Sur le point d’être publiée, l’étude clôturée en mars par l’Ichec sur l’action des fonds sectoriels en matière de formationprofessionnelle lève le voile sur le pan le plus méconnu de l’offre de formation. L’enjeu mis en avant, autant par les chercheurs que par le commanditaire, la CCFEE,Commission consultative formation emploi enseignement, est celui de la lisibilité de l’action déployée par ces fonds.
Une boîte noire entrouverte
Depuis la fin des années 80, les secteurs ont la faculté, dans le cadre des accords interprofessionnels, d’effectuer des prélèvements sur la masse salariale desentreprises pour développer des initiatives en faveur des « groupes à risque ». Ces moyens sont rassemblés dans des fonds sectoriels gérés paritairementpour dynamiser l’emploi et la formation.
En 2000-2001, l’équipe de Claire de Brier, à l’Ichec1, avait déjà réalisé pour le compte de la CCFEE2 un important inventaire de l’offrede formation en Région bruxelloise. Un absent notoire dans les tableaux : l’offre des secteurs. Si les données sont facilement accessibles au niveau régional pour lesopérateurs publics et associatifs de formation professionnelle, telle n’est pas la règle générale pour des organismes comme Educam, le Cepegra, Afosoc oul’IFC. La demande était donc adressée à la même équipe de quantifier les volumes de formation offerts par les centres sectoriels et de cerner les publicsconcernés.
La mission s’avère vite pratiquement impossible, mais non pour autant dépourvue d’intérêt. Pour savoir de quoi on parle et ce qu’on va compter, il vas’agir de s’intéresser de près au fonctionnement des centres sectoriels sur toute la Belgique, ce qui n’a encore pratiquement jamais été fait demanière systématique et scientifique. Si on trouve donc nettement moins de tableaux statistiques dans ce rapport que dans celui clôturé il y a deux ans, il n’enfourmille pas moins de nombre d’informations à haute valeur stratégique pour l’élaboration des politiques de formation professionnelle, et pour tous lesopérateurs de formation publics et associatifs qui cherchent à renouveler leurs modes de collaboration avec le monde économique.
La disparité de l’objet
Dès la première page du rapport, on montre que la spécificité des fonds ou centres sectoriels a posé des difficultés de trois ordres aux auteurs durapport.
> Les fonds ne sont pas organisés sur une base régionale. Au mieux, ils différencient leurs activités sur une base linguistique, et comme ils travaillent beaucoup enpartenariat avec les acteurs publics, privés, voire associatifs, de la formation professionnelle, ils s’organisent différemment selon les régions. Mais ces modulations deleur action ne transparaissent que rarement dans la manière dont ils formalisent les résultats de leur activité.
> Les fonds ne sont que peu à être à proprement parler des opérateurs de formation, avec stagiaires, formateurs propres et salles de cours. La plupart distribuent desfonds vers des partenaires et élaborent des opérations de formation où ils ne sont pas eux-mêmes offreurs de formation au sens premier.
> Enfin, les fonds ne font pas nécessairement la différence, dans la collecte d’informations sur leurs activités, entre actions de formation au bénéficedes travailleurs occupés et au bénéfice des « groupes à risques », notion qui s’est d’ailleurs au fil des ans élargie pour comprendre bienplus que quelques catégories de demandeurs d’emploi particulièrement exposés comme les jeunes qui n’ont pas terminé leur scolarité.
Pour couronner le tout, même si la loi les y oblige, les fonds ne se soumettent généralement pas, ou du moins peu rigoureusement, à l’obligation de déposerun rapport annuel d’activités aux services des relations collectives de travail du ministère de l’Emploi.
Des repères
Sans entrer dans les détails, il vaut la peine de relever les typologies proposées pour cerner l’offre des fonds sectoriels.
Types de formation
La première consiste à distinguer les deux principaux types de formation offerts :
> D’une part, des formations visant à développer des compétences techniques spécifiques, peu transposables hors du secteur même, et dominantes dans lessecteurs industriels.
> D’autre part, des formations à caractère générique (langues, informatique, comptabilité, etc.). Cela dit, pour faire la part des choses, lesintitulés de formation peuvent être trompeurs à cet égard dans le sens où des cours de langue, p. ex., peuvent être relativement spécialisés.Autrement dit, et sans surprise puisqu’on parle d’une offre organisée par et pour un secteur, les cours génériques sont souvent consacrés à desmétiers ou des matières propres au secteur.
Les centres sectoriels sont donc répartis en deux catégories en fonction du type de formation qui y est dominant. Mais il en ressort un inclassable, le Cefora, le centre de formationde la CPNAE (CP nationale auxiliaire pour employés) dont les domaines de formation sont les plus nombreux, dans les deux catégories, vu que le centre s’adresse à desentreprises issues d’une très grande variété de secteurs. Sous réserve de chiffres précis, ajoutent les chercheurs, il semble toutefois qu’en termes debénéficiaires touchés, les formations génériques soient dans l’ensemble beaucoup plus développées que les formations plus techniques.
Types d’activités
Une seconde typologie part du type d’activités développées par les centres.
> La première typologie fait référence à des activités d’organisation de formations.
> Il faut y ajouter des activités de gestion de la formation : analyse de besoins, prospection, conseil aux entreprises, gestion administrative (congé-éducationpayé), participation à la certification, agrément et contrôle d’opérateurs et de programmes, etc.
> Enfin, les centres les plus actifs structurent aussi des rapports avec l’enseignement : aides aux écoles par l’achat de matériel, gestion des formations enalternance (gestion des contrats et des parrainages, recherche de jeunes et d’entreprises pour les accueillir), formation d’enseignants, etc.
> Sans oublier les activités liées à l’emploi plutôt que directement à la formation : promotion des métiers du secteur, définition deprofils professionnels, recherche de candidats, études et analyses, etc. Ces activités semblent receler une grande valeur stratégique dans le sens où elles sont celles quipermettent de capitaliser le plus d’informations sur l’évolution des métiers et des emplois, permettant aux fonds de se positionner comme interlocuteurs deréférence dans les politiques d’emploi et de formation.
Trois profils de fonds sectoriels
Les chercheurs proposent donc de distinguer trois types de centres :
> les asbl de transit ou de redistribution de fonds,
> les centres de formation comme tels,
> et les centres experts en matière de formation et d’emploi.
Des chiffres
Le premier exercice de quantification du rapport consiste à cerner la part des travailleurs concernés par l’action des fonds sectoriels. Le rapport estime à 80 % laproportion des « travailleurs du secteur privé occupés dans une entreprise qui a des possibilités de recourir à une aide sectorielle quelle qu’elle soit enmatière de formation », parce qu’appartenant à une commission paritaire où est en vigueur une convention collective de travail portant sur l’emploi ou laformation.
Vient alors le travail central de l’objet du rapport : dénombrer les actions de formation et leur ampleur, quitte, faute de données suffisantes à ce stade, à nele faire que de façon exploratoire pour une partie des centres et fonds. Trois indicateurs sont utilisés.
> L’espérance moyenne de formation : nombre d’heures de formation du centre sectoriel divisé par le nombre de travailleurs total des entreprises de la CP. Les secteursqui arrivent en tête sont des petits ou moyens secteurs : les garages et commerces apparentés (Éducam) avec 3,4 heures de formation par travailleur et par an en 2001, puis lesélectriciens (Formelec), 2,7 et la construction (FFC), 2,6. Les plus gros secteurs sont plus bas dans le classement, comme le Cefora, avec plus de 341 000 travailleurs concernés, et 1,2heure de formation en moyenne par travailleur et par an.
> Le taux d’accès à la formation : nombre de travailleurs formés par le centre divisé par le nombre de travailleurs total des entreprises de la CP. On retrouvede nouveau Éducam en tête avec 18,7 % en moyenne de travailleurs accédant à une formation, puis viennent l’IFP (alimentation), 12,5 %, l’Irec (confection), 10,3%, la construction, 9,7 % et le Cefora, 8,5 %.
> La durée moyenne des actions, avec en tête le secteur des hôpitaux privés, 72,6 heures de formation par travailleur formé par an en 2001, le CFBois, 45,2heures, puis la construction, 26,6 heures.
Pour ce qui concerne les travailleurs touchés, parmi les travailleurs occupés, les 26-45 ans sont clairement les premiers concernés, sauf dans le secteur del’intérim, ou plus de la moitié des travailleurs formés ont moins de 25 ans. Pour ce qui est des demandeurs d’emploi, on ne peut dire que peu de choses, si cen’est que l’âge moyen des personnes formées par les centres est quelque peu inférieur à l’âge moyen des travailleurs actifs formés. Il fautnéanmoins remarquer que là où il existe des données (CFBois, Cefora et FFC), l’investissement des secteurs dans la formation des demandeurs d’emploi estsubstantiel : le nombre d’heures total dont ils bénéficient est largement supérieur au nombre d’heures destinées aux travailleurs occupés, même sion parle de nombre de stagiaires nettement moins important dans les formations pour demandeurs d’emploi.
Prolonger l’effort
Sans surprise, les conclusions du rapport se focalisent exclusivement sur le plan méthodologique : comment récolter les données qui permettent une information comparable entrefonds sectoriels, et entre eux et le reste de l’offre de formation ? On n’entrera pas ici dans le détail, vu que le fait de cerner toute la portée de ces recommandationstrès détaillées nécessite une lecture approfondie du rapport, en insistant sur les données manquantes – alors que nous avons plutôt ici tourné leprojecteur vers les principaux enseignements à en retenir sur le fond…
Le 25 mars, la CCFEE, où sont représentés les partenaires sociaux bruxellois au niveau interprofessionnel, a émis un avis à la suite de ces conclusions. Elleappelle les responsables des fonds et les secteurs en général à organiser de façon concertée une récolte de statistiques à mêmed’améliorer la lisibilité de l’action des fonds. Elle suggère que l’État fédéral mette en place un mécanisme d’incitants pourla récolte et le traitement des données sur l’activité des fonds. L’avis est complété d’une longue annexe intitulée «Développer une culture de l’évaluation », qui prolonge utilement les recommandations méthodologiques de Claire de Brier et son équipe.
1. ICHEC, département GRH, rue au Bois 365A à 1150 Bruxelles, tél. : 02 778 03 18, fax : 02 778 03 84,
e-mail : claire.debrier@ichec.be
2. CCFEE, av. Louise 166 à 1050 Bruxelles, tél. : 02 626 78 38, fax : 02 626 79 32, e-mail : Irayane@bruxellesformation.be À noter que l’étude n’est pas encore disponible et la date de sa publication est encore inconnue à ce jour.