Depuis la crise des subprimes, l’inventivité en matière de produits financiers en sans limite. Il est possible de spéculer sur la valeur des maisons, le prix des matières premières, ou le défaut de paiement d’un Etat. Alors pourquoi pas sur la réussite d’un projet social ? C’est la logique qui sous-tend plusieurs projets de financement innovants lancés depuis peu dans le monde anglo-saxon.
Est-ce uniquement pour redorer son blason que Goldman Sachs, la banque d’investissement US devenue le symbole de la cupidité financière, a lancé cet été, en collaboration avec la ville de New-York un tout nouveau programme d’obligations sociales (social bonds) ? Ou s’agit-il réellement, comme l’affirment les promoteurs, d’un projet Win-Win ? L’initiative en question est un programme de réinsertion mené en prison, financé par la banque à hauteur de dix millions de dollars. Il ne s’agit pas d’un don, mais d’un investissement, dont le retour sera indexé sur le taux de récidive. Plus précisément sur le nombre de jours en prison évités. Si celui-ci ne diminue pas de 10 %, le capital sera perdu. Entre 10 % et 20 %, la banque retrouvera sa mise avec une prime de plus en plus élevée en fonction du succès.
Sur le papier, le bénéfice semble évident pour les pouvoirs publics. Les contribuables ne seront en effet sollicités qu’en cas de réussite. Si la criminalité ne baisse pas, seul l’investisseur privé paiera la facture d’un programme inefficace. Si au contraire les jeunes commettent moins de délits, l’Etat rémunérera le privé à un tarif raisonnable, tout en économisant sur les dépenses carcérales – et en atteignant son objectif social.
Des bonds très anglo-saxons
Au-delà des prisons, « des projets sociaux visant les enfants vulnérables ou la dépendance à la drogue sont envisagés », explique Jane Newman, directrice de Social Finance1. Cette organisation britannique pionnière promeut depuis plusieurs années ce genre de produits financiers auprès des municipalités, et se charge de placer les obligations auprès des investisseurs. « Nous avons plusieurs types de profil. Il peut s’agir d’individus fortunés ou de fonds d’investissement à vocation sociale », explique-t-elle. Si certains n’y voient qu’un geste caritatif, les fonds sont vraiment attentifs au retour sur investissement.
Comme leur petit nom l’indique, les social impact bonds (ou SIBs) sont pour l’instant envisagés surtout dans le monde anglo-saxon. Rien d’étonnant : le capitalisme à l’anglo-saxonne a traditionnellement plus recouru aux marchés que l’Europe continentale. Le rôle de la charité privée y est aussi plus important. « Au Royaume-Uni, beaucoup de services sont déjà fournis par le secteur bénévole », note Jane Newman. Il y règne enfin un certain consensus autour de l’idée que les investissements seront alloués plus efficacement par le secteur privé, qui a un intérêt direct à la réussite du projet.
Un modèle à répliquer ?
En Europe, malgré le développement rapide d’un secteur de la finance éthique et responsable, pas encore de trace de social bonds. Un investisseur responsable peut par exemple placer son argent dans une coopérative agréée, note Bernard Bayot, le directeur du Réseau Financement Alternatif (RFA)2. Mais la Belgique et ses voisins n’ont pas encore prévu d’abandonner au secteur privé le soin de financer les missions de l’Etat.
Les pouvoirs publics européens jugeront sans doute sur pièce les expériences anglo-saxonnes avant de se lancer. Pour l’heure, « il est trop tôt pour tirer des conclusions », admet-on à Social Finance, en soulignant que les premiers bonds ont été émis il y a quelques années à peine.
Et si le projet est prometteur, il n’est pas exempt de risques. En particulier celui de donner à des Etats impécunieux un bon prétexte pour se désengager des secteurs sociaux. Ce n’est sans doute pas un hasard si les social bonds sont nés dans le pays de David Cameron, Premier ministre conservateur qui s’est fait élire sous le slogan d’une Big Society consistant à encourager le volontariat à la place de l’Etat. A défaut d’un petit bond en avant, on assisterait alors à un grand pas en arrière.
1. Social Finance :
– site : www.socialfinance.org.uk
2. Réseau Financement Alternatif :
– adresse : chaussée d’Alsemberg, 303-309 à 1190 Bruxelles
– tél. : 02 340 08 60
– site : http://www.financite.be