Le ministre Vande Lanotte1 obtenait en 99 un portefeuille ministériel et des budgets pour l’économie sociale. Quatre ans plus tard, il est en train de clôturer denouveaux chantiers, comme en témoigne son intense activité en la matière cette quinzaine.
> La négociation gouvernementale sur le premier ajustement budgétaire 2003 lui aura ainsi permis de contourner le ministre Daems (VLD) pour imposer des avancées en termesde clauses sociales et environnementales dans les marchés publics, à bétonner dans la toute prochaine loi-programme.
> Elle lui aura aussi permis de jeter les bases d’un Fonds pour l’économie sociale qui draine vers le secteur l’épargne des particuliers, chantier qui avait étéouvert tard dans la législature et dont on constatait qu’il n’était pas évident pour le ministre de savoir par quel bout le prendre.
> Et il s’est résolu, le 26 février, à introduire un recours auprès de la Cour européenne de Luxembourg demandant l’annulation du règlement sur lesaides à l’emploi adopté en novembre par la DG Concurrence de la Commission européenne.
Clauses sociales
Sur ce chantier délicat – puisque surtout entre les mains du ministre Daems, compétent en la matière –, la seule avancée à ce jour avaitété une courte circulaire à l’attention de la Régie des bâtiments l’informant des marges de manœuvre dont elle dispose pour introduire d’initiative des clausessociales dans des adjudications de marchés de travaux.
La loi-programme ira nettement plus loin, avec quatre nouvelles mesures.
> La loi stipulera désormais qu’un marché public peut avoir plusieurs objets, l’un primaire, des travaux par exemple, les autres, secondaires, la formation de demandeurs d’emploipar exemple.
> La loi comprendra la possibilité de stipuler des clauses environnementales dans les critères d’attribution de marchés publics.
> La loi introduit la possibilité de clauses sociales au rang des critères d’exécution des marchés. « C’est surtout au niveau de l’exécution qu’onpourra obliger des sous-traitants à appliquer des clauses sociales, priorité qu’indique la jurisprudence européenne », commente Olivier Decock, conseiller du ministre VandeLanotte.
> Enfin, la loi contiendra la possibilité pour l’adjudicataire de réserver des marchés à des entreprises sociales et des entreprises de travail adapté,à condition d’en passer par des appels d’offre européens, et sans dépasser certains seuils quant au montant des marchés.
Fonds d’économie sociale
La loi-programme créera aussi un Fonds destiné à investir dans l’économie sociale et dans les initiatives inscrites dans la logique du développement durable. Eneffet, par définition, l’économie sociale ne rémunère pas ses investisseurs en capitaux – du moins pas autant que le reste du marché –, et se retrouvedonc structurellement sous-capitalisée.
Baptisé « Kringloopfonds », l’outil financier ici créé fera appel – même avant les élections si tout se passe comme prévu –à l’épargne des ménages et des institutions financières. Septante pour cent de cette épargne sera « recyclée » vers l’économie sociale ;le reste sera placé de façon plus classique. Ce « recyclage » se fera au moyen de différents produits financiers dont on n’annonce pas encore le détail, si cen’est que les investissements pourront se faire en direct (p. ex. participation au capital d’entreprises sociales) ou via des intermédiaires financiers existants (banques classiques ? Triodos? Crédal et autres financeurs issus de l’économie sociale ? Sowecsom et autres initiatives régionales ?).
Comment drainer cette épargne ? Le Fonds rémunérera ses investisseurs au taux des bons de caisse, soit plus ou moins 3 %. Pour ce faire, il dispose des rentréesproduites par ses investissements dans l’économie sociale et ailleurs. Reste à amorcer la pompe : la loi-programme affecte ainsi 2,4 millions d’euros du budget économie socialeà ce fonds, ce qui lui permet de rémunérer des épargnants à concurrence de 75 millions d’euros pendant un an. 75 millions est le montant total de bons, mis sur lemarché, que la loi autorise le Fonds à émettre pour le moment.
Dans une seconde phase, l’achat de ces bons par les particuliers serait déductible fiscalement, annonce le ministre, mais de façon limitée, c’est-à-dire de façonà augmenter de 1 % le rendement des bons.
« Fausse bonne idée ! », s’exclamait-on en coulisses, dans un premier temps, du côté des organismes financiers déjà spécialisés dans lefinancement de l’économie sociale. Certes une partie font face à un manque d’épargne mobilisée, mais la règle générale est plutôt l’inverse.Ainsi, le rapport 2002 de la banque Triodos, publié mi-février, fait état d’un taux d’investissement dans des projets – en augmentation certes –, mais de seulement 39% ; soit plusieurs dizaines de millions d’euros que la banque continue à placer en obligations d’État.
La question qui éveille le plus de susceptibilités est de savoir dans quelle mesure ce Fonds travaillera avec les acteurs existants. Les intermédiairesspécialisés demandent notamment que les épargnants qu’ils mobilisent déjà puissent aussi le cas échéant accéder à des avantages fiscaux,et que le nouveau Fonds s’appuie sur leur expertise et leurs outils financiers, notamment en garantissant les prêts qu’ils octroient. Une première réunion informelle, finfévrier, ne les a pas tous rassurés sur tous les points. Le ministre entend consulter le secteur sur la rédaction des textes, dans une nouvelle rencontre, plus formelle, le 10mars.
Recours européen
Enfin, après étude juridique minutieuse, le ministre a décidé d’attaquer en justice le nouveau règlement européen qui hypothèque nombre de futuresaides publiques à l’emploi spécifiques à l’économie sociale au nom de la saine concurrence entre les économies des États membres de l’Union. Le recours,explique Olivier Decock, adopte une tactique de charge tous azimuts.
> Différents points du règlement violent nombre de principes des traités fondateurs de l’Union : subsidiarité, cohérence du droit européen,non-discrimination, proportionnalité, etc.
> La DG Concurrence régule une matière qui sort de ses compétences, à savoir l’emploi.
> Le règlement général qui habilite la Commission sur ces matières n’a pas été entièrement respecté.
Il est trop tôt pour se figurer les résultats d’une telle démarche. Il faut simplement noter que la procédure n’est pas suspensive (le règlement rested’application jusqu’à nouvel ordre), et que d’autres pays pourraient se joindre à la Belgique dans cette procédure, ce qui donnerait évidemment plus de poids politiqueà cette initiative.
1. Cab. : rue Royale 180 à 1000 Bruxelles, tél. : 02 210 19 11.