Mesure fédérale, le PAS est effectivement mis en œuvre par l’Onem dans sa dimension de contrôle et, le cas échéant, de sanction àl’égard des demandeurs d’emploi, tandis que ce sont les organismes régionaux, VDAB, Forem et Orbem, qui sont chargés de l’accompagnement des demandeursd’emploi. Pour autant, la frontière entre contrôle et accompagnement est loin d’être étanche puisque c’est notamment sur la base des informationstransmises par les organismes régionaux que l’Onem apprécie le degré d’activation du « chômeur-demandeur-chercheur d’emploi ». Cettedéclinaison régionale d’un plan fédéral a fait l’objet, dès le début, de plusieurs polémiques portant sur les différences, voiresur les divergences d’approches et de résultats entre les trois organismes régionaux.
Les rapports des années précédentes1 semblent indiquer que l’accompagnement se fait de manière plus efficace et le contrôle des chômeurs demanière bien plus stricte du côté flamand que du côté wallon, et que les informations transmises à l’Onem sont plus complètes, et touchent un plusgrand nombre d’usagers en Flandre. Dans un contexte du débat communautaire sur une éventuelle régionalisation accrue de la politique de l’emploi, c’estnotamment le laxisme supposé des services wallons et bruxellois qui a été stigmatisé, au regard des performances et de la rigueur prêtées au VDAB. Qu’enest-il ?
Forem, VDAB, Orbem : convergences et spécificités…
Si différences il y a, elles ne sont pas d’abord à rechercher au niveau des structures et des compétences formelles. Résultant de la régionalisation, en1989, des services de placement et de formation professionnelle de l’Onem, le VDAB, le Forem et l’Orbem ont progressivement développé leurs propres lignes d’actiontout en partageant des principes d’organisation en bonne partie identiques :
• structuration de leurs missions en “produits” (“recherche d’emploi”, “offre d’emploi”, et “formation”),
• volonté affichée de privilégier “une approche client” vis-à-vis des demandeurs d’emploi comme des entreprises,
• décentralisation au niveau subrégional (au niveau des zones pour Bruxelles),
• établissement de réseaux et de partenariat avec les organismes publics ou associatifs de l’Insertion socioprofessionnelle.
En une vingtaine d’années, à la faveur de l’introduction de nouveaux instruments (informatisation, outils de traçabilité, dossier unique, bilan decompétence, jobcoaching), de la promotion d’une culture managériale promue par les cabinets d’audit, et de la redéfinition des contrats de gestion desorganismes régionaux, on peut observer le passage progressif d’une logique pyramidale, administrative et institutionnelle de traitement du chômage à la mise en place dedispositifs territorialisés et en réseau d’accompagnement individualisé des chercheurs d’emploi.
Un PAS reçu différemment
Les spécificités de l’architecture des dispositifs régionaux et les convergences des missions entre les trois organismes régionaux ne doivent cependant pasmasquer les différences perceptibles au niveau des discours et des pratiques. Sur ce plan, la mise en œuvre du plan d’accompagnement constitue à la fois unaccélérateur des évolutions en cours et un révélateur des différences d’approche.
Avant même la systématisation du suivi des chômeurs dans le cadre du PAS, le VDAB offrait déjà à ses usagers un accompagnement individualisérapproché, tout en privilégiant, sur le plan sémantique, la dénomination de « client » (« accompagnement des chômeurs » se traduit parClientvolgsysteem, autrement dit le « système d’accompagnement des clients ») plutôt que celle de “chômeur”. Ainsi la connotation passiveassociée à la représentation du chômeur est évacuée au profit de l’image d’un individu responsable. En outre, le VDAB a été àla source de plusieurs initiatives devançant ainsi ses homologues régionaux, voire même les projets politiques fédéraux : l’accompagnement des chômeursde plus de 50 ans, les services alloués aux entreprises recherchant des candidats, ou encore les possibilités de changement de carrière en cours de route(loopbaanbegeleiding). Le plan d’accompagnement a donc largement été perçu par les agents du VDAB comme une transposition de sa politique interne au niveaunational.
L’Orbem, pour sa part, a développé un plan d’action nommé CPP (Contrat de projet professionnel) qui est proposé aux chercheurs d’emploi de moins dequarante ans et à tous les chercheurs d’emploi indemnisés ou en période d’attente. L’objectif est que le demandeur d’emploi puisse définir lesactions à entreprendre pour réaliser un projet professionnel et ce, dans le cadre d’un contrat d’une durée d’un an, qui fait notamment mention d’un suivitrimestriel avec un conseiller de l’Orbem qui s’engage à collaborer à la réalisation de son projet professionnel. L’accompagnement concret des «contractants » se fait avec la collaboration des partenaires de l’Orbem. Pour l’avenir, N. Saint Viteux, conseillère emploi à l’Orbem, présente lesobjectifs de l’Orbem comme étant les suivants : pouvoir rencontrer le chômeur à partir du premier mois de chômage afin de trouver des solutions très rapidementet lui offrir un suivi mensuel, tout en indiquant la difficulté, faute de personnel et de budget suffisant, de “gérer les flux”.
Du coté wallon, un plan d’action équivalent, le Dispositif d’insertion socioprofessionnel (DISP), ciblant les chômeurs de longue durée sans qualification, aété mis en place, mais la durée du contrat est de deux ans, et le suivi proposé est déjà mensuel, même si pratiquement on permet, et ce, en fonctiondes directions régionales, que les rendez-vous puissent avoir lieu en fonction d’un critère de pertinence.
Des réticences au contrôle des demandeurs d’emploi… et des agents
Au Forem comme à l’Orbem, on évoque un malaise lors de l’adoption du PAS. Marie Anne Strimelle, conseillère emploi à la direction régionale du Forem deNivelles et à la maison de l’emploi d’Ottignies, explique qu’au début la notion de « contrat » a eu du mal à être intégrée auvocabulaire. L’appellation gênant tant les acteurs sociaux que les usagers, on lu
i préférera le terme « accompagnement ». Pour sa part, E. Jénicot,conseillère emploi à la mission locale de Saint–Josse, présente le CPP tout autant comme un soutien des chômeurs avant leur entrevue avec les facilitateurs del’Onem que comme une aide à la recherche d’emploi.
Plus que le renforcement de l’accompagnement, qui était déjà au cœur même des missions des “conseillers d’accompagnement professionnel” duForem, des conseillers emploi de l’Orbem, et, en sous-traitance, des agents des organismes partenaires (missions locales, Organismes d’insertion socioprofessionnelle), c’est la dimensionde contrôle qui a été au centre des réticences exprimées, parfois mezzo voce, d’autant plus que ce contrôle accru a été autantvécu comme une surveillance du travail des agents qu’un contrôle des chômeurs.
Par rapport aux chômeurs, non seulement l’Onem a accès à la base de données commune aux trois organismes régionaux : Erasme, où sontenregistrées des données objectives telles que les différentes dates d’entretiens avec le conseiller (mais en principe jamais le contenu des entretiens), mais elle aégalement accès au Réseau plateforme emploi (RPE) à Bruxelles. Sur le RPE, se trouve une grille reprenant pour chaque chômeur l’ensemble des actionsentreprises et oui ou non achevées par lui, sans aucune appréciation. Ces données sont encodées avec l’accord du chômeur par les conseillers Contrat de projetprofessionnel (CPP) de l’Orbem dans les missions locales.
La défiance exprimée par une partie des agents tient aux incertitudes quant à l’usage qui pourrait être fait de ces données. E. Jénicot,conseillère emploi à la mission locale de Saint-Josse signale que ce n’est qu’à la fin de l’année 2006 que les conseillers emploi de sa mission localeont su que les données qu’ils sont chargés d’encoder sont accessibles à l’Onem. Et Marie Anne Strimelle, confie qu’il y a deux mois les conseillers emploidécouvraient que, sur la banque de données Erasme, la mobilité, les raisons familiales et une indisponbilité temporaire ne constituaient plus une raison recevable de refusd’un emploi.
En outre, des responsables d’organismes d’ISP ont exprimé la crainte que les termes du contrat de partenariat entre l’Orbem et les organismes partenaires locauxn’induisent une pression à la standardisation de l’accompagnement des demandeurs d’emploi. L’Orbem subsidie un poste de conseiller CPP, chargé de s’occuperdes demandeurs d’emploi CPP et d’encoder sur le RPE toutes les actions entreprises pour et par ce dernier. Chaque action – la rédaction d’un CV, un entretiend’orientation… – donnant droit à un nombre forfaitaire de “points”, avec l’impératif de totaliser 100 points en fin d’année pourpouvoir bénéficier des subsides de l’Orbem.
Un marché de l’emploi segmenté
Au-delà de la différence du taux de chômage entre les trois Régions, ce sont les caractéristiques tant du marché de l’emploi que du chômagedans chacune des trois Régions qui sont évoquées pour expliquer les difficultés propres et les différences d’approches entre le Forem, le VDAB etl’Orbem. Marie Anne Strimelle explique que la gestion du chômage en Wallonie pose des difficultés pour plusieurs raisons : la main-d’œuvre existe, mais elle se rend peudisponible; les personnes sont prêtes à travailler, mais leur ouverture géographique n’est pas très grande. Sans oublier que l’une des exigences des employeursest le bilinguisme, voire le trilinguisme. Tandis qu’à Bruxelles selon les propos recueillis à l’Orbem les principales difficultés sont les suivantes : l’offred’emploi est faible et il y a un écart entre ce que l’employeur demande et le profil du public.
Pour autant, ces raisons ou ces justifications structurelles, tout comme les appréhensions parfois divergentes entre les trois Régions, ne se traduisent pas par un plus grand“laxisme” francophone ou wallon. Le Forem, auquel il avait été reproché, du côté de la classe politique flamande, de ne pas transmettre les dossiers detous les chômeurs qui soustraient à leurs obligations, a depuis changé son fusil d’épaule. Un accord de coopération a été signé entre lesrégions pour harmoniser la procédure de transmission à l’Onem et dès le second quadrimestre 2006, on a pu en mesurer les effets : sur 31 315 dossiers envoyés(51 % du VDAB, 42 % du Forem, 7 % de l’Orbem), 7155 ont débouché sur des sanctions soit le double du premier quadrimestre. Le Forem s’est ajusté à sonhomologue flamand et devient dès lors “le premier de la classe”: sur le 1171 sanctions pour refus d’emploi, 80 % ont été prononcées àl’encontre d’un chômeur wallon.
Il reste difficile de dresser un profil des « sanctionnés », mais il semble que 60 % des hommes sont touchés bien qu’ils ne représentent que 49 % de la parttotale des chômeurs. Les femmes y échappent car leur profil correspond mieux aux emplois « titre-services » et elles demandent des dispenses d’inscription en tant quedemandeur d’emploi pour raisons familiales et sociales. Au contraire des chômeurs peu ou moyennement qualifiés, les chômeurs qualifiés, qui représentent 11 % dunombre total de chômeurs, ne font l’objet que de 3 % des sanctions.
Si des différences de contextes et de culture organisationnelle sont à la source de la réception et de la perception différente du plan d’accompagnement, ellesn’impliquent pas une moindre sévérité. Dans le contexte du débat communautaire à propos d’une régionalisation accrue des politiques del’emploi, l’efficacité wallonne est sauve. Quant aux chômeurs concernés….
Nota bene
Pour la réalisation de cet article, nous avons rencontré Marie Anne Strimelle, conseillère emploi à la direction régionale du Forem de Nivelles et à lamaison de l’emploi d’Ottignies, ainsi que Elisabeth Jénicot conseillère emploi à la mission locale de Saint-Josse. Toutes deux ont été engagéesdans le cadre du PAS en 2004. Nous avons également repris les propos issus de l’entrevue avec Nandrine Saint Viteux, conseillère emploi à l’Orbem.
D’après Aziza Bahia et Dory Moutran
1. Voir Alter Échos n°185 (19/04/2005).