Pour réaliser cette édition spéciale, la rédaction a travaillé à chercher ce qui bouge, sans suivre une grille de lecture particulière autre que nos rubriques thématiques habituelles. A l’heure de mettre sous presse, nous voici face à quelques constats et réflexions, et même certaines pistes de travail.
Pour commencer, nous sommes tout étonnés par le nombre d’actions de terrain qui s’inscrivent dans des logiques de programme d’envergure régionale ou communautaire. Au point que c’est le morceau de choix dans notre table des matières, concoctée a posteriori : « Programmes, mouvements, réseaux ». En fait on le savait déjà : la Fédération Wallonie-Bruxelles, et plus encore la Région wallonne, misent sur l’acteur communal comme relais. Nombre de politiques sont formatées pour leur donner le rôle central dans l’allocation des moyens et un réel pouvoir d’initiative dans l’émergence des projets.
Ce qui nous a surpris en réalité c’est le point auquel la société civile a comme calqué cette logique d’action. La Fondation Roi Baudouin avait de longue date utilisé ce modèle avec des formules comme « Quartier de vie ». Des campagnes de mobilisation des communes émanent désormais de toutes parts et sur un nombre fou de thématiques. On savait qu’elles existaient, on constate désormais leur réelle pénétration. C’est qu’il y a là des ressources clés pour l’action locale : visibilité, image, mobilisations bénévoles, ressources en outils et méthodes, réseautage, etc. Mais les logiques d’action, différentes, doivent s’apprivoiser. Ainsi, le jeu de la transversalité entre départements et services semble fort mis en avant, mais pas forcément évident au départ. Et ces décloisonnements prennent toutes sortes de formes, jusqu’à des mouvements de citoyens transnationaux très horizontaux, dont la commune pourra soutenir une implantation locale comme dans le cas des ‘Transition towns’ (villes en transition).
L’étape suivante dans cette tendance a été clairement pointée par l’un ou l’autre interlocuteur : que ces initiatives citoyennes se parlent plus et mieux, de façon à se coordonner un minimum. Le décideur communal peut s’y perdre lorsqu’il veut identifier ce qui va faire sens par rapport à ses points d’attention politiques. Une perche à saisir, donc.
Innovations sociales
Qu’avons-nous appris d’autre sur le rôle social des communes ? Et plus spécifiquement, qu’apprend-on sur les leviers communaux en termes de redistribution ? Certes les grands rééquilibrages socioéconomiques sont du ressort de la Sécu, du fédéral et des régions, si pas de politiques transnationales (européennes ou autres). La commune a là un rôle de première ligne, de courroie de transmission, à l’image des budgets d’action sociale du fédéral distribués par les 589 CPAS du pays. Avons-nous vu, en complément de cela, un rôle d’initiative des communes ? Si les lecteurs d’Alter Echos le connaissent certainement en matière de logement et de cohésion sociale, il peut être très limité sur d’autres plans. Le plus souvent, sur le terrain social, les communes ont plus de missions et d’actions de type palliatif que de type redistributif. Ceci dit le cas des énergies renouvelables se distingue : un accès à long terme à de l’énergie dont le coût ne dépend pas des cours du pétrole passe par des investissements collectifs et des incitants individuels que les communes ont en mains, certaines avec des succès déjà engrangés. Or on a vu dans un numéro spécial précédent la dimension sociale prépondérante de la consommation énergétique.
Pourquoi insister sur cet aspect du rôle social des communes? Parce qu’aujourd’hui, il apparaît de plus en plus un lien évident entre limitation des inégalités et bien-être. Ainsi, l’Observatoire (français) des inégalités est en train de développer un classement des villes sur la base des écarts entre les revenus des plus riches et des plus pauvres de leurs habitants1. Il en ressort que les villes les plus égalitaires sont aussi celles qu’on retrouve dans les hit-parade d’endroits où il fait bon vivre. Et inversement pour les villes les plus inégalitaires, quelle que soit leur richesse moyenne. Comme d’autres recherches commencent à le montrer dans le monde anglo-saxon, on peut dire en quelque sorte que ce qui est bon pour les moins bien lotis est bon pour le bien-être de tout le monde2. Or améliorer son attractivité pour de nouveaux habitants étant devenu un moteur évident de l’action publique locale, la lutte contre les inégalités au niveau local mérite une évidente attention.
Innovations démocratiques
Le rôle de l’Etat mute, toutes les forces politiques sont convaincues que le rôle du citoyen ne se limite pas aux isoloirs et aux pétitions… Cela vaut aussi pour le niveau communal, comme l’ont montré tout dernièrement les décisions et les débats sur le Code de la démocratie locale. Et la mobilisation locale des citoyens dans le cadre des politiques publiques – que ce soit pour les préparer, les débattre, les adopter, les mettre en œuvre ou les évaluer –, à condition de mener sérieusement les choses, c’est un réel ferment de cohésion sociale.
En termes de citoyenneté, on doit enfin noter que les formes de l’action publique se diversifient : médiation, outreach3, contractualisation de comportements, coordination, outils de crédit mutualisé, etc. Les métiers communaux évoluent, quitte à se voir délégués ou complétés par d’autres acteurs, comme dans le cas de Caiac ou de la Cellule JJD. C’est aussi une évolution qui trouve ses premiers jalons dans les années 80. Mais on a aujourd’hui l’impression que l’appareil communal est entouré d’une série de coussins, de sas, une couche d’organismes intermédiaires, certes riche de ressources de toutes sortes, mais qui ne manque pas d’ajouter de la complexité. Au risque de la démocratie ?
1. Louis Maurin, « Les villes les plus inégalitaires de France »,
http://www.inegalites.fr/spip.php?article1504&id_mot=30
2. Sauf peut-être le 1% des plus riches. Ce serait en tous cas le cas dans les sociétés développées. Voir http://www.equalitytrust.org.uk/why/francais
3. Pratique qui veut que les agents de l’Etat ou les travailleurs sociaux se déplacent sur les lieux de vie des administrés, y compris à leur domicile, pour détecter ou décrire leurs problématiques.