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Faut-il sauver le secret professionnel ?

Le 14 octobre, le groupe PS de la Chambre et l’IEV (Institut Emile Vandervelde – Centre d’études du PS)1 organisaient un colloque sur le secret professionnel. Face aux assauts dela transparence démocratique, quelles est encore sa pertinence ? Le secret professionnel a-t-il encore un avenir ? Étendu à de nouvelles professions et contesté pard’autres principes juridiques, saura-t-il répondre à l’évolution de notre société ?

28-10-2005 Alter Échos n° 196

Le 14 octobre, le groupe PS de la Chambre et l’IEV (Institut Emile Vandervelde – Centre d’études du PS)1 organisaient un colloque sur le secret professionnel. Face aux assauts dela transparence démocratique, quelles est encore sa pertinence ? Le secret professionnel a-t-il encore un avenir ? Étendu à de nouvelles professions et contesté pard’autres principes juridiques, saura-t-il répondre à l’évolution de notre société ?

Mise à mal par un besoin grandissant de transparence démocratique, cette obligation de secret faite aux avocats, aux médecins mais aussi à un nombre grandissant deprofessions, peut être perçue comme désuète et protectionniste. « Le secret professionnel, rappelle Thierry Giet, député fédéral et chefdu groupe PS à la Chambre, constitue le sujet juridique le plus ardu tant il est difficile à saisir, à comprendre, à délimiter. » Le colloque a abordétrois domaines : les nouvelles techniques policières, le secret médical et le blanchiment d’argent. D’autres secteurs, pourtant confrontés parfois de manièrebrûlante à la question, comme notamment les travailleurs du secteur psychosocial, ne seront pas couverts lors de cette première réflexion.

Nécessaire transparence démocratique ?

La volonté actuelle de plus de transparence répond à un besoin grandissant du public d’exiger des comptes aux institutions. « On oppose souvent, préciseEdouard Delruelle, professeur de philosophie politique à l’Université de Liège, secret professionnel et respect de la vie privée ou encore intérêtgénéral. » Mais cette opposition est fausse. « L’intérêt général n’est pas la seule justification de la levée du secretprofessionnel, souligne le professeur. Il relève de l’intérêt d’un patient de pouvoir, par exemple, apporter la preuve de son innocence, si accusé d’uncrime, il peut démontrer être médicalement incapable de l’avoir commis. »

Pour exercer efficacement sa profession, l’avocat ou le médecin doivent pouvoir mettre entre parenthèses l’éthique commune. Mais cette nécessité seheurte à la société qui, elle, se place du côté de la morale et du bien commun. On peut taire de deux manières : en barrant l’accès àl’information en amont ou en imposant le silence en aval. Mais toute règle connaît des exceptions.

Un secret légal mais flou

« En matière de techniques policières, note Me Preumont, le flou juridique règne. » Le code d’instruction criminelle prévoyait en 1808déjà les perquisitions et les saisies, mais rien n’était dit sur les personnes soumises au secret professionnel ! « Tout repose sur les coutumes, les usages »,s’étonne le professeur de l’ULB. Lors d’une perquisition dans un cabinet d’avocats ou chez un médecin, l’usage veut que le bâtonnier ou lereprésentant de l’Ordre des médecins soit présent. Mais cela dépend des relations de confiance entre ceux-ci et le magistrat instructeur.

Les techniques d’enquête ont fait l’objet d’une législation en fonction…. de leur avancée. En 1994, le code d’instruction criminelleréglemente les écoutes téléphoniques, puis en 2000 la surveillance informatique. Celles-ci ne peuvent pas avoir lieu dans les locaux, la résidence et porter sur lesmoyens de communication de l’avocat et du médecin, sauf si ceux-ci ont commis ou participé à l’infraction. Ici aussi, il faut avertir le bâtonnier ou leprésident de l’ordre des médecins. Et seul le juge d’instruction peut saisir la correspondance d’un avocat ou d’un médecin. Encore une fois,bâtonnier et représentant provincial de l’Ordre des médecins doivent être avertis. Mais sans plus.

Secret professionnel et droits de l’homme : ennemis ou alliés ?

« Il existe une alliance toute relative entre le secret professionnel et les droits de l’homme », fait remarquer Sébastien Van Drooghenbroeck, professeur auxfacultés universitaires Saint-Louis. Le secret professionnel n’est pas à proprement parler repris dans la Convention européenne des droits de l’homme, mais saprotection est possible à travers l’interprétation d’autres articles. Ainsi on invoquera le droit au respect de la vie privée1 pour protéger larelation patient-médecin.

Depuis quelques décennies, la police recourt plus systématiquement à des techniques particulières de recherche. Professeur à l’école de criminologieJean Constant à Liège, Gilles Bourdoux souligne que cette nécessité de discrétion dans la mise en œuvre des techniques d’enquête peut se heurterau droit à un procès équitable. Chargé de l’exécution de devoirs d’enquête, le procureur du Roi décide quels éléments del’enquête resteront confidentiels. Ainsi les enquêteurs ne rédigeront-ils pas un procès-verbal mentionnant le nom de leurs indicateurs ou de leurs collèguesinfiltrés. Mais, en cas de dérive, quels mécanismes de contrôle interne pourraient être activés ?

Le secret médical : un droit ou une obligation ?

Sans doute le plus ancien secret professionnel de l’histoire puisqu’il était déjà évoqué par Hippocrate dans son célèbre serment,« le secret médical, résume Philippe Boxho, médecin légiste et professeur à l’ULg, est une épée de Damoclès au-dessus de latête du médecin. » Consigné dans l’article 4582 du code pénal, ainsi que dans l’article 57 du code de déontologie, il oblige lemédecin à taire toute information vue, apprise, constatée, découverte ou surprise dans l’exercice de sa profession. L’objectif ? Permettre au patientd’accéder en toute confidentialité aux soins de santé.

Le patient n’est pas « propriétaire » du secret médical, il ne peut donc autoriser le médecin à le lever même après sa mort. Mais il peutêtre enjoint à un médecin de le lever devant un tribunal ou devant une instance déontologique. Que doit faire un médecin qui dans le cadre de sa fonctiondécouvre un cas de maltraitance ? Rien ne l’oblige à dénoncer à la justice l’auteur soupçonné de la violence. Mais le code de déontologieinvite le médecin à essayer de résoudre le cas par une approche multidisciplinaire. Cependant, de plus en plus de médecins préfèrent avertird’emblée la justice, de crainte de se voir reprocher de ne pas avoir agi avec suffisamment d’efficacité.

Un médecin ne divulguera jamais d’informations précises sur la santé d’un candidat à l’embauche. Il se contentera de répondre si la personneest apte ou non à faire le travail. De la même manière, le médecin est toujours tenu à rendre anonymes les données médicales. Face audéveloppement important du secteur pharmaceutique, on mesure l’intérêt pour les entreprises de posséder des bases de données extrêmement précisessur la santé publique. Le secret médical est bien évidemment remis en question si le médecin est soupçonné d’avoir commis une erreur. Il ne peut seretrancher derrière celui-ci pour ne pas avoir à rendre de comptes. Mais que doit-il faire, par exemple, s’il sait qu’un patient atteint du VIH a des relations sexuelles nonprotégées ? Rien ! Le code de déontologie affirme que les soins sont prioritaires. Mais une décision de justice récente affaiblit ce principe en mettant le principede nécessité en avance.

Notaires face au blanchiment d’argent : enquêteurs malgré eux ?

Dernier sujet abordé lors du colloque : les notaires face au blanchiment d’argent. Il s’agit là sans doute du sujet le plus controversé, car il marque unedangereuse évolution. Les notaires sont désormais obligés de déclarer à la Cellule de traitement des informations financières (CTIF)3 leurssoupçons quant aux éventuelles pratiques de blanchiment d’argent de leurs clients. Les avocats se mobilisent actuellement contre cette disposition qui les concerne aussi.

Face à ces distorsions imposées au secret professionnel, n’est-il pas urgent de s’interroger sur le risque de voir celui-ci vidé de son sens ? « On ouvre desbrèches, regrette Me Preumont, dans un souci de sécurité et d’efficacité. Mais attention au mouvement de balancier… Quand on aura tout mis par terre, onreviendra à ces valeurs, mais il faudra alors tout reconstruire. »

1. IEV, bld de l’Empereur, 13 à 1000 Bruxelles – tél. : 02 548 32 90 – site

1. L’article 8 de la Déclaration européenne des droits de l’homme prévoit que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, deson domicile et de sa correspondance. Il ne peut donc y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévuepar la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûretépublique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de lasanté ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
2. Un texte fondamental organise le secret professionnel. Il s’agit de l’article 458 du code pénal qui stipule que « les médecins, les chirurgiens, officiers desanté, pharmaciens, sages-femmes et toutes les autres personnes dépositaires par état ou par profession, des secrets qu’on leur confie (cette définition comprenddonc les travailleurs sociaux, NDLR), qui hors les cas où ils sont appelés à rendre témoignage en justice et celui où la loi les oblige à faireconnaître ces secrets, les auront révélés seront punis d’un emprisonnement de huit jours à six mois et d’une amende de cent francs à cinq centsfrancs. »
3. Depuis 2004, notaires, experts-comptables, huissiers, réviseurs d’entreprises, etc. doivent avertir la CTIF de leurs soupçons de blanchiment de capitaux.

nathalieD

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