Six mois après l’entrée en fonction des nouveaux ministres, où en est-on dans la mise en œuvre de la régionalisation de la santé à Bruxelles? Quels impacts sur les publics précarisés? Le second midi-débat «santé et précarité» organisé par Médecins du monde et l’Agence Alter le six mars dernier s’est penché sur ces questions. Bref compte-rendu.
«Assurer la continuité, c’est le premier objectif», a entamé Luc Detavernier, conseiller «santé» au cabinet de Didier Gosuin, en charge de la Politique de la Santé à la Cocom. Le but, on le sait, est de garantir ce qu’on appelle le standstill. Autrement dit, de préserver les droits et les financements actuels des institutions. Un objectif qui semble être un défi en soi. Car il faut «s’y retrouver dans les matières transférées, dans la répartition des financements», détaille le conseiller du ministre. Lequel a demandé aux acteurs de terrain «d’être indulgents», tout en cherchant à se montrer rassurant: «Nous commençons à y voir clair…»
De quoi réconforter le terrain et les acteurs concernés par ces transferts? Rien n’est moins sûr. «Oui la réforme de l’État est une opportunité pour une politique plus cohérente, a réagit Naïma Regueras, du service du service recherche et développement des Mutualités chrétiennes. Mais la première question que l’on se pose, c’est: a-t-on l’argent pour réaliser cette réforme? Les moyens vont-ils suivre pour répondre aux besoins de nos membres?» Clef démographique, inflation, croissance du PIB: aucune des trois composantes dont dépendra l’évolution des montants transférés n’évolue très positivement, a expliqué la représentante mutuelliste. Avec le risque sous-jacent de l’arrivée massive, dans le champ de la santé, de nouveaux acteurs privés.
Au total, on le sait, sur les 20 milliards d’euros qui sont transférés toutes matières confondues, 2 disparaîtront au bout du compte. La conséquence transparaît clairement: c’est un définancement structurel qui pointe à l’horizon.
Autre pan dont on parle moins: la régionalisation d’une part de la perception de l’IPP. Dès 2015, les régions pourront en effet percevoir une part de l’IPP, ce qui accroîtra leur autonomie fiscale. L’impôt fédéral sera réduit, selon un mode de calcul assez complexe, au bénéfice des régions, qui pourront prévoir des augmentations ou des réductions d’impôt. Dans ce contexte, explique Pierre Schoemann, directeur administratif du Projet Lama, une réforme fiscale au fédéral pourrait, en cascade, avoir des effets négatifs sur les Régions.
Un OIP et des basculements
Le 17 octobre dernier, un avant-projet d’ordonnance «portant organisation et fonctionnement de l’organisme bicommunautaire de la santé et de l’aide aux personnes», autrement dit, le nouvel OIP du social et de la santé à Bruxelles, a été voté.
Ce dernier, qui porte le joli petit nom d’Iriscare, devrait comme en Wallonie prendre la forme d’une structure «type Inami», associant les syndicats, les représentants d’employeurs, les organismes assureurs (mutuelles) et des «représentants des prestataires de soins». (Ces derniers ne sont pas vraiment définis dans le texte). Didier Gosuin mise sur le fait que la structure sera en place pour la fin de l’année.
La plupart se disent rassurés par le modèle choisi. Mais des questions subsistent: comment et par qui les patients et usagers seront-ils représentés? Quels seront les rapports de force dans l’OIP lui-même (par exemple, entre acteurs privés commerciaux du secteur des maisons de repos et petites structures associatives)? Quelle consultation des acteurs qui resteront hors de l’OIP? Comment accorder des politiques sociales et de santé de plus en plus différenciées entre Bruxelles et la Wallonie d’un côté et la Flandre de l’autre?
Iriscare va donc gérer l’ensemble des budgets transférés du fédéral vers la Cocom. L’idée étant que tous les budgets liés à la santé passent de la CFWB à la Cocof (en vertu des accords de la Sainte-Émilie), puis de la Cocof vers la Cocom, afin d’amener plus de cohérence dans des politiques jusqu’ici éclatées entre Cocof, Communauté flamande et Cocom. Cela implique un «basculement» des structures transférées du monocommunautaire (Cocof) vers le bicommunautaire (Cocom).
Dans le secteur des maisons de repos et des maisons de repos et de soins, la plupart des institutions ont déjà demandé leur «basculement» vers la Cocom, a expliqué le représentant du cabinet de Didier Gosuin: au premier décembre dernier, seules 4 d’entre elles n’avaient pas encore «basculé», mais en avaient déjà fait la demande. En 2016, l’ensemble du mouvement devrait être terminé.
Les institutions néerlandophones sont-elles également en train de migrer vers la Cocom? Ou est-on en train d’organiser «une grande programmation bilingue francophone»? a demandé Alain Willaert (CBCS), un brin d’ironie dans la voix? Aucune institution néerlandophone n’aurait sollicité ce basculement, confirme en effet Luc Detavernier. «Mais nous n’avons pas de problème pour nous parler. C’est même mieux si ces associations fonctionnent avec davantage de moyens, ces derniers provenant de la Flandre.»
Quel horizon pour les publics précaires?
En toile de fond, l’austérité. En avant plan, la sécurité sociale, tout doucement détricotée (17% du budget Inami sort du système de la sécurité sociale pour aboutir dans les mannes régionales). Et des acteurs de terrain sous pression. Les CPAS, entre autres, ce dernier filet de sécurité pour les personnes passées à travers les mailles de la sécurité sociale, subissent une pression financière, en conséquence de l’exclusion des chômeurs, et une pression politique liée au projet de fusion avec les communes. Le secteur non-marchand dans son ensemble risque lui aussi de s’appauvrir si la politique des ACS passe dans le giron de l’insertion socioprofessionnelle, plutôt que de rester une aide structurelle à l’emploi.
Les représentants du cabinet de Didier Gosuin ont beau assurer que le manque d’argent sera le terreau de l’innovation et de la créativité, on n’entrevoit à l’horizon qu’un ciel sombre et menaçant, au-dessus de la tête des plus précaires. «La 6ème réforme a de bonne chances d’augmenter les inégalités sociales et les inégalités de santé, par des effets qu’on ne mesure pas très bien», expose Jacques Moriau, chercheur de la Plastic (Plateforme associative de suivi du transfert de compétences en Région de Bruxelles-Capitale, CBCS).
Plusieurs pistes se dégagent néanmoins. La première: articuler. Articuler, à Bruxelles, la santé et le social dans une politique globale, en mettant en place des postes de coordination, des accompagnateurs sociaux… Plus largement, articuler la politique de la santé avec celles de l’éducation, de la formation, du logement, pour agir sur les déterminants sociaux.
La seconde, profiter de la sortie des budgets de la santé de la sécurité sociale, pour réintégrer dans le système ceux qui en sont exclus. Autrement dit, rembourser les actes médicaux touchant des patients sans couverture mutuelle, et reconnaître ainsi le travail réalisé par les services à bas-seuil. «Il faut mettre mettre en place un système qui active les droits des personnes, plutôt que d’activer les personnes elles-mêmes», s’est indigné Jacques Moriau.
Troisième piste, mutualiser ses moyens, ses efforts, par la voie de l’élaboration de projets de centres de santé intégrés alliant les énergies d’acteurs de terrain divers, ayant l’habitude de travailler avec des publics similaires.
«Dans tous les dossiers qui nous sont soumis, la précarité est présente», confirme Luc Detavernier, qui affirme la volonté du ministre de se concerter avec le terrain pour construire le Plan de Santé des Bruxellois (PSB) annoncé par la déclaration de politique gouvernementale de la Cocom: «Je vais être très honnête avec vous, nous avons les têtes de chapitre, mais on est en plein dans la construction, qui doit se faire avec les acteurs de terrain. Notre ministre met beaucoup l’accent sur l’évaluation. Nous devons cartographier les acteurs existants, évaluer les dépenses publiques et travailler ensemble pour construire un modèle bruxellois qui soit efficace et efficient.»
Ce souhait de concertation fera certainement plaisir aux acteurs de terrain, qui doivent néanmoins rester quelque peu sur leur faim quant au projet de politique de la santé du ministre, qui reste quelque peu… nébuleux.
Un article plus complet fera le point sur la régionalisation de la santé en Wallonie et à Bruxelles dans un prochain numéro d’Alter Échos.
Aller plus loin
Alter Échos n°277 du 10.03.2014: «Régionalisation, bonne pour la santé?»
Alter Échos 398 du 01.03.2015: «Après le brouillard, le trou noir» (édito)