En mars dernier, la première maison Abbeyfield publique de Wallonie a été inaugurée à Perwez. Le projet est novateur pour les pouvoirs publics confrontés au défi de la prise en charge et du logement des seniors. Il l’est tout autant pour ces nouveaux habitants confrontés au difficile art de vivre ensemble. Mais ils abordent l’expérience avec sérénité et confiance.
Cela sent le neuf. Le lotissement vient de sortir de terre. Le terrain autour de l’immeuble reste encore vague. Bientôt ce sera un jardin avec peut-être un potager collectif. La majorité des appartements sont encore vides mais la salle à manger, la cuisine sont des lieux que l’on sent déjà investis. Pas (encore) de télé mais un ordinateur sur un bureau et une vue imprenable sur les éoliennes de Perwez.
Cela sent le neuf pour Francis, Jacqueline et Michel aussi. Ils se sont rencontrés pour la première fois fin 2014 et cela fait un bon mois qu’ils cohabitent, ou plutôt qu’ils vivent ensemble. En apprenant tout doucement à se connaître les uns les autres, à négocier les règles de vie commune.
Le Blanc Bwès (Bois blanc pour les non-Wallons) est la première maison Abbeyfield publique de Wallonie. Dix appartements de 45 m2, une chambre d’ami, une pièce commune avec cuisine, salon, terrasse. Ils ne sont que trois à habiter les lieux pour le moment mais deux «stagiaires» sont annoncés pour le mois de mai et deux autres en juin. Stagiaires? Le mot peut faire sourire mais il s’applique bien. Les nouveaux arrivants devront apprendre à vivre avec les trois pionniers et inversement. Il s’agit surtout de s’approprier une manière d’habiter, de participer à un projet. Pour Francis, Michel et Jacqueline, le fait d’adhérer à Abbeyfield est le résultat d’une réflexion, d’une adhésion en phase avec leurs valeurs et leur expérience de vie. Tous ont en commun le fait d’avoir travaillé dans tout ce qui touche à la coopération, à l’alternatif, au social. Francis, sociologue, a formé des travailleurs sociaux, s’est investi dans le SEL (service d’échanges locaux) de Grez-Doiceau-Beauvechain. Jacqueline a fondé le GAM (Groupe d’action musicale) dans les années 70, Michel a été producteur d’aliments bio et est un fervent promoteur des entreprises collectives du type coopératives. «Ce qui nous rassemble est d’avoir vécu une expérience collective forte», résume Francis.
Comment se sont-ils retrouvés à trois dans cet immeuble tout neuf? Michel (66 ans) est attiré par l’habitat groupé depuis longtemps. Il a tenté de lancer des expériences de ce genre avec des amis. «Il fallait à la fois trouver un bien immobilier mais aussi réussir le ‘vivre ensemble’, et ce sont deux choses bien différentes.» Il a fini par se tourner vers Abbeyfield et fait partie du projet de Perwez depuis le début. «C’est une solution pour moi individuellement mais l’aspect expérimental, le projet de société que cela recouvre me séduisent également.» Francis (72 ans) s’est intéressé au concept Abbeyfield, il y a une petite dizaine d’années. Il a lu les textes fondateurs. «J’étais alors confronté à une crise personnelle. Je me suis beaucoup questionné sur la transition. Comme celle de la vie active à la retraite. Abbeyfield m’est apparu comme une réponse à la question de savoir comment bien vivre sa vieillesse.»
Vieillir. Quitter le monde actif. Pour Jacqueline, la transition a été rude. Pension, enfants partis, une sérieuse dépression qui lui a appris «la nécessité de s’accompagner les uns les autres». Puis le constat que la maison «ne convient plus». «Je devais déménager, dit-elle. C’est une réalité toute simple de vieillir mais ses étapes sont difficiles. J’ai appris en tout cas que tout ce qui rassemble est bon.»
S’ouvrir sur le quartier
Les maisons Abbeyfield s’adressent prioritairement à des personnes âgées d’au moins 55 ans, seules et autonomes. Au Blanc Bwès, il y a des appartements à l’étage mais aussi un ascenseur. Parce que ses habitants le savent, il viendra un jour où l’accessibilité des pièces communes ou des appartements posera problème. «Nous voulons terminer notre vie de la manière la plus autonome possible, explique Francis. Mais ce qui nous menace le plus, c’est la dégradation progressive de cette autonomie. Ce n’est pas simple à accepter.» Jacqueline se rassure à l’idée que le Blanc Bwès n’est pas très éloigné d’une maison de soins si jamais… Mais elle sait, comme les autres, que l’essentiel reste la présence attentive de ses colocataires. «On parle souvent de la nécessité de soins médicaux mais notre projet de vie peut avoir une dimension de ‘soin social’. On se soigne les uns les autres. Dans les maisons Abbeyfield en Allemagne, on constate que la longévité de ses habitants est plus longue», poursuit Francis.
Francis, Michel et Jacqueline veulent donc franchir cette étape de la vie qu’est la vieillesse avec sérénité et dans l’échange. Ils partagent les repas, les courses, les loisirs selon l’envie du moment et de chacun. «Avant, je passais mes soirées derrière mon ordi, raconte Michel. Ici, on mange ensemble, on discute.» Mais la vie des habitants du Blanc Bwès ne se limite pas à cette seule expérience communautaire. Il y a aussi les premières approches avec les voisins dans le lotissement, le projet du potager collectif. «Nous voulons nous ouvrir sur le quartier, la commune. Nous avons du temps et nous aimerions pouvoir l’offrir aux jeunes ménages qui vivent près de nous», explique Michel.
Le Blanc Bwès veut s’ouvrir mais dans un premier temps surtout s’ouvrir à d’autres locataires. Avec un souci particulier: assurer la mixité des âges comme des genres, ce qui n’est pas évident. Il y a beaucoup plus de femmes seules à la recherche de ce type d’expérience que d’hommes. «Les hommes âgés refont plus facilement leur vie avec une femme plus jeune, constate Michel. Les hommes sont paniqués à l’idée de vieillir et surtout de vieillir seuls. Nous sommes dans une société qui cache la vieillesse et la mort.»
D’autres projets en Wallonie
Abbeyfield, ce concept anglais d’habitat groupé pour personnes âgées a, en Belgique, une histoire récente et limitée puisqu’il n’existe que quatre «maisons» à Bruxelles et en Wallonie. À chaque fois, il s’agit d’initiatives privées de rénovation d’un bâtiment transformé en appartements. L’idée de réaliser une maison Abbeyfield publique est née en 2009 au moment où André Antoine (par ailleurs bourgmestre de la localité) était ministre wallon du Logement. C’est devenu un projet pilote subventionné en 2011 par Jean-Marc Nollet et la société de logement public Notre Maison a répondu à l’appel. «Au départ, le gouvernement wallon envisageait de rénover un bâtiment existant, explique Nicolas Cordier, directeur gérant de Notre Maison, mais il s’est vite rendu compte du coût potentiellement élevé d’une rénovation en termes d’accessibilité pour personnes à mobilité réduite. Nous avions un projet de 24 logements publics aux ‘Tourterelles’ à Perwez. Nous avons proposé de construire une habitation Abbeyfield neuve.» La contrainte: avoir un nombre de logements suffisants pour que ce soit à la fois rentable pour la société et financièrement accessible aux locataires. «Sur le conseil de l’asbl Abbeyfield, nous avons diminué la taille des appartements. On est donc arrivé à un coût de construction plus bas qui nous permet de ne demander qu’un loyer de 400 euros par mois.»
Nicolas Cordier ajoute que la maison Abbey
field n’est pas un logement comme les autres. «Il ne s’agit pas de locataires qui cherchent à se loger moins cher à Perwez mais de personnes qui ont un projet de vie.» Tout n’est pas loué pour le moment. «On a fait à l’asbl un plan d’apurement sur trois ans. Il est possible que ça ne marche pas. C’est un risque financier pour Notre Maison mais limité. On sait qu’il existe une énorme demande de logement de la part de personnes âgées qui vivent dans une maison trop lourde à entretenir mais qui refusent d’entrer dans une maison de repos ou dans une résidence-service.» La société de logement public a d’ailleurs d’autres projets de maisons Abbeyfield dans ses cartons, un à Chastre et l’autre à Momignies pour dans les deux prochaines années.