L’extension de la Centrale des crédits aux particuliers aux dettes hors crédit (téléphonie, hôpital, énergie, loyer, etc.) est une des revendicationsdes professionnels du crédit. Ils se sont trouvé un allié de choix en la personne du ministre fédéral pour l’Entreprise, Vincent Van Quickenborne (Open VLD).Mais aussi quelques solides contradicteurs…
Pour rappel, la Centrale des crédits aux particuliers, gérée par la Banque nationale de Belgique, enregistre depuis 1987 les contrats de crédit à la consommationet les contrats de crédit hypothécaire qui font l’objet de défauts de paiement : c’est ce qu’on appelle le volet « négatif » de la Centrale.Depuis la loi du 10 août 2001, il a également été introduit un volet positif, c’est-à-dire un enregistrement de l’ensemble des contrats de crédità la consommation et des contrats de crédit hypothécaire, mis en place en 2003. « Or, constate le ministre fédéral pour l’Entreprise et laSimplification, Vincent Van Quickenborne, selon les chiffres livrés par la Banque nationale, 30 % des dossiers de personnes en règlement collectif de dettes concernent des dettesliées non seulement au crédit mais aussi aux télécoms. Il serait donc opportun d’élargir la Centrale à d’autres dettes. Le but de ma propositionest de protéger encore mieux le consommateur et l’emprunteur. Il est évident que l’élargissement de la Centrale n’est pas le moyen ultime de résoudretous les problèmes de surendettement mais cela pourrait être un instrument précieux. Je peux renvoyer à d’autres pratiques exercées en Allemagne et auxPays-Bas qui connaissent déjà un élargissement de cette Centrale aux dettes en rapport avec l’énergie et les télécoms. Nous serons par ailleursattentifs à la manière dont les données seront rassemblées ou consultées1. » Selon le ministre pour l’Entreprise, un cadre juridique correctdoit être créé et chaque initiative réglementaire devra être soumise à la Commission de l’économie et, pour avis, à la Commission de laprotection de la vie privée.
Pour une meilleure prévention du surendettement ?
À l’Union professionnelle du crédit (UPC)2, on se dit satisfait de la proposition du ministre : « Nous plaidons depuis longtemps pour l’extension desdonnées enregistrées à la Centrale des crédits aux particuliers, expose Piet Van Baeveghem, secrétaire général de l’UPC. Actuellement, seuls lescontrats de crédit sont enregistrés. Mais le prêteur doit tenir compte de toutes les dettes avant d’octroyer le crédit, donc également des facturesd’énergie, d’hôpital, de loyer, etc. qui seraient en souffrance. La loi stipule que l’emprunteur doit en informer le prêteur. Mais cela ne se passe pas toujoursainsi dans la réalité et le prêteur n’a aucun moyen de contrôle. On attend, par ailleurs, toujours la création du fichier des avis de saisie promis depuis bellelurette. Quant aux autres contrôles, on peut toujours demander une fiche de salaire pour vérifier les rentrées financières mais il n’existe pas de documents quel’emprunteur puisse fournir qui stipule qu’il n’a aucune autre dette. Or la loi oblige le prêteur à vérifier ces données sans lui en donner les moyens.L’élargissement de la Centrale permettrait de décentraliser les données, de les objectiver et, ainsi, de mieux outiller les prêteurs avec un impact positif sur lalutte contre le surendettement. » Et d’ajouter : « Si on ne nous donne pas les moyens de répondre aux exigences de la loi, alors il faut changer la loi ! »
À côté de l’UPC, la Fédération belge de la distribution 3 (Fedis) a également donné de la voix. Ainsi Dominique Michel, sonadministrateur délégué, a déclaré fin 2008 dans une carte blanche : « Pour la Fedis, la banque de données de la Centrale des crédits auxparticuliers doit être élargie à toutes les dettes impayées du candidat emprunteur. La plupart des arriérés de paiement sont la conséquenced’imprévus tels que le divorce, la maladie, la perte d’emploi ou l’accident. Le crédit n’est pas un vice, et le crédit en magasin l’est encoremoins. Réfléchir au crédit et sensibiliser les consommateurs à leur comportement est plutôt positif. Diaboliser les secteurs, certainement pas. » Uneflèche décochée au passage à l’adresse de la Plate-forme « Journée sans crédit » qui dénonce la trop grande facilité aveclaquelle, dans certaines grandes surfaces, sont octroyées les ouvertures de crédit.
Baisse du pouvoir d’achat versus surendettement
« Le fait que bon nombre de personnes se retrouvent confrontées à la baisse du pouvoir d’achat et qu’elles éprouvent dès lors, parfois, desdifficultés à payer certaines factures, constitue une réalité, explique la Plateforme « Journée sans crédit4 » dans une note trèsargumentée sur son opposition à tout élargissement de la Centrale. Avoir des problèmes pour payer certaines factures telles que les factures d’énergie, deloyer, de télécommunications ou d’hôpital, ne signifie toutefois pas la même chose que d’avoir des dettes, et certainement pas que d’être »surendetté ». Beaucoup de personnes qui font face à de tels problèmes de paiement (temporaires) obtiennent en effet des facilités de paiement de la part ducréancier, si bien qu’il n’est pas question d’une « dette » au sens d’un défaut de paiement. » Dans 80 % des dossiers de surendettement enregistrés,on retrouve d’ailleurs au moins un contrat de crédit.
« En sus, il ressort de la jurisprudence que ce sont surtout les prêteurs qui sont condamnés en raison d’un examen insuffisant de la situation et/ou d’infractionsà leur devoir d’information et de conseil, explique Mohamed El Omari, juriste au Vlaams Centrum Schuldbemiddeling5, également membre de la Plate-forme. Iln’arrive presque jamais qu’un consommateur soit sanctionné parce qu’il aurait fourni des informations incorrectes. Et les arguments invoqués par l’UPC ne sontpas corrects : il n’est pas exact d’affirmer que le prêteur n’a aucun moyen de contrôle. Dans le cadre de l’examen obligatoire de la solvabilité selonl’art. 10 de la loi relative au crédit à la consommation, le prêteur peut parfaitement demander les pièces justificatives qui sont nécessaires pourcontrôler les
affirmations du consommateur. Un tel examen, effectué de manière approfondie, peut donner les garanties nécessaires quant à l’actualité età l’exactitude des données demandées et ce, sans qu’il faille créer une centrale coûteuse et lourde. »
Pas de listes noires bis !
Autre argument qui incite à la méfiance, selon la Plate-forme : le fonctionnement des listes noires actuelles, comme Préventel dans le secteur destélécommunications et le fichier RSR de Datassur (dans lequel sont enregistrés les défauts de paiement de contrats d’assurance). « Elles illustrent les grandsrisques d’erreur, d’enregistrement injustifié et d’abus, notamment les menaces d’enregistrement comme moyen de pression. Prendre des mesures pour lutter contre lesurendettement, c’est une chose mais il importe que des droits fondamentaux, comme le droit à la protection de la vie privée, ne soient pas mis à mal. »
Et Marc Vandercammen, directeur général du Centre de recherche et d’information des organisations de consommateurs (Crioc)6, également membre de la Plate-forme, derappeler la mésaventure arrivée au Crioc qui s’est retrouvé fiché chez Preventel : « À la suite d’une faute administrative d’unopérateur, nous avons été repris sur la liste de Preventel, ce qui implique qu’il devient impossible de conclure un contrat avec un quelconque opérateur detéléphonie. La raison de notre mention dans cette liste noire ne nous a pas été communiquée, alors que nous en avions envoyé la demande à Preventel età l’opérateur. Une obligation légale leur impose pourtant d’informer le client. Par la suite, malgré notification de l’erreur et transmission de toutesles informations pertinentes aux personnes responsables, les rappels ont cependant continué à nous parvenir. Les fautes administratives n’ont pas cessé des’accumuler… Bien que le problème porte sur des factures datant du mois de juin et que le Crioc soit, à tort, mis sur la liste noire au mois d’août, lasituation n’a été régularisée qu’au mois de novembre. Cela démontre bien la situation problématique dans laquelle peut se retrouver unconsommateur qui se voit à tort repris sur une liste noire et cela, pendant plusieurs mois, malgré le fait qu’il ait déjà apporté la preuve qu’iln’a commis aucune faute ! »
Le pas dans la porte
Une crainte souvent évoquée aussi par la Plateforme : le fait que les professionnels du crédit ne prennent prétexte de l’élargissement de la Centraleà d’autres formes de dettes pour demander que le Fonds de traitement du surendettement, actuellement alimenté par les seuls prêteurs, soit élargi aux autresopérateurs. Piet Van Baeveghem, secrétaire général de l’UPC, nous certifie ne faire aucun lien entre les deux dossiers ; la Plate-forme y voit, elle, par contre unlien très clair : « L’UPC et un certain nombre d’établissements de crédit ont demandé l’annulation devant la Cour constitutionnelle (quis’appelait alors la Cour d’arbitrage) des dispositions de loi applicables qui les rendent seuls contributeurs. Ce recours en annulation a été rejeté. Àprésent, le secteur introduit en fait la même demande par un moyen détourné : si d’autres créanciers sont enregistrés dans la Centrale descrédits aux particuliers, on peut de nouveau avancer comme argument qu’ils doivent aussi contribuer au Fonds de traitement du surendettement. Ce rapport est clairement expliquédans le texte de l’UPC, Crédits aux particuliers 2008. Où allons-nous ?
Un plaidoyer par ailleurs repris tout récemment par le CDH qui a déposé une proposition en ce sens au groupe de travail Chambre-Sénat qui devra remettre desrecommandations au gouvernement fédéral : « Notre priorité est le renflouage du Fonds de traitement du surendettement dont les caisses sont vides… Nous sommesà la mi-mars et son budget annuel, qui se monte à 5 millions, est quasi intégralement consommé, avance Vanessa Matz, sénatrice CDH7. Actuellement,à peine 417 organismes prêteurs, essentiellement les banques, alimentent ses caisses, alors que le secteur compte 30 000 opérateurs (la grande distribution, lessociétés de crédit « facile », la vente par correspondance, les opérateurs téléphoniques…). Chacun doit contribuer au Fonds, en fonction de ses parts demarché. »
Le risque de « Big Brother » !
Dans ce débat, il est un ministre concerné par la question que nous n’avons pas encore évoqué, c’est Paul Magnette (PS), en charge de la Protection duconsommateur. Dans une réponse adressée à une question parlementaire de la députée fédérale Karine Lalieux (PS) en février 2008, ilprécisait ceci : « Une extension des données reprises dans la Centrale des crédits aux particuliers me semble recommandée, mais doit être envisagée avecprudence en raison des répercussions techniques et financières qui pourraient entraver la faisabilité du projet. Des études approfondies doivent êtreeffectuées. Je compte demander à la Banque nationale de les réaliser. » Selon le cabinet de Paul Magnette, les résultats de cette étude étaientannoncés pour septembre 2008. Or, fin mars 2009, le cabinet attend toujours la fameuse étude de la BNB. Vincent Van Quickenborne parle, quant à lui, de mai ou juin2009…
En attendant les résultats de cette étude, le ministre Magnette veut rester prudent, mais cela ne l’a pas empêché de s’exprimer assez clairement en janvierdernier lors d’un lunch où il était invité par l’UPC : « Bien sûr, un tiers des surendettés n’ont aucun crédit en défautde paiement enregistré dans la Centrale de la BNB. Ce qui montre que les causes du surendettement ne se limitent pas au crédit : de plus en plus de consommateurs sont confrontésà d’autres difficultés de paiement, comme celles relatives aux factures d’énergie, de téléphonie, d’hôpitaux et aux impôts. Ce seraitdonc à ces secteurs à contribuer au Fonds ? Cela ne me semble pas envisageable à moyen terme et ce, même si j’ai demandé à la Banque nationaled’étudier la possibilité d’élargir la Centrale des crédits à d’autres secteurs que les secteurs bancaires. La banque centrale étudieactuellement l’existence d’un lien éventuel entre les défauts de paiement en téléphonie et les défauts de paiement en crédit. Toutes ces pistes,nous les explorons. Mais soyons clairs, il n’est pas acceptable de créer, comme certains le voudraient, un Big Brother du crédit, un fichier ce
ntral qui permettraitd’identifier les potentiels bons et mauvais clients et qui, par conséquent, permettrait de les exclure de la consommation. Un tel fichier n’est envisageable que dans le cadred’un renforcement de la lutte contre le surendettement. » Voilà qui devrait faire plaisir à la Plate-forme « Journée sans crédit » qui conclut sesrecommandations sur ces mots : « Plutôt que de créer une nouvelle centrale de l’endettement, il faudrait se concentrer sur l’amélioration du respect desobligations d’information, de conseil et de prudence des prêteurs et des intermédiaires de crédit. C’est le moyen idéal d’avoir un bon aperçu de lasituation actuelle des dépenses (domestiques) courantes. »
1. Extrait de la réponse de Vincent Van Quickenborne à trois questions parlementaires en Commission de l’économie le 20 janvier 2009.
2. UPC :
– adresse : rue d’Arlon, 82 à 1040 Bruxelles
– tél. : 02 507 68 11
– courriel : upc-bvk@febelfin.be
– site : www.upc-bvk.be
3. Fédis :
– adresse : av. E. Van Nieuwenhuyse, 8 à 1160 Bruxelles
– tél. : 02 788 05 00
– courriel : info@fedis.be
– site : www.fedis.be
4. La Plate-forme compte 14 membres (les Équipes populaires, le Grepa, le Crioc, Dignitas, le Gils, le GAS, le Centre de Référence du Hainaut, le Réseau FinancementAlternatif, Verbruikersateljee, Vlaams Centrum Schuldbemiddeling, KAV, Beweging van Mensen met Laag Inkomen en Kinderen, Groupe Prévention Surendettement et le VlaamsNetwerk van verenigingen waar armen het woord nemen).
Toutes les infos et les recommandations 2008 de la Plate-forme sur :
www.journeesanscredit.be
5. Vlaams Centrum Schuldbemiddeling :
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– courriel : info@centrumschuldbemiddeling.be
– site : www.centrumschuldbemiddeling.be
6. Crioc:
– adresse : Paepsem Business Park, bd Paepsem, 20 à 1070 Bruxelles
– tél. : 02 547 06 11
– courriel : info@crioc.be
– site : www.crioc.be
7. In Le Soir du 14 et 15 mars 2009.