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Fournir un logement à des illégaux n’est pas illégal

Si on lit attentivement la loi relative aux marchands de sommeil, on constate qu’il n’est pas interdit de louer à des illégaux. La loi réprime uniquement le fait d’exploiterla situation de faiblesse de la personne.

05-03-2007 Alter Échos n° 224

Si on lit attentivement la loi relative aux marchands de sommeil, on constate qu’il n’est pas interdit de louer à des illégaux. La loi réprime uniquement le fait d’exploiterla situation de faiblesse de la personne.

Dans notre dernière livraison, nous évoquions le premier recours à la loi du 10 août 2005 modifiant diverses dispositions en vue de renforcer la lutte contre la traiteet le trafic des êtres humains et contre les pratiques des marchands de sommeil. L’avocat Alexis Deswaef1 nous rappelait que celle-ci sanctionnait au travers de son article 433decies“l’abus de la vulnérabilité d’autrui”, par exemple en situation sociale précaire, qu’il soit étranger ou non, mais pas le fait de louer à une personneen séjour illégal.

Une volonté d’abus

Concrètement, la loi vise toute personne qui abuse “de la position particulièrement vulnérable dans laquelle se trouve une personne en raison de sa situationadministrative illégale ou précaire ou de sa situation sociale précaire, en vendant, louant ou en mettant à disposition, dans l’intention de réaliser un profitanormal” un logement (chambre, partie d’immeuble, immeuble, bien meuble) “dans des conditions incompatibles avec la dignité humaine, de manière telle que la personne n’a enfait d’autre choix véritable et acceptable que de se soumettre à cet abus.”

Des peines de prisons allant de 6 mois à 3 ans et des amendes allant 500 euros à 25 000 euros sont prévues. Et “l’amende sera appliquée autant de fois qu’il y ade victimes”.
À cela notait Alexis Deswaef, s’ajoutent des sanctions connexes : la réquisition de tout ou partie de l’immeuble et sa mise à disposition du CPAS “afin d’êtrerestauré ou loué temporairement”. Seul “hic”, mais de taille, les victimes seront relogées “le cas échéant”. Ce qui est loin d’assurerun véritable droit au relogement déplore l’avocat.

Pas d’influence sur le contrat de bail

Louer à des illégaux n’est donc pas illégal en soi, c’est l’abus de la vulnérabilité d’autrui qui est visée par la loi. Dans “Le Cri” defévrier 2007, l’organe du Syndicat national des propriétaires (SNP)2, la juriste Bénédicte Delcourt pointe également cette nuance. “Le Codepénal ne permet pas de punir un bailleur qui donne en location un bien salubre à une personne en séjour illégal, pour un loyer raisonnable (en rapport avec les prix dumarché et non avec la situation de l’intéressé)”, explique-t-elle. Et d’ajouter : “D’un point de vue civil, le caractère illégal du séjour dulocataire n’a aucune conséquence sur le contrat de bail. Ce dernier (écrit ou oral) existe bel et bien et est tout à fait valable.”

La juriste du SNP précise encore que “le statut de sans-papier du locataire ne confère pas au bailleur une immunité contre un manquement à ses propres obligationsdécoulant du contrat de bail. En effet, tout personne en séjour illégal a droit à la justice, indépendamment de la situation de son séjour ou de sonstatut.” Dès lors, une personne en séjour illégal peut introduire une action devant le Juge de Paix en cas de manquement de la part du propriétaire. “Au niveaude la procédure, déclare Bénédicte Delcourt, il lui suffit de se procurer un certificat de domicile de la partie adverse (en l’occurrence, son bailleur) et de payer lesdroits de greffe.”

Ces divers points sont corroborés par un article paru dans la revue Article 23 d’octobre 2006 du RBDH-BBRoW (Rassemblement bruxellois pour le droit à l’habitat –Brusselse Bond voor het recht op wonen)3 : “La loi sur le bail et les demandeurs d’asile ou les sans-papiers”.

Ombre au tableau ou texte obscur ?

En revanche, tant le SNP que le RBDH constatent que l’article 77 § 1 de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement etl’éloignement des étrangers“prévoit que l’aide apportée à un illégal pour entrer ou séjourner sur le territoire est condamnablepénalement”. Le § 2 établit toutefois une exception pour l’aide apportée dans un but humanitaire. Exception qui ne concerne toutefois pas les personnes ayant desrelations “commerciales” avec des illégaux, tels les bailleurs honnêtes.

1. Alexis Deswaef – Cabinet d’avocats du Quartiers des libertés ( www.quartierdeslibertes.be ) , rue duCongrès 49 à 1000 Bruxelles –
tél. : 02 210 02 00.
2. Syndicat national des Propriétaires ( www.aes-snp.be) , rue du Lombard, 76 à 1000 Bruxelles – tél. : 02512 62 87 – courriel : info@snp-aes.be.
3. RBDH-BBRoW ( www.rdbh-bbrow.be ), rue du Grand-Serment 2 bte 1 à 1000 Bruxelles – tél. : 02 502 84 63– courriel : rbdh@skynet.be.

Baudouin Massart

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