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Regard critique · Justice sociale

Formation à Bruxelles : le péril jeune ?

Beaucoup craignaient un afflux de jeunes aux portes des opérateurs de formation suite à l’obligation pour ceux-ci de signer le CPP. Cette peur s’est-elle confirmée dans lesfaits ?

05-03-2012 Alter Échos n° 333

Beaucoup craignaient un afflux de jeunes aux portes des opérateurs de formation suite à l’obligation pour ceux-ci de signer le CPP1 (contrat de projet professionnel).Cette peur s’est-elle confirmée dans les faits ?

Il y a plus de deux ans débutait une polémique concernant l’obligation pour les jeunes demandeurs d’emploi âgés de 18 à 25 ans de signer un contrat de projetprofessionnel (CPP) (voir Alter Echos n° 283 du 27 octobre 2009 : « L’obligation du CPP menace-t-elle la formation ?»). Contenue dans l’accord de gouvernement bruxellois, cette mesure avait été mise en placeen 2010 tout en suscitant l’inquiétude d’Emir Kir2 (PS), ministre de la Formation pour la Cocof. L’élu socialiste estimait en effet que, faute de moyenssupplémentaires, elle risquait de provoquer un afflux de jeunes difficilement gérable par des opérateurs de formation (le CPP privilégiant notamment le recours à laformation) déjà complètement saturés. Des opérateurs qui faisaient eux aussi connaître leurs préoccupations à ce sujet.

Si depuis, Emir Kir avait annoncé le déblocage de quatre millions d’euros récurrents pour la formation (dont une partie affectée aux jeunes), l’afflux de 18-25 ans tantredouté semblait se faire attendre. « Nous avions prévu qu’il y aurait un « effet retard », nous dit-on du côté du cabinet d’Emir Kir. Il avait en effetété demandé aux conseillers emploi d’Actiris de laisser les jeunes se frotter à la recherche d’emploi avant d’effectuer les ajustements nécessaires, qui pouvaientcomprendre la mise en formation. Cela dit, il semble que cet effet retard ait été plus important que prévu. » Néanmoins, le cabinet dit observer àl’heure actuelle un « frémissement » à ce niveau et affirme qu’il pourrait, d’ici trois à quatre mois, disposer de chiffres permettant d’objectiver unafflux de jeunes qui commencerait donc tout doucement à se confirmer.

Les jeunes sont là

Chez les opérateurs, ce « frémissement » est également observé et confirmé de manière relativement unanime. Ainsi, BruxellesFormation3 affirme que les jeunes ayant signé le CPP représentaient 1,2 % des 10 000 stagiaires pris en charge en janvier 2011, 3,6 % en juillet et 6,4 % endécembre. « Nous nous attendons à une augmentation conséquente dans les six mois », nous dit-on encore. Une augmentation qui peut se révélerencore plus importante pour d’autres opérateurs, comme l’AFT active dans l’horeca développée par l’asbl « Molenbeek Formation »4, quiémane de la Mission locale de Molenbeek. « Depuis la création de l’asbl en 1998, notre proportion de 18-25 ans tournait, bon an mal an, autour de 13 à 15 %.C’était la tranche d’âge des 25-35 ans qui était la plus importante, explique Christine Duquesne, coordinatrice de Molenbeek Formation. Mais depuis 2009 les choses ontchangé puisque le pourcentage de 18-25 ans était de 34 % cette année-là, de 32 % en 2010 et de 35 % en 2011. Lors des séances de sélection quenous avons organisées en 2010, 50 % des participants avaient moins de 25 ans. Là nous nous sommes dit : ça y est, c’est l’effet du CPP. »

Cela dit, beaucoup de nos interlocuteurs en conviennent, il est encore difficile à l’heure actuelle d’affirmer que le seul CPP soit à l’origine de ce phénomène. Plusglobalement, l’activation générale des chômeurs et la démographie galopante de Bruxelles joueraient aussi un rôle. L’afflux de plus en plus important de demandeursd’emploi vers les opérateurs de formation, tous âges confondus, est du reste un phénomène connu et récurrent ces derniers temps. Du côté de laFebisp5, la Fédération bruxelloise des organismes d’insertion socioprofessionnelle et d’économie sociale d’insertion, on confirme ainsi le frémissementobservé tout en s’affirmant incapable à l’heure actuelle de donner des chiffres et donc d’objectiver l’influence réelle du CPP. Néanmoins, la fédérationsemble « au taquet » sur ce sujet puisque dans une carte blanche rédigée en novembre 2011 et intitulée « La mission impossible des neuf missionslocales », elle écrivait : « Entre les années ’80 et aujourd’hui, il y a eu les mesures d’activation des chômeurs… qui se sonttraduites à Bruxelles, par la création du contrat de projet professionnel, le CPP. Il est même devenu obligatoire… Résultat : les demandeurs d’emploi sontde plus en plus nombreux à la porte des missions locales. » Une situation qui aurait ainsi poussé certaines missions locales à instaurer des conditions à laprise en charge du public, comme le fait que celui-ci doive parler correctement le français. Dans le cas contraire, il se voit orienté vers des formations en alphabétisation.

Des enjeux pédagogiques

Outre ces considérations purement chiffrées, l’arrivée en nombre de jeunes dans les structures de formation pose d’autres questions, tout aussi épineuses. « Ily a premièrement la question de l’information des jeunes sur le monde de l’emploi et deuxièmement la question de la mise en place de pédagogies différenciées pources jeunes », souligne-t-on du côté du cabinet d’Emir Kir. Des propos qu’on confirme chez Molenbeek Formation : « Le public des AFT est traditionnellement unpublic plus âgé, chômeur de longue durée, qui arrive ici plus tard dans son parcours. Avec l’arrivée en masse de jeunes se posent d’autres problèmes, notammentau niveau pédagogique puisqu’ils sont encore proches de leur parcours scolaire souvent chaotique, ce qui a une influence sur leur manière d’envisager la formation, explique ChristineDuquesne. Les jeunes ont un profil différent des plus âgés qui sont peut-être plus présents pour acquérir des compétences. Les 18-25 attendent plus « queça se passe », se projettent difficilement dans la vie professionnelle, ne savent souvent pas trop pourquoi ils sont là. Il y a dès lors aussi plus d’absentéisme de leurcôté, et plus d’abandons en cours de formation, même si je tiens à préciser que tous les jeunes n’ont pas ce profil et que certains sont trèsmotivés. »

Des différences qui posent problème notamment dans la composition de groupes de formation qu’il est de plus en plus difficile de rendre homogènes. « Il estcompliqué de faire cohabiter les jeunes et des stagiaires plus âgés, continue notre interlocutrice. Les codes sont différents, il y a un problèm
e de respect desconsignes pour les plus jeunes pour qui il s’agit plus, parfois, d’une question d’apprentissage de compétences sociales que du métier en tant que tel. »

Plus globalement, des questionnements souvent entendus au sujet de l’activation remontent aussi à la surface. « Ce public jeune ne fréquente pas souvent les structures desa propre initiative, explique Iléanna Rosselli, directrice de la mission locale de Molenbeek6. Et il est dans une position de « contraint » depuis longtemps puisqu’avant cela, il étaitobligé de se rendre à l’école. » Une situation d’obligation qui entraîne certaines conséquences, observées également dans les autrestranches d’âge : recherche à tout prix d’une attestation à présenter à Actiris, agressivité grandissante, manque de motivation.

Des ébauches de réponse

Face à l’afflux de jeunes, l’AFT de « Molenbeek formation » est en pleine réflexion. « Nous réfléchissons au fait de revoir noscritères de sélection, tout comme nos référentiels de cours », explique Christine Duquesne. Du côté de la mission locale, on élargit ledébat : « Il faudrait « récupérer la sauce » beaucoup plus tôt, essayer de mettre en place un projet d’école alternative », nousexplique-t-on.

Si on réfléchit donc du côté de Molenbeek, Bruxelles Formation quant à lui semble déjà avoir pris des mesures concrètes pour faire face auphénomène. Depuis juin 2011, la structure a ainsi mis en place, au sein de « Bruxelles Formation Tremplin », une section « Tremplin Jeunes »(qui fonctionne donc déjà, mais qui devrait bientôt être inaugurée) destinée aux jeunes de moins de 25 ans en première inscription chez Actiris et quiont donc signé le CPP. Ils peuvent y bénéficier d’une offre et d’une méthodologie adaptée, soit sur des projets de formation courts dans des secteurs comme l’horecaou la vente, soit dans le cadre d’une remise à niveau dans un objectif d’accrochage à une formation qualifiante.

Deux appels à projets

Au cabinet d’Emir Kir, on annonce que deux appels à projets ont été lancés. Le premier, à destination notamment des AMO ou des CPAS, concernait des projetsd’information pour les jeunes à propos du monde du travail. Sept projets auraient été retenus et tourneraient depuis début 2012. Le deuxième appel concernait quantà lui les opérateurs d’insertion socioprofessionnelle pour la mise en place de projets destinés spécifiquement aux jeunes. Cinq projets auraient été retenus,même si ce chiffre aurait pu être plus élevé. « Nous avons eu peu de réponses », souligne le cabinet. Un faible succès que la missionlocale de Molenbeek commente. « C’était une bonne initiative et nous en attendions beaucoup. Mais l’appel était assez formaté et empêchait selon nous dedévelopper des choses sortant du canevas type « Bruxelles Formation ». »

1. Contrat passé entre Actiris et le demandeur d’emploi afin de définir clairement les actions à entreprendre pour réaliser le projet professionnel de ce dernier.

2. Cabinet d’Emir Kir :
– adresse : bd Saint-Lazare, 10 à 1210 Bruxelles
– tél. : 02 506 34 11
– courriel : info@kir.irisnet.be
– site : www.emirkir.be
3. Bruxelles Formation :
– adresse : rue royale, 93 à 1000 Bruxelles
– tél. : 0800 555 66
– site : www.bruxellesformation.be
4. Molenbeek Formation :
– adresse : bd Léopold II, 101-103 à 1080 Bruxelles
– tél. : 02 421 68 60
– courriel : molenbeek.formation@mofo.irisnet.be
5. Febisp, galerie Ravenstein, 3 bte 4 à 1000 Bruxelles – tél. : 02 537 72 04 – site : www.febisp.be

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste

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