Christine Defraigne (MR) propose d’interdire la mendicité des enfants. Les familles roms sont dans le viseur. Entre condamnation ferme de la maltraitance que subiraient ces enfants et empathie à tout crin, il est difficile de trouver une voie. Alors, faut-il interdire la mendicité des enfants ?
Les enfants qui mendient reviennent sur le tapis. André du Bus (CDH), député bruxellois au parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles et sénateur de Communauté a longuement interpellé Evelyne Huytebroeck (Ecolo), ministre de l’Aide à la jeunesse, sur ce thème. Une nouvelle fois. Prônant une « réponse sociale » coordonnée et cohérente, il « ne constate aucune évolution dans ce dossier ». Dès lors, il se dit prêt à rallier des initiatives « plus répressives » en la matière.
L’initiative à laquelle il fait allusion est une proposition de loi que Christine Defraigne1, sénatrice MR, a déposée en décembre 2011. Cette proposition vise à durcir l’arsenal pénal relatif à « l’exploitation de la mendicité » et plus particulièrement de la mendicité infantile.
Depuis 1993, la mendicité n’est plus un délit. Néanmoins, son exploitation est punissable depuis l’entrée en vigueur de la loi du 10 août 2005 sur la traite des êtres humains. Ainsi, l’article 433 ter du Code pénal précise :
« Sera punissable d’un emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende de cinq cents euros à vingt-cinq mille euros :
1° quiconque aura embauché, entraîné, détourné ou retenu une personne en vue de la livrer à la mendicité, l’aura incitée à mendier ou à continuer de le faire, ou l’aura mise à disposition d’un mendiant afin qu’il s’en serve pour susciter la commisération publique
2° quiconque aura, de quelque manière que ce soit, exploité la mendicité d’autrui. »
L’article 433 quater ajoute que l’infraction visée précédemment sera punissable d’un emprisonnement d’un à cinq ans si elle a été commise « à l’égard d’un mineur ».
Dans les faits, c’est donc au juge de se prononcer sur l’exploitation éventuelle de la mendicité d’un enfant par ses parents. En 2008, une jeune femme rom nommée Loredana avait été condamnée par le tribunal de première instance de Bruxelles à une peine d’emprisonnement de 18 mois ainsi qu’à une amende, car il avait été estimé qu’elle utilisait son enfant « pour suggérer la commisération ». Mais cet arrêt avait été cassé par la cour d’appel de Bruxelles le 26 mai 2010.
La proposition de madame Defraigne propose d’insérer – entre autres changements – dans l’article 433 ter :
« 1° Quiconque, dans son intérêt ou dans l’intérêt d’un tiers, aura embauché, entraîné, détourné ou retenu une personne en vue de la livrer à la mendicité, l’aura incitée à mendier ou à continuer de le faire, ou l’aura mise à la disposition d’un mendiant ou s’en sera servi de quelque manière que ce soit en l’associant, directement ou indirectement, à une quelconque démarche. »
De la prévention à la répression
Face aux enfants qui mendient, tous sont unanimes : « il faut faire quelque chose », car la pratique choque. Les moyens de juguler ce phénomène, eux, varient considérablement.
Pour Christine Defraigne, « quand la prévention ne marche pas, il faut penser à la répression, comme à un électrochoc ». L’exploitation de la commisération publique est déjà inscrite dans la loi comme un acte punissable. Mais, selon la sénatrice, « la loi n’est pas assez précise. Les services de police ne peuvent pas intervenir pour lutter contre cette forme de maltraitance des enfants qui est en contradiction avec les conventions internationales ». En rendant punissable le fait « d’utiliser, même indirectement, les enfants, on élargit le champ d’action », dit-elle.
La sénatrice concède que cette réponse répressive doit « s’accompagner en amont de réponses préventives ». Toutefois, elle ne décolère pas contre ces adultes « qui ne remplissent pas leur rôle de parents en ne respectant pas l’intégrité physique de leurs enfants ». Avec ce texte de loi, les parents pourraient écoper de lourdes amendes voire de peines de prison, les séparant de leur enfant. « Les sanctions pourraient être discutées. Le risque de séparation… c’est une difficulté, mais c’est une forme de maltraitance dont sont victimes ces enfants », se justifie-t-elle.
André du Bus2, lui, dit à qui veut l’entendre qu’il faut « une réponse sociale avant tout », il regrette que « les mailles du filet social ne soient pas assez serrées pour empêcher ça ». Aux yeux du sénateur, la mendicité infantile pose des questions non négligeables : « Quel environnement la société peut-elle garantir à l’égard de tous les enfants ? demande-t-il. La rue, ce n’est pas un environnement propice au bien-être de l’enfant. Je ne suis pas favorable à la répression en tant que telle, mais un effet positif de la répression pourrait être que ces personnes se dirigent vers des structures sociales. »
Mendiants roms et pauvreté
Il faut bien le dire, quand on parle de mendicité infantile, on parle des Roms. La seule étude connue sur la mendicité confirme ce constat. Certes, elle commence à dater. Elle a été réalisée à Bruxelles entre 2005 et 2007 par Ann Clé et Stef Andriaenssens pour la Fondation Roi Baudouin. « La mendicité interrogée » offre des données intéressantes. On y apprend qu’à l’époque 66,5 % des mendiants réguliers étaient des Roms, originaires de Roumanie. Parmi ces Roms, 43,4 % étaient accompagnés d’au moins un enfant. Depuis, rien n’est venu contredire ces données. La ministre de l’Aide à la jeunesse, en réponse à la question d’André du Bus, mentionnée ci-dessus fait d’ailleurs référence aux « conditions de vie extrêmement précaires des jeunes Roms accompagnés de leurs parents. » Fustigeant les « réponses répressives qui les plongeraient davantage dans la précarité », elle met en avant des initiatives d’asbl de médiation ainsi que la « stratégie nationale pour l’intégration rom » (cfr encadré), qui, pour l’instant, n’a pas vu le jour.
En 2011, la Commission européenne avait lancé son « cadre pour les stratégies nationales d’intégration des Roms. » L’idée était que chaque Etat de l’Union se dote d’un plan d’action autour de quatre axes : l’accès au travail, à l’éducation, aux soins de santé et au logement des Roms (voir [i]Alter Echos[/i] n° 314 : « [url=https://www.alterechos.be/index.php?p=sum&c=a&n=314&l=1&d=i&art_id=21231]Ceci n’est pas un Rom discriminé[/url] »).
L’idée était alors que les Etats rendent leur copie au plus tard le 31 décembre 2011. Mais en 2011 la Belgique a traîné au rythme de ses affaires courantes et par conséquent… point de plan stratégique pour l’instant.
Mendier est une contrainte
C’est bien cette précarité que de nombreux acteurs dénoncent. Pour eux, le meilleur moyen de lutter contre la mendicité infantile, c’est de s’attaquer à la pauvreté et au statut précaire des Roms. Car une chose est sûre : les Roms ne mendient pas de bon cœur. C’est en substance ce qu’explique Mihaela Mihai, la présidente de l’association rom « Ilo Romano »[x]3[/x], qui a contribué en 2007 à la rédaction du « manifeste des Roms de Bruxelles sur la mendicité en présence d’enfants ». Elle nous rappelle que beaucoup de Roms quittent leur pays d’origine car ils y sont victimes de discriminations. En arrivant ici, « ils réalisent que tout n’est pas rose », dit-elle, avant de préciser : « La mendicité, c’est un passage. Ils ont tout quitté ; en arrivant ici, ils n’ont pas l’asile et ne peuvent être régularisés, ils n’ont quasiment aucune aide sociale. Les Roms de Roumanie ou de Bulgarie, par exemple, n’ont pas le droit de travailler. Quand ils mendient, c’est pour manger et payer le loyer, pour survivre. C’est un dépannage jusqu’à ce que la situation s’améliore. »
Prévoir une alternative
Au service Roms et gens du voyage du centre d’intégration « Foyer »4, la mendicité est un sujet qu’on connaît bien. La structure est un point d’appui pour les services qui rencontrent des populations roms, et pour les Roms eux-mêmes. Dans ce cadre, ce centre flamand effectue un travail de médiation. La scolarisation des enfants est leur « principale accroche » auprès des Roms. Koen Geurts, le coordinateur du service, n’est pas forcément opposé à l’idée de sanctionner la mendicité infantile, « mais certainement pas par des peines de prison, ni en séparant les familles », dit-il, catégorique. La sanction, il la considère comme le dernier maillon de la chaîne : « Interdire, c’est trop peu. Il faut proposer une alternative. Nous sommes favorables à un meilleur accompagnement, à une action pour que l’enfant soit à l’école le plus vite possible, dès la maternelle. Cela nécessite un gros travail d’information. Les Roms ont une vie précaire et n’ont jamais senti les avantages de la scolarité, car ils ont été discriminés. Quand un médiateur les guide, les met à l’aise, les informe, gagne leur confiance, souvent le but est atteint. A ce niveau-là, il y a une tendance à l’amélioration. Mais il faut des médiateurs. »
Si Koen Geurts souligne les résultats positifs qu’a engrangés le Foyer, il ne verse pas pour autant dans l’angélisme : « Malgré le travail de médiation, il y a des récalcitrants. Si des parents refusent que leur enfant aille à l’école, il faut d’abord voir pourquoi. Et si des parents exploitent leurs enfants, alors pourquoi pas une sanction ? Il faut en effet prévoir une force sanctionnante qui soutient le travail des médiateurs. Cela peut être une mesure du Juge de la jeunesse, ou une petite amende, adaptée à la réalité de ces familles, il faudrait presque encadrer ces familles pour obliger l’enfant à aller à l’école. Si les juges s’y mettent, cela peut faire bouger les choses, il n’y a pas forcément besoin d’une nouvelle loi. »
Mendier, c’est maltraiter ?
Reste qu’aux yeux de beaucoup, la pauvreté n’exonère pas les parents de protéger leur enfant. Et les amener en rue ne serait pas la meilleure manière de le faire. Christine Defraigne, et beaucoup d’autres, parlent même de « maltraitance ». Ils réclament l’interdiction pure et simple de toute forme de mendicité impliquant – même indirectement – des enfants, en s’appuyant notamment sur les observations finales du Comité des droits de l’enfant adressées à la Belgique en juin 2010. Ce dernier avait demandé « d’interdire expressément le recours aux enfants pour mendier en rue, que les adultes impliqués soient ou non les parents. » Aux yeux des associations, la réalité est plus nuancée. Koen Geurts attire notre attention sur la nécessité de bien distinguer les différents âges des enfants roms : « Outre les problèmes d’argent et d’information, il faut savoir que l’idée même de crèche est taboue chez les mères roms. Elles nous interpellent en disant qu’elles s’occupent de leurs enfants. Elles considèrent le fait de mettre un enfant en crèche à trois mois comme un abandon. De même, l’école à trois ans, c’est très tôt pour elles. Donc elles emmènent leur enfant sur leur lieu de « travail ». »
« Une chose est sûre, personne n’affirme que la place de ces enfants est dans la rue », affirme Frédérique Van Houcke de la Coordination des ONG pour les droits de l’enfant5. Interdire la mendicité et punir les parents n’est, selon elle, pas une fatalité : « Lorsqu’il ne s’agit pas de traite, mais de survie, il faut soutenir les parents pour qu’ils ne soient pas contraints de mendier. Plutôt que de les sanctionner, il faudrait penser à des incitants pour que les enfants aillent à l’école. »
Parmi les motivations de Christine Defraigne dans sa volonté d’éradiquer la mendicité infantile, figure en bonne place la volonté de mieux lutter contre la « traite des êtres humains ». « Avec cette loi, on vise une meilleure lutte contre la traite et l’exploitation. On crée une brèche dans les filières qui exploitent les enfants », explique-t-elle.
Mais ces réseaux existent-ils ? Sont-ils fantasmés ou bien ancrés ? Difficile à dire. Dans le rapport 2008 du Centre pour l’égalité des chances et de lutte contre le racisme, on pouvait lire qu’il est « difficile d’enquêter parce que cette communauté est très inaccessible et difficilement approchable ».
La coordination des ONG pour les droits de l’enfant – se basant notamment sur des chiffres du CECLR – estime que ces réseaux sont une « réalité marginale ».
Une magistrate qui suivait ces dossiers à Bruxelles nous affirme qu’à l’époque (il y a plus de deux ans) : « aucun réseau organisé de traite d’enfants et d’exploitation de la mendicité collective n’avait été trouvé ». Et aujourd’hui ? D’autres sources affirment qu’il existe bien des réseaux, mais que la police connaît de nombreuses difficultés à prouver ces faits. Le Centre pour l’égalité des chances précise qu’il faut être très prudent avant de tirer des conclusions. « Il y a des indications dans d’autres pays que des réseaux existent. Il doit donc en exister ici aussi. Il faut donc faire attention avant de minimiser le phénomène », nous dit-on, « car il y a trop peu d’informations fiables. »
C’est certainement ce qui a fait dire à Wim Bontings, responsable de la cellule Traite de la Police fédérale, interrogé par la Code que la problématique ne reçoit pas « une attention suffisante des autorités qui permettrait de creuser toutes les pistes de suspicion. »
1. Christine Defraigne :
– Vinâve d’Ile, 9 à 4000 Liège
– tél. : 04 223 01 11
– courriel : contact@christinedefraigne.be
2. André du Bus:
– adresse : chaussée Saint-Pierre, 48 à 1040 Bruxelles
– tél. : 02 648 27 87 – courriel : andre@andredubus.be
3. Centre de Roms Ilo Romano, rue Masui, 129 à 1030 Bruxelles
4. Centre d’intégration Foyer service Roms et gens du voyage
– adresse : rue Mommaerts, 22 à 1080 Bruxelles
– tél. : 02 411 87 32
– site : http://www.foyer.be
5. Coordination des ONG pour les droits de l’enfant :
– adresse : rue du Marché aux poulets, 30 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 223 75 00
– courriel : info@lacode.be