Côté face, Yvan Mayeur est reconnu pour le redressement du CPAS de Bruxelles. Côté pile, l’homme est souvent craint, ou très peu apprécié, ou les deux. Tentative de portrait d’une forte tête, entre sauveur et autocrate, à la veille de son arrivée à la tête de l’exécutif bruxellois.
Au premier abord, Yvan Mayeur est chaleureux, ouvert à la discussion et bouillonnant de ses convictions sociopolitiques. Etterbekois d’origine, assistant social de formation et membre influent du PS, il revendique clairement son appartenance à la grande famille du secteur social de la capitale. Et c’est d’ailleurs avec une quasi unanimité que ce même secteur lui reconnaît son œuvre au CPAS.
Il a hérité d’une organisation « dans un état épouvantable », il a « mouillé sa chemise », il a restructuré le CPAS et y a impulsé un véritable renouveau, admettent la majorité des personnes interviewées, tous bords confondus. Yvan Mayeur est en outre doté d’un solide sens de la stratégie, qui lui a permis d’aller chercher beaucoup d’argent pour le social. Voilà donc un homme qui sait ce qu’il veut pour l’action sociale bruxelloise, et qui l’obtient !
Passé le premier abord cependant, le personnage serait nettement moins sympathique. Si on lui reconnaît son impact salvateur sur le CPAS et les hôpitaux de la capitale (nous n’avons toutefois pas encore pu valider cette information concernant l’évolution de la santé financière des hôpitaux bruxellois), les qualificatifs peu élogieux pleuvent par contre dès qu’il s’agit d’aborder ses méthodes de travail et sa gestion des relations humaines. Qualifié au mieux d’ « irrespectueux », au pire d’« odieux » par ceux qui ont travaillé avec lui, il est manifeste que le tempérament d’Yvan Mayeur ne plaît pas à tout le monde. De nombreuses personnes parlent de violences verbales, de claquements de portes, de menaces, de mises au placard. Dans les rangs du PS comme du côté de ses adversaires, on pointe son autoritarisme.
Arrivé dans un CPAS au bord du gouffre, il fallait certainement un caractère bien trempé pour remettre de l’ordre. Difficile, dans ces conditions, de blâmer quelqu’un pour son tempérament. Oui mais… Nombreux sont ceux qui reprochent à Yvan Mayeur d’être autoritaire, certes, mais aussi d’être autocratique. Et là, c’est la gouvernance, la façon dont le pouvoir est exercé, qui est en jeu.
« La concertation et le travail en réseau, c’est pas son trip », résume, diplomatique, un interlocuteur de l’associatif. C’est peu dire qu’on a souvent reproché à Yvan Mayeur son fonctionnement en autarcie. À ce sujet, on relira avec intérêt l’article du sociologue de l’UCL Bernard Francq dans Espaces et sociétés, daté de 2004 et intitulé « Sans-abrisme et urgence sociale à Bruxelles : l’échec d’une expérience ».
Sur le terrain, dans le secteur de l’aide médicale par exemple, de nombreux acteurs déplorent la position dominante du Samusocial et le manque de dialogue avec le CPAS. C’est ainsi qu’une carte blanche intitulée Trois ans de pratiques illégales au CPAS de la ville de Bruxelles, signée par l’ensemble du secteur de la médecine sociale bruxelloise (centres de santé, maisons médicales, etc.), a été publiée début octobre dernier dans Le Soir.
Même topo en matière de logement et de lutte contre le sans-abrisme. Cela donne un réseau d’associations qui regrettent le manque de dialogue avec le CPAS et qui reprochent une stratégie du tout-à-l’urgence, sans vision de long terme.
On se rappellera la carte blanche du Rassemblement bruxellois pour le droit à l’habitat (RBDH) qui, dans nos pages ( « Non, les logements publics ne sont pas toujours abordables ! », Alter Échos n° 361, 4 juin 2013), fustigeait les prix élevés, selon lui, d’une partie des logements dont le CPAS est propriétaire.
Dans ce contexte, le débat né autour du logement de Pascale Peraita, directrice du Samusocial et future remplaçante d’Yvan Mayeur à la tête de l’action sociale bruxelloise, a forcément attisé le feu. Les médias se sont largement fait l’écho de la question de la nature de l’appartement qu’elle loue à La Savonnerie : social ou à loyer normal ?
Au total, le portrait qui se dégage d’Yvan Mayeur est pour le moins contrasté. Il y est question du meilleur comme du moins bon, de gestion salvatrice et d’ukases peu démocratiques. Ce qui est certain c’est que, dès mi-décembre, Yvan Mayeur concentrera dans ses mains de nombreux et importants pouvoirs à Bruxelles. Bourgmestre, il bénéficiera aussi d’une relation professionnelle privilégiée avec la direction du CPAS. La question de la bonne gouvernance prendra dès lors tout son sens.
L’homme a l’énergie, les convictions et le pouvoir de changer les choses. Quant à la manière dont il le fera, l’avenir nous le dira. Le secteur social de la capitale en appelle en tout cas au dialogue et à l’ouverture.
INTERVIEW
A.E. : Quel bilan tirez-vous à l’issue de ces années passées à la tête du CPAS bruxellois ?
Y.M. : Il y a 18 ans, le CPAS était en quasi faillite. Il n’y avait pas de politique sociale. La situation des hôpitaux était catastrophique, avec un déficit d’un milliard de francs belges à l’hôpital Saint-Pierre.
Je suis arrivé dans des conditions difficiles, avec une administration hostile à tout changement, même à toute intervention extérieure. J’ai donc redressé le CPAS puis les hôpitaux, avec Jean-Paul Philippot (NDLR administrateur actuel de la RTBF), au milieu des années 90.
Nous avons sauvé tout cela. Aujourd’hui le CPAS fonctionne et les hôpitaux sont des références. Il fallait remettre ces outils publics en état de marche, et on a fait mieux que ça!
A.E. : Avez-vous des regrets, des projets que vous n’avez pas pu mettre en œuvre ?
Y.M.: Il faut d’abord constater que, depuis 1995, nous n’avons pas connu de répit social. La situation s’est dégradée partout et a considérablement modifié la position des CPAS. Avec comme conséquence qu’aujourd’hui, on ne fonctionne plus que dans l’urgence. C’est pour moi le fait le plus marquant.
Résultat, on ne fonctionne plus qu’à flux tendu. Que ça soit dans les hôpitaux ou dans le secteur associatif, on parvient à faire du bon travail, mais ce n’est pas soutenable.
A.E. : Justement, de nombreux intervenants du secteur social vous reprochent d’agir trop sur l’urgence, avec le Samusocial notamment, et pas assez par des mesures structurelles. Qu’en penses-vous ?
Y.M. : Ils ont raison. Je ne comprends pas qu’il n’y ait pas de politique de logement d’insertion et de logement de transit au niveau de la Région. Aujourd’hui, les logements de transit sont créés par les CPAS de Bruxelles et de Saint-Gilles par exemple. On donne un million d’euros pour l’hiver et on pense que les problèmes sont résolus ! Il faut créer des logements d’insertion, avec un accompagnement.
Et quand je parle d’urgence, il ne s’agit pas que des sans-abri. C’est le même phénomène dans d’autres secteurs, comme celui de la santé, même si le sujet est mieux maîtrisé. Ou encore le surendettement, qui pose énormément de difficultés, qui est source de maladie, de problèmes mentaux. C’est une problématique pour laquelle nous n’avons pas de réponse à la hauteur des besoins.
A.E. : Les observateurs pointent la forte autarcie dans laquelle vous travaillez, ainsi que votre caractère autoritaire. Qu’en pensez-vous ?
Y.M. : Mon caractère autoritaire, j’ai dû l’acquérir au CPAS, étant donné la situation dans laquelle je suis arrivé. Ce à quoi j’ai du faire face à exigé de moi de l’autorité. Je pense que, alors, j’ai dérangé des gens. Et pourtant, fondamentalement je ne suis pas comme ça. Je suis à l’écoute, je suis capable de changer d’avis.
Pour ce qui est du fonctionnement en autarcie, la critique est en partie exacte, mais il faut en analyser les raisons objectives et institutionnelles. J’ai voulu ouvrir l’associatif, notamment avec la création des coordinations sociales dans les quartiers, dans tous les domaines. Mais il y a des associations qui sont sclérosées, qui ne se remettent pas en question. Ou d’autres qui n’ont pas les ressources suffisantes.
Et puis c’est vrai qu’il y a eu des conflits entre le CPAS et certains secteurs de l’associatif, mais on a essayé de trouver des solutions. Ceci dit, le secteur social, public ou associatif, est globalement très performant.
A.E. : Le salaire et l’appartement de Pascale Peraita ont fait l’objet de vives critiques. Que répondez-vous ?
Y.M. : Le salaire de Pascale Peraita oscille entre 4 200 et 4 800 euros net par mois tout compris. C’est un salaire barémisé. Pour ce qui est de son appartement, elle a souhaité – lorsqu’elle travaillait au Samusocial – avoir un logement proche de son lieu de travail, parce qu’elle était appelable n’importe quand, en particulier en hiver. Le point a été mis sur la table lors d’un conseil du CPAS et a obtenu un vote favorable à l’unanimité, cdH compris. Un logement lui a été attribué pour de justes raisons, parce qu’elle rendait service au CPAS. Il faut l’assumer.
Il est scandaleux de revenir là-dessus deux ans après. Et le lynchage médiatique orchestré par Joëlle Milquet est indigne !
Ceci étant dit, j’ai exigé, lorsque Pascale Peraita est entrée au CPAS, qu’elle quitte son appartement. Et elle est en train de le quitter, même si légalement tout est en règle.
A.E. : Comment réagissez-vous à la décision de Philippe Defeyt de raboter son salaire de président de CPAS ?
Y.M.: C’est une mauvaise idée et un mauvais signal. Ce qu’a fait Philippe Defeyt est une erreur politique, voir philosophique. Je trouve que, dans le social, on devrait bien gagner sa vie. Le social est un engagement, on ne compte pas ses heures, on n’est pas des ronds de cuir. Il n’est pas normal qu’un assistant social ou une infirmière ne soit pas bien payé.
Ce sont les banquiers qui devraient gagner moins. Et les travailleurs sociaux qui devraient gagner plus !
A.E. : Quelles sont vos priorités sociales pour Bruxelles ?
Y.M. : Pour moi la priorité est de remettre Bruxelles sur la voie de la prospérité. Il faut ramener les entreprises à Bruxelles. Par exemple, nous sommes en train de reconstruire Bordet sur le site d’Érasme. C’est très bien, mais c’est pour les travailleurs à haut potentiel.
Il faut aussi trouver du travail pour ceux qui sont le moins qualifiés. Je crois qu’il faut par exemple développer des secteurs comme l’Horeca, qui permet aux personnes de se former sur le tas et de rester dans leur quartier. Le secteur de l’aide aux personnes est aussi porteur, mais là il y a un problème de financement.
Et puis cela passe aussi par le réaménagement de la ville, qui est traversée par une autoroute à quatre bandes !
2013
- Bourgmestre de Bruxelles, à partir de mi-décembre
- Député fédéral PS
2007
- Président de la Commission des Affaires sociales de la Chambre des Représentants du Parlement fédéral
2005
- Président d’IRIS, le réseau des hôpitaux publics de la Région bruxelloise
2001
- Vice-Président du CHU Saint Pierre (jusque 2005)
- Président du Samusocial asbl
1995
- Conseiller communal de Bruxelles
- Président du CPAS de Bruxelles (jusque 2013)
- Président du CHU Saint Pierre (jusque 2001)
1981
- Député fédéral socialiste jusque 1999, puis de 2003 à aujourd’hui