu’au début, c’est vraiment l’enfer d’essayer de convaincre ces femmes à ne plus se faire battre. Elle leur dit qu’un homme ne peut pas battre sa femme et vice versa, qu’on ne peut pas battre ses enfants. Mais le sujet reste tabou, car certaines ont toujours connu la violence à la maison.
«Au sein de cette culture, par exemple, certaines femmes qui viennent du Maroc en Belgique sont amenées ici pour faire des enfants et s’occuper du linge. Pour le reste, elles doivent se taire. Les allocations sont transférées sur le compte du mari. La femme ne sait généralement pas qu’ils reçoivent des allocations», témoigne-t-elle.
Pour faire en sorte que les langues se délient, il faut que la confiance s’installe. Une fois la confiance établie, les victimes se confient de plus en plus. Même si leur trajet est terminé, les femmes que nous avons accompagnées continuent d’aller au groupe de soutien. Hajar Siyahya plaisante: «On ne peut plus se débarrasser d’elles!»
En savoir plus
«Hébergement égalitaire: l’angle mort des violences conjugales», Alter Échos n° 456-457, Cédric Vallet, 19 décembre 2017.