À Bruxelles, l’arrivée du printemps rime pour 750 sans-abri avec retour à la rue. Car le 30 mars dernier, les dernières places en hébergement d’urgence ouvertes dans le cadre du Plan hiver ont été fermées. Année après année, inlassablement, le secteur de l’aide aux sans-abri plaide pour en finir avec la politique du thermomètre. Le moment tant attendu de sortir de l’urgence sociale est-il arrivé? Réponses du cabinet de Céline Fremault, ministre bruxelloise de l’aide aux personnes.
Alter Échos: Depuis des années, le secteur de l’aide aux sans-abri questionne l’écart entre le nombre de places d’accueil en hébergement d’urgence en hiver et durant le reste de l’année (1.000/200 places). De même, un dispositif d’accueil de jour, qui entame pendant les quatre mois de l’hiver un travail d’accompagnement social des sans-abri, perd le lien avec ces personnes dès la clôture du Plan Hiver. Le cabinet réfléchit-il à une évolution de la politique en la matière?
Cabinet de Céline Fremault: La ministre estime que l’approche bruxelloise doit évoluer vers un type de travail intégré, permettant d’établir des liens opérationnels forts entre l’accueil d’urgence et les politiques structurelles de sortie de rue. En d’autres termes, il ne sert à rien d’assurer un accueil hivernal d’urgence si celui-ci n’est pas en lien avec des dispositifs structurels d’accès au logement et d’inclusion sociale. C’est dans ce cadre que nous avons lancé un ambitieux programme de type Housing First et que nous travaillons à l’élaboration d’un plan d’action intégré au sein duquel, au même titre que les autres acteurs du secteur sans-abri, les centres de jour vont jouer un rôle important.
A.É.: Quel est l’agenda du cabinet pour avancer sur ces questions? Quelles sont les pistes concrètes pour avancer sur une politique plus intégrée du sans-abrisme à Bruxelles?
C.C.F.: Les temps doivent nécessairement être assez courts dans la mesure où le changement paradigmatique s’impose de manière flagrante. Cela dit, il est clair qu’il n’est pas envisageable d’opérer des révolutions coperniciennes tout seuls, sans l’adhésion du secteur et de l’ensemble des acteurs de terrain.
Concrètement, au courant du mois de mars, Céline Fremault et son collègue Pascal Smet ont visité des réalités urbaines européennes citées comme des exemples de bonnes pratiques en matière de sans-abrisme (Londres et La Haye). Depuis, ils travaillent à l’élaboration d’un plan intégré dont l’un des points centraux sera la création d’un lieu d’évaluation des besoins de chaque cas de sans-abri identifié. Ce lieu devra permettre l’orientation de la personne vers les services d’aide les mieux adaptés. L’objectif est de ne plus se contenter de gérer l’urgence et assurer le maintien en vie mais aussi d’orienter les sans-abri vers des programmes d’accès au logement et d’inclusion sociale adaptés. Le but est naturellement la diminution du nombre de sans-abri dans notre Région. Si des villes comme Londres ou Berlin se fixent comme objectif «zéro sans-abri», alors nous aussi nous pouvons envisager d’orienter notre politique à long terme dans cette direction. Bruxelles, compte environ 3.000 sans abri pour une population qui dépasse le million d’habitants. On doit donc pouvoir se doter des moyens visant la réduction voire la disparition du phénomène.
Le fait de réunir les compétences de l’Action sociale en Cocof, de la Lutte contre la pauvreté et l’Aide aux Personnes en Cocom et du Logement à la Région permet de proposer aujourd’hui un plan crédible d’accès au logement et d’inclusion sociale des sans-abri (et mal-logés) bruxellois. Nous espérons pouvoir s’appuyer sur ce type planification dès 2016.
A.É.: Le dernier recensement de la Strada fait état d’une augmentation de 30% des sans-abri et mal-logés à Bruxelles. Le cabinet a-t-il des commentaires à faire par rapport à ces chiffres?
C.C.F.: En réalité, depuis l’avant-dernier recensement de la Strada, à Bruxelles comme partout en Europe, nous avons observé une détérioration des conditions économiques des habitants des grandes villes. L’augmentation que vous citez concerne toutes les villes européennes. De plus, l’avant-dernier recensement (avant celui de 2014) de la Strada ne pouvait pas encore intégrer les effets sur les locataires de la crise financière de 2008 et structurelle de 2010. Seule exception européenne en termes de statistiques sur le sans-abrisme: la Finlande qui a su mettre en place des programmes efficaces d’inclusion par le logement dès la moitié des années 2010.
Ce que l’on peut retenir de ce recensement, c’est surtout le fait que la réelle augmentation concerne les mal-logés. Cela renvoie aux conditions de vie dans les centres d’accueil, à leur saturation, aux problématiques des marchands de sommeil, aux structures d’accueil non agréées et agissant en dehors de tout contrôle. Bref, encore une fois, il apparaît qu’il est urgent de mieux coordonner la question de l’accès au logement et de travailler également davantage sur l’accès vers le marché de l’emploi des personnes mal logées.
Vous voulez en savoir plus? Le prochain numéro d’Alter Échos fera le bilan du Plan hiver à Bruxelles et du Plan grand froid en Wallonie.
Aller plus loin
Fil d’info du 20.03.2015: «Sans-abri et mal logés à Bruxelles: une augmentation de 33% depuis 2010»
Focales n°3 d’avril 2014: «Housing First, le logement comme priorité, pas comme récompense»