Le fonds de traitement du surendettement a bouclé l’année 2006 avec un déficit d’environ un million et demi d’euros. Et cela, malgré une hausse de 50% de lacontribution des institutions de crédit, décidée en août dernier. Le budget de 3,5 millions ne parvient pas à faire face aux quelque 8 000 demandes d’interventionqui auraient été soumises au fonds sur l’année. Solution avancée par la ministre en charge de la Protection de la consommation, Freya Van den Bossche (SP.A) : revenirà l’esprit de la loi de 98 sur le règlement collectif de dettes. Explications.
Le Fonds de traitement du surendettement a été créé pour rémunérer les médiateurs de dettes sans devoir puiser dans les revenus, fatalementétriqués, des personnes aidées. Le Fonds est financé par les cotisations des prêteurs. Aujourd’hui, ses caisses sont vides. Pire, il creuse son déficit.
« Il faut d’abord relever que les dossiers de surendettement sont, hélas, en augmentation depuis l’entrée en vigueur de la loi, explique Pierre Dejemeppe, directeurde la cellule Protection de la consommation du cabinet Van den Bossche. On est passé de 5 000 à 8 000 dossiers par an. La situation s’est, certes, stabilisée depuis deuxans, mais elle a entraîné un déficit du Fonds en 2006, d’environ un million et demi d’euros. Nous avons alors demandé aux banques qui alimentent le Fonds uneffort supplémentaire. Leur contribution est passée de 2,7 millions d’euros à 4 millions en 2006. Nous nous étions engagés à ne pasrépéter l’opération.»
Cap sur la réduction des dépenses
Pour faire face à cette augmentation importante, Freya Van den Bossche avait évoqué en février 2006 la possibilité d’élargir la base descontributeurs, en faisant notamment passer à la caisse le secteur des télécoms, de l’énergie, etc. Aujourd’hui, cette piste a étéabandonnée. Pierre Dejemeppe en explique les raisons : « Peut-on mettre sur le même pied tous les créanciers, ceux qui se trouvent sur le marché en positiond’offres (crédit, téléphonie..) de ceux qui n’ont pas ce choix (hôpitaux, créanciers alimentaires) ? Je pense que non. Seconde question : peut-on exigerune contribution de la part de certains créanciers qui, de manière spécifique, contribuent déjà aux actions en matière de surendettement, comme le secteur del’énergie et les autorités publiques ? Si la question réside dans l’inégalité ressentie par les prêteurs d’être les seulscontributeurs au Fonds (l’égalité de droit a été affirmée par la Cour d’arbitrage), il faut alors comparer les montants : la contribution desprêteurs (2,6 millions d’euros) et les montants spécifiques octroyés par les deux autres créanciers les plus importants dans les dossiers de RCD. Le secteur del’énergie contribuait en 2004 pour un montant de 43 millions d’euros aux services de médiation de dettes des CPAS. L’État (pour le Fisc) contribue par la miseen place de la procédure de règlement collectif de dettes, sans oublier les aides financières spécifiques des Régions ou Communautés en la matière.»
Cependant, la contribution de certains secteurs, dont les créances figurent dans les dossiers de surendettement, mais qui ne sont pas contributeurs du Fonds, reste une question ouverte,nous dit-on au cabinet. Pour évaluer leur contribution, il faudrait toutefois connaître la part respective des créances dans les dossiers de règlement collectif, soitconnaître l’ampleur des défaillances dans ces secteurs. « Or, il n’existe pas de données fiables sur ces situations. Nous avons donc abandonné la solutionprivilégiant l’élargissement des recettes pour agir sur les dépenses et en revenir en quelque sorte aux principes premiers de la loi », complète PierreDejemeppe.
Pour empêcher que le Fonds de traitement du surendettement ne continue… à s’endetter, la ministre Van den Bossche a donc inséré des dispositions dans laloi-programme1, qui précisent les modalités d’utilisation du Fonds et visent clairement à réduire les demandes. Grâce à ce tour de vis, lesgestionnaires de ce Fonds espèrent tenir en 2007 avec un budget de 2 millions d’euros et revenir à l’équilibre dans le courant du 2e semestre 2007. Les nouvellesdispositions ont été votées avant les vacances de Noël et sont entrées en vigueur le 1er janvier 2007.
Arrêter l’hémorragie
«La loi prévoit que le Fonds de traitement du surendettement n’intervient qu’à titre subsidiaire, lorsqu’il est établi que les débiteurs sontdans l’impossibilité de payer les honoraires des médiateurs de dettes, rappelle le conseiller de la ministre Van den Bossche. Or, il semble que dans certains arrondissements, ellea été détournée de son objet, l’appel au Fonds devenant quasiment automatique. Ainsi, si on observe les chiffres, dans les arrondissements de Bruxelles etd’Anvers pour quasi le même nombre de requêtes, les interventions du Fonds sont beaucoup plus importantes dans l’arrondissement d’Anvers alors que les dossiers sonttrès semblables. Cette situation différente est due à une divergence d’appréciation par les juges des conditions légales de l’intervention du Fonds (cf.encadré). Une dérive qui a eu pour effet une croissance exponentielle des dépenses. Il fallait arrêter l’hémorragie sous peine de ne plus pouvoir assurer lepaiement des médiateurs travaillant avec des personnes réellement sans moyens.»
À l’avenir, le Fonds de traitement du surendettement ne remboursera donc plus les honoraires des médiateurs que lorsque le juge des saisies prononcera une ordonnanced’effacement total des dettes du débiteur. Ou encore, lorsque le médiateur pourra établir, preuves à l’appui, que le débiteur est dansl’incapacité de le défrayer. Le projet prévoit aussi que le médiateur sera tenu de constituer une réserve destinée au paiement de ses honoraires.
Christian Brotcorne, sénateur CDH, estime ces retouches « incohérentes »2. Si les avoirs de la personne surendettée, par nature limités, doiventaussi payer le médiateur, « les créanciers seront, eux, moins payés ». « Comment les médiateurs pourront-ils alors établir encore des plansamiables? », interroge le sénateur qui craint « un refus systématique » des créanciers de participer à ces procédures.
Même son de cloche du côté des avocats remplissant la tâche de médiateur. Pour nombre d’entre eux, ce texte mettra à mal le délicatéquilibre mis en place par la loi. Certains y voient également une volonté cachée du gouvernement de les mettre hors course, au profit d’autres organismesagréés, comme les CPAS. Or, disent-ils, outillés comme ils le sont, ces organismes seront dans l’impossibilité de répondre à une demande sans cessecroissante des débiteurs.
Une allégation que Pierre Dejemeppe rejette : « Je ne comprends pas ce qu’ils veulent dire. Notre souci, c’est que tout le monde puisse être payé comme il sedoit, et dans les temps. On ne souhaite mettre personne hors course. Quant à l’obligation pour le médiateur de constituer une réserve pour payer les honoraires, c’estsimplement consigner dans un projet de loi une pratique déjà effective sur le terrain. »
Réévaluer les honoraires
Évelyne Rixhon est juge des saisies au tribunal de première instance de Liège, elle confirme l’augmentation du nombre de demandes faites au Fonds : “Il est vraique nos jugements ont évolué avec le temps, témoigne la juge. Au départ, nous ne sollicitions le Fonds qu’en cas d’effacement total et lorsque les revenus desrequérants étaient insaisissables. Nous avons eu des échos qu’en Flandre, les juges étaient plus ‘larges’, on a donc au fil du temps un peumodifié nos critères mais toujours en gardant en tête de pouvoir permettre l’élaboration du plan judiciaire ou à l’amiable. Ainsi le Fonds estactuellement sollicité lorsque les honoraires absorbent la quasi-intégralité des sommes que la personne endettée doit ‘économiser’ pendant la phasepréparatoire au plan ; car la viabilité d’un plan suppose l’existence d’une réserve pour répondre aux imprévus ».
Les nouvelles dispositions la laissent cependant dubitative : “Les remises totales de dettes ne constituent que 5% environ de nos jugements et elles doivent répondre à desconditions très strictes. Elles concernent en général des personnes, âgées ou handicapées ou plus rarement des personnes plus jeunes mais dont on saitpertinemment que la situation ne pourra évoluer favorablement. »
Les modifications vont-elles entraîner une augmentation des effacements pour être sûr que les médiateurs soient payés ? « C’est un risque, mais je ne pense pasque ce soit la solution. Le risque, c’est que les avocats soient beaucoup moins nombreux à accepter le mandant judiciaire de médiateur de dettes. Certains bureaux d’avocatssont de mini entreprises qui, pour pouvoir remplir leur tâche de médiateur en consacrant le temps nécessaire à l’écoute de gens, ont embauché dupersonnel ; secrétaire, comptable, assistants sociaux. Ces bureaux ne peuvent se permettre de travailler à perte ; ils doivent trouver un juste équilibre entre leur soucid’assurer une tâche sociale et la rentabilité de leur entreprise. Quant aux ‘petits’ bureaux, ne pas être payés, c’est pour eux courir le risque dese trouver eux-mêmes en difficulté de trésorerie. Le temps où le titre d’avocat était synonyme d’aisance financière est révolu.Gérer un dossier de médiation de dettes implique des frais importants de timbres, de dactylographie, … Les avocats doivent en faire l’avance car ils ne sont payés,pour la première fois, que lors de l’élaboration du plan, c’est-à-dire, en moyenne, près d’un an après leur désignation et, ce délairisque de s’allonger lorsqu’il faut recourir à l’établissement d’un plan judiciaire compte tenu de l’encombrement croissant du rôle. »
La juge plaide encore pour que des balises soient fixées : “Je pense qu’en dehors de l’effacement des dettes, il faudrait permettre, par exemple, de pouvoir faire appel auFonds lorsque le requérant ne peut rembourser moins de 10% ou 15% du passif. Et puis, il faudrait aussi revoir les barèmes des honoraires des médiateurs. Le ‘tarif’jusqu’à l’élaboration d’un plan judiciaire ou d’un procès verbal de carence devrait être augmenté car c’est souvent là que leplus gros du travail est à faire mais ensuite, le barème pour les rapports annuels pourrait être revu à la baisse. Le plan en général suit son cours. Leshonoraires deviennent alors une rente sans que le médiateur ne doive beaucoup intervenir. Il faudrait également que ces honoraires soient calculés non pas sur le nombre decréanciers et de créances mais bien sur le type de créances, car toutes ne demandent pas la même implication du médiateur. Enfin, il faudrait rappeler que laconstitution d’une réserve est pratique courante mais ce fonds de réserve ne sert pas qu’à payer les honoraires ; il est également là pour payer lesimprévus qui surviennent dans la vie du « médié ». Et, ces imprévus peuvent devenir prioritaires par rapport aux honoraires du médiateur. Je pense aux aléas dela vie survenus après l’établissement d’un plan : décès, hospitalisation, maladie grave nécessitant un suivi médical lourd.»
Reste que, vu l’état actuel du Fonds, les médiateurs ne sont plus payés depuis le mois de juin 2006. Cette suspension des paiements devait toutefois prendre fin souspeu, nous avait assuré le cabinet début décembre, mais début janvier, certains attendaient toujours… Quant à l’apurement du déficit de unmillion et demi d’euros du Fonds, le gouvernement s’est engagé à le prendre en charge.
Enfin, outre le paiement des honoraires des médiateurs, le Fonds a également pour mission le paiement de mesures d’information et de sensibilisation à destination despersonnes surendettées. Pour 2007, un montant de 150 000 euros, sera ajouté à la contribution des prêteurs pour remplir cette mission.
L’analyse des dossiers reçus par le Fonds pour la période de janvier à juin 2006, compte tenu des éléments figurant dans ces dossiers, montre que :
• dans 71 % des cas, les honoraires sont à charge du Fonds mais celui-ci ne dispose pas des éléments justifiant cette prise en charge par lui ;
• dans les dossiers pour lesquels le Fonds dispose des éléments justificatifs (29 %), le juge accorde une remise de dettes en capital dans, approximativement, 24% de ceux-ci.
Dans la mesure où l’intervention du Fonds se limiterait uniquement à ces dossiers pour lesquels le juge prononce une remise de dettes en capital, les dépenses annuellesdu Fonds peuvent être estimées selon le cabinet de la ministre Van den Bossche à 1 500 000 euros.
Extrait de l’exposé des motifs de la Modification du Code judiciaire (article 1675/19).
1. Projet de loi contenant des dispositions diverses (dite loi-programme), Doc. Chambre des représentants, session 51, n° 2760/001, p. 29 à 37 , articles 48 à 50.
2. In L’Echo du 28/11/06.