Être en prison et en bonne santé. Un idéal inaccessible? La situation des soins de santé en milieu carcéral a de quoi inquiéter. Pourtant des projets naissent, des avancées ont lieu. Bref compte-rendu du débat organisé le 13 novembre dernier par Médecins du monde et l’Agence Alter.
La «Loi de principes concernant l’administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus» a fêté ses dix ans cette année. En matière de santé, elle consacre notamment le principe d’équivalence selon lequel les détenus doivent avoir le même accès à l’offre de soins et de prévention que les personnes en liberté, la continuité des soins et le libre choix du médecin.
«Cette loi est un foyer de richesses concernant le droit des détenus, mais elle n’est que partiellement entrée en vigueur, commente Véronique van der Plancke, avocate, collaboratrice scientifique à l’UCL et vice-présidente de la Ligue des droits de l’homme. Une génération entière de détenus a été sacrifiée.»
Le libre choix du médecin par exemple, reste purement théorique. En principe, un médecin extérieur peut effectuer le suivi de son patient en prison si celui-ci le demande. Dans la pratique, cette possibilité reste lettre morte. «Les médecins sont saturés et peu à même de venir en prison. Le détenu doit demander une permission de sortie pour voir son médecin. Ce n’est pas toujours accordé», explique la juriste. Autre obstacle de taille: le détenu doit assumer financièrement l’entièreté des honoraires de ce médecin externe. Car une fois en prison, le remboursement de ses soins par la mutuelle est gelé. Pour le SPF Justice, commente Véronique van der Plancke, les services de santé proposés en prison suffisent pour répondre aux besoins.
Le droit à la santé violé
Pourtant les déficits en la matière sont nombreux. La Belgique a été condamnées à plusieurs reprise par la Cour européenne des droits de l’homme et le CPT (Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants) au cours des deux dernières années, notamment pour l’état catastrophique de ses annexes psychiatriques et structures de défense sociale (EDS) (Lire: «Internés sous les verrous: punis ou soignés?», AÉ n°366, septembre 2013).
Manque de personnel médical, de moyens matériels, vétusté des locaux, qualité de soins insuffisante, absence de continuité dans les traitements, quasi inexistence de prévention et promotion de la santé en prison… La dernière Notice de l’Observatoire international des prisons (en date de 2013) fait état de nombreuses lacunes en la matière. Des lacunes «constitutives d’une violation du droit à la santé» consacré par notre Constitution.
À ces constats s’ajoute le caractère pathogène et anxiogène de la prison. «Le problème majeur n’est-il pas la déshérence des détenus? questionne un participant dans la salle. Le manque de cours, d’activités, de vie sociale. Comment se sentir en bonne santé dans ce cadre de vie?»
Un personnel soignant isolé
La prison n’est pas un lieu de soins. C’est un lieu de privation de liberté au sein duquel des soins sont organisés. Le rôle des équipes soignantes y est complexe. D’un côté, «le SPF justice a des difficultés à entendre qu’on a des règles déontologiques», de l’autre, «il y a une défiance de l’extérieur, pour lesquels nous sommes inféodés au monde judiciaire», expliquent de concert Gaëtan de Dorlodot, directeur médical à la prison de Saint-Gilles, et Johan Kalonji, psychiatre à l’annexe psychiatrique de la prison de Forest. Et ce dernier d’ajouter: «Les attentes à l’égard des médecins sont des attentes hygiénistes. Autrement dit, il faut que les sections soient calmes, apaisées, pour faciliter le travail des agents pénitentiaires.»
Les équipes soignantes en milieu carcéral se sentent isolées, fragilisées. Elle subissent une absence de visibilité de leur rôle, de leur mandat, ainsi qu’un manque de formation adaptée à leurs réalités.
Un horizon qui se dégage?
Le tableau est bien sombre. Mais l’horizon n’est pas complètement bouché.
Des projets s’attellent à éviter le pire. La sortie de prison est un moment crucial en termes de continuité des soins (Lire dans le prochain Alter Échos: «Sortir de prison: pas si facile»). Avec le projet «72 heures», l’asbl Transit assure aux ex-détenus usagers de drogues bruxellois de pouvoir quitter les murs carcéraux avec 72 heures de comprimés de leur traitement de substitution. L’objectif: éviter un sevrage violent, des décompensations, ou même des overdoses si un produit est consommé à nouveau de manière brutale.
L’appel au transfert des compétences des soins de santé des détenus du SPF Justice vers le SPF Santé publique semble avoir été entendu. Une recherche, pilotée par le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE), devrait démarrer sous peu afin de proposer une réforme des soins de santé en prison. Via une comparaison internationale de l’organisation des soins de santé en milieu pénitentiaire, il s’agit d’identifier des modèles susceptibles d’inspirer la réforme du système sanitaire carcéral belge.
L’asbl I.Care vient aussi de voir le jour. Son ambition? «Contribuer activement à l’amélioration de la prise en charge globale (médicale et psychosociale), de la continuité des soins pendant l’incarcération et lors du transfert ou de la libération ainsi qu’au développement de la promotion de la santé en milieu carcéral.» Son originalité? Regrouper en son sein des acteurs internes au milieu carcéral (médecins, psychiatres) et des acteurs extra-muros. «Nous voulons essayer de passer au-dessus des murs pour mettre en place des collaborations», explique Vinciane Saliez, présidente de l’association nouveau-née.
«Pour que les pouvoirs politiques soient pris en tenaille, il faut une forte revendication de la société civile, conclut Véronique van der Plancke. Il faut que l’ordre des médecins, les directeurs de prison, les citoyens s’insurgent.»
En savoir plus
«Quels moyens sont mis en œuvre en prison pour favoriser la réinsertion des détenus?», Fil d’info d’Alter Échos, 22 avril 2015, Manon Legrand.
«Internés sous les verrous: punis ou soignés?», Alter Échos n°366, septembre 2013, Marinette Mormont.
«Une université au cœur de la prison de Nivelles», Alter Échos n°410 du 3 octobre 2015, par Nastassja Rankovic