Conçu à l’origine par les États désireux de contrôler les flux migratoires, le visa n’empêcherait en rien le trafic des êtres humains etne dissuaderait pas l’immigration illégale. Ne faudrait-il pas tout simplement supprimer cet outil obsolète ?
C’est cette question provocante que posaient Jean-Yves Carlier et Sylvie Sarolea lors de la journée d’étude consacrés aux visas organisée le 10 novembre parle Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme. Provocante, certes, mais peut-être pas si insensée.
Professeur de droit international à l’UCL, Jean-Yves Carlier précise d’emblée que son analyse porte sur le visa de courte durée nécessaire pour unséjour de maximum trois mois pour des motifs de tourisme, d’enseignement, de voyage d’affaires, de visite familiale ou de prestations temporaires (services, colloques, art).Avocate et chargée de cours à l’UCL, Sylvie Sarolea rappelle que « longtemps les États ont émis deux types de visas : d’entrée et de sortie». Le dernier, encore pratiqué par les pays du bloc de l’Est avant la chute du mur de Berlin, a été aboli par les pays de l’Union européenne au nom dudroit fondamental repris dans la Déclaration universelle des droits de l’homme : « Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien. »
Sa suppression n’entraînerait pas, rappelle Jean-Yves Carlier, la fin des contrôles aux frontières. Cela ne reviendrait pas non plus à supprimer les conditionsmises au court séjour : indication du logement, preuves de moyens de subsistance, invitation ou autorisation pour des prestations de courte durée.
Quelles raisons pourraient pousser les États à renoncer à ce moyen de contrôle ? « Le droit de sortie d’un pays est mentionné dans les principauxtextes de protection des droits de l’homme, souligne Sylvie Sarolea, et à moins de pouvoir rester en équilibre sur une frontière, il implique donc le droit d’entrerdans un autre pays. » Sans aller jusqu’à reconnaître pour autant le droit à l’immigration, le droit de sortir librement de tout pays, y compris le sien,entraîne la reconnaissance du droit de voyager, « d’aller voir ailleurs comment les choses se passent », le droit tout simplement de rendre visite à sa famille, derencontrer des collègues étrangers.
D’autres arguments pratiques prêchent en faveur de la suppression des visas pour séjour de courte durée. Les défenseurs du maintien de la précieuseautorisation invoquent le maintien de l’ordre public et la sécurité et le contrôle de l’immigration et la lutte contre l’immigration irrégulière.« Mais, rappelle Jean-Yves Carlier, a-t-on jamais vu des terroristes arrêtés pour défaut de visa ? »
Les effets pervers sont nombreux. Loin de favoriser un contrôle efficace de l’immigration clandestine, le visa la favoriserait en rendant l’eldorado d’autant plus attrayantqu’il est inaccessible. Par ailleurs, aucune frontière ne peut se vanter d’être infranchissable et l’essor récent des filières clandestines et maffieusesdémontre que loin de dissuader, les mesures visant à faire de l’Europe une forteresse, sont surtout inefficaces et dangereuses. En témoignent les cadavres quiéchouent le long des côtes espagnoles ou que l’on découvre dans des camions-frigos.
La difficulté d’obtenir un visa incite les gens à ne plus oser repartir. Les files d’attente interminables devant les ambassades, les démarches contradictoires etvexatoires témoignent d’un manque de respect pour le demandeur. De plus, la gestion de la politique des visas dans les postes diplomatiques ont un coût humain et financierimportant. Sans parler du frein aux échanges commerciaux entre États et aux rencontres culturelles et intellectuelles.
Comment supprimer le visa ?
Le professeur de l’UCL propose quatre étapes. Dans un premier temps, les États devront être tenus de motiver les refus. Et des recours devraient pouvoir êtreintroduits. Ensuite, dans une deuxième phase, on prévoira la délivrance automatique du visa si aucune réponse n’est obtenue dans le délai prévu.
Dans un troisième stade, la délivrance du visa sera automatique : le demander, c’est l’obtenir. Mais l’obligation de le demander sera maintenue. Pourquoi ? Afind’éviter une immigration incontrôlée. La personne devra être correctement informée au poste diplomatique du caractère limité du droit au voyage.Les États membres pourront ainsi décompter le nombre de visas délivrés et le nombre de retours. Une façon de mettre fin à certains fantasmes et d’avoirune idée claire des flux de populations.
Enfin, dernière étape, la suppression pure et simple des visas de courte durée. Avec une balise de sécurité pour les États : la possibilité de leréintroduire si par exemple la situation d’un pays tiers devait changer. « La frontière ne serait plus tant un lieu de conflit, conclut Jean-Yves Carlier, mais un lieu derencontre, un lieu-lien. »