« Si tu ne viens pas à Lagardère, Lagardère ira à toi », écrivait Paul Féval en 1857. C’est une philosophie semblable qui pousseaujourd’hui des milliers de Français vers la création d’entreprise : l’emploi ne vient pas à eux ? Qu’importe ! Ils le créent. Le statutd’auto-entrepreneur, lancé en janvier dernier par le gouvernement Sarkozy, est un outil destiné à répondre à l’attente d’une populationdéroutée par la crise économique.
Que faut-il faire pour créer une auto-entreprise ? Rien, ou presque – en France, du moins. La déclaration d’activité consiste en un formulairetéléchargeable sur Internet et rempli en quinze minutes. Transmise au Centre de formalité des entreprises concerné, cette déclaration entraînel’attribution d’un numéro de Siren, qui permet d’identifier l’entreprise. Au terme de ces démarches minimalistes, l’activité peut démarrer.Outre ces modalités de création simplifiées à l’extrême, le statut d’auto-entrepreneur offre un large éventail d’avantages conçuspour inciter les candidats que les formalités administratives rebutent : dispense d’inscription au registre du commerce et des sociétés, exonération de la taxeprofessionnelle durant les trois premières années, paiement des charges en ligne, procédure de radiation rapide… Pas de chiffre d’affaire = pas de charges socialesou fiscales : telle est la formule magique du statut d’auto-entrepreneur. Difficile de faire plus simple. Et cela marche : depuis la date d’application du dispositif, 200 000auto-entreprises ont été déclarées, dans les domaines les plus divers : télétravail, formation, assistance administrative… On a même vu unejeune femme lancer son activité de dominatrice SM en auto-entreprise, pudiquement dissimulée derrière le vocable de prestation de services…
Reprendre les rênes
Comment expliquer l’engouement pour un tel dispositif ? Tout d’abord par la liberté qu’il permet. Cumulable avec les statuts de salarié, de fonctionnaire,d’étudiant, de demandeur d’emploi, voire de retraité, l’auto-entreprise constitue une formule dont la souplesse séduit ceux qui souhaitent étoffer leursactivités. Maria, enseignante en informatique dans une entreprise de formation, y voit l’opportunité de diversifier ses interventions et de disposer d’une béquilleéconomique : « Le centre pour lequel je travaille est une structure fragile qui a plusieurs fois été mise en difficulté par le passé. Développer mespropres activités est un moyen de limiter les dégâts si je suis licenciée. L’auto-entreprise, c’est une façon de ne pas mettre tous ses œufs dansle même panier ! » Guy, quant à lui, vient de créer son activité de réparations mécaniques et le statut d’auto-entrepreneur lui semble le meilleurmoyen de passer outre les idées reçues dont il souffre dans sa recherche d’emploi : « J’ai plus de cinquante ans et personne ne veut m’embaucher. Résultatdes courses, je végète au RMI [NDLR aujourd’hui, RSA]. Me lancer seul me permet de faire bouger les lignes et de prouver ce que je vaux. Je reprends les rênes de monexistence. »
Auto-entrepreneurs : libres ou livrés à eux-mêmes ?
L’auto-entreprise, bouffée d’air frais dans un contexte de grisaille et de cloisonnement économique ? Voire… L’enthousiasme généré parce nouveau régime ne doit pas balayer certaines réserves. Ainsi, au terme du premier semestre d’activité, moins d’un auto-entrepreneur sur deux adéclaré un revenu. Hervé Novelli, secrétaire d’État aux Petites et Moyennes Entreprises (PME), se veut rassurant : « Il faut du temps pourgénérer du chiffre. » Certes. Mais on peut aussi y voir les limites d’un dispositif dont la séduisante simplicité va précipiter des milliers decandidats non préparés dans l’aventure de la création d’entreprise. En d’autres termes, il faut que l’auto-entreprise soit une réussite et non unesimple soupape au désarroi social. Car il n’est pas impossible qu’un grand nombre de ces nouveaux entrepreneurs aillent droit dans le mur faute de préparation etd’accompagnement…
Les Coopératives d’activités et d’emploi : un tuteur pour les entrepreneurs
L’accompagnement, c’est justement ce que permettent les coopératives d’activités et d’emploi (CAE). Créées pour offrir un accompagnementpersonnalisé aux créateurs d’entreprises novices, les CAE proposent aux candidats un cadre juridique (avec un numéro au Registre du commerce), un statutd’entrepreneur-salarié en CDI (qui donne accès aux droits de tous les salariés), une gestion administrative de l’entreprise (facturation, salaires…), ainsiqu’une analyse des besoins et des conseils de stratégie commerciale. La CAE – qui rémunère ses services à hauteur de 10 % du chiffre d’affaires– offre donc un cadre structurant aux entrepreneurs. Une manière de minimiser les risques d’échec, souvent synonymes de retour à laprécarité…