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Regard critique · Justice sociale

France, Pays-Bas : des exemples à suivre pour l'exonération ISP ?

La Fondation Roi Baudouin a organisé une table ronde consacrée au revenu d’intégration sociale et à l’exonération ISP.

06-06-2010 Alter Échos n° 296

La Fondation Roi Baudouin1 a organisé une table ronde consacrée au revenu d’intégration sociale (RIS). Centrée notamment sur l’exonération ISP, elle atenté dans ce cadre d’identifier certains pièges à l’emploi tout en jetant un coup d’œil sur ce qui se fait chez nos voisins.

En Belgique, les bénéficiaires du RIS peuvent bénéficier d’une exonération socioprofessionnelle en cas de reprise du travail ou d’entame d’une formationprofessionnelle. Sous forme forfaitaire, celle-ci s’élève à 216,69 euros par mois et est limitée à une durée de trois ans. Elle permet, par exemple, àune personne isolée bénéficiant de 726,79 euros de RIS et travaillant à mi-temps pour 300 euros par mois de gagner plus que si ces 300 euros étaient simplementdéduits du RIS qui lui est versé tous les mois (il toucherait alors 426,79 euros auxquels viendraient s’ajouter les 300 euros de son revenu).

Ainsi, avec l’exonération, le calcul pour le RIS est assez simple : 726,79 euros + 216,69 euros – 300 euros + 20,8 euros (une exonération spéciale sur laquelle nous nenous étendrons pas) donnent 664,31 euros de RIS à recevoir, auxquels s’ajoutent les 300 euros de revenus du travail. Le bénéficiaire reçoit donc 964,31 euros.Sensiblement plus que les 726,79 euros auxquels il aurait droit si ses revenus du travail étaient simplement déduits. Le but de l’opération est évident : rendre attractifle passage d’un revenu d’intégration vers un emploi.

Des pièges à l’emploi ?

Néanmoins, certains défauts semblent grever le bon fonctionnement de ce système apparemment efficace. S’appuyant sur une synthèse de deux rapports dont les travaux derecherche ont été menés par le Centrum voor sociaal beleid, Herman Deleeck et le Bureau fédéral du plan. Natasha Van Mechelen, représentant le premier, etGreet De Vil, représentant le second, pointent ainsi certains problèmes. Premier cité, le caractère forfaitaire de l’exonération est présenté comme unfacteur important. En effet, une fois le montant du forfait (216,69 euros) atteint en travaillant, l’accroissement du revenu du travail n’aurait plus d’effet sur le revenu total de la personne ou duménage. Ainsi, jusqu’à un revenu du travail correspondant à un peu moins 20 % du revenu minimum mensuel moyen garanti (ce qui correspond au montant du forfait),l’exonération ISP produit encore un effet sur le revenu total du ménage ou du bénéficiaire. Mais après, à partir de +/- 20 % jusqu’à 70 % danscertains cas, l’effet d’accroissement du revenu total est quasiment nul, constituant une sorte de piège à l’emploi puisque rien ne pousse en effet dans ce cas une personne àaccepter un travail à 70 % du Revenu minimum mensuel moyen garanti plutôt qu’à 20 %.

Deuxième problème, l’exonération ISP est limitée dans le temps et ne s’applique qu’une fois dans la vie. Dans ce cas de figure, un bénéficiaire du RIScommençant à travailler pour une durée d’un an et perdant ensuite son travail avant d’en retrouver un autre deux ans plus tard n’a plus droit à l’exonération. Letroisième défaut cité par les intervenantes est que l’exonération n’est pas applicable aux personnes qui travaillent déjà (elle concerne les« soutiens de revenu qui commencent avec le travail ou la formation »). Enfin, les deux chercheuses pointent également de possibles octrois non uniformes et desnon-recours à l’exonération ISP. L’exonération ISP est, en effet, calculée et octroyée localement et dépend, malgré les réglementationsnationales, de pratiques et d’interprétations locales.

Quelles alternatives ?

Plus tôt dans la journée, en guise d’alternative au système belge, deux intervenants venus de France et des Pays-Bas avaient dressé un tableau de systèmesapparentés, appliqués dans leur pays. Premier à prendre la parole, Philippe Mongin, directeur de recherche au CNRS, a ainsi présenté le revenu de solidaritéactive (RSA), entré en application depuis le premier juin 2009 en remplacement du revenu minimum d’insertion (RMI) et de l’allocation de parent isolé (API). Constitué sous formede prestation double – un « RSA de base », minimum social garanti pour les foyers sans ressources et un « RSA activité », complément de ressources pour lestravailleurs pauvres –, ce système avait comme objectif principal de réduire la pauvreté et de faire entrer dans le travail rémunéré le plus possiblede bénéficiaires de la solidarité.

Le RSA avait fait naître certaines attentes. D’après Philippe Mongin, on estimait lors de son lancement qu’il permettrait directement à 700 000 personnes de passer au dessus du« seuil critique » (évalué à 60 % du revenu disponible médian). Il faut dire que ce système, et particulièrement le « RSAactivité », a de quoi faire réfléchir. Ce dernier substitue en effet au traditionnel système du « barème différentiel » unsystème de « barème dégressif », lequel garantit néanmoins que l’addition de l’allocation et du revenu d’activité continue de croîtreavec le revenu d’activité. Un système incitatif qui, de surcroît, engendre la même incitation à tous les niveaux de revenus et est illimité dans le temps.Néanmoins, d’après Philippe Mongin, à l’heure actuelle, le nombre de foyers percevant le « RSA activité » augmente très lentement. Or, si leRSA permet de franchir « la ligne rouge », c’est grâce à l’utilisation potentielle du « RSA activité ». L’objectif de réductionde la pauvreté serait-il donc déçu ?

Du côté des Pays-Bas, c’est Arjan Heyma, du SEO Economisch Onderzoek qui a pris la parole. Pour faire court, le système en place outre-Moerdijk et exposé lors de lamatinée permet aux bénéficiaires de garder 25 % de leurs revenus nets du travail, avec un plafond de 186 euros et ce, pour une période limitée à sixmois au maximum. Un système qui a fait froncer les sourcils de l’assistance et s’étonner Philippe Mongin qui constate que le taux de prélèvement s’élèvealors à 75 %, ce qui réduit fortement l’effet incitatif.

Un « status quo » ?

Après l’exposé de ces deux intervenants, tentative fut faite de comparer les différents systèmes. La méthode utilisée, exposée d’ailleurs dans lasynthèse présentée par Natascha Van Mechelen et Greet De Vil, a consisté à remplacer l’exonération ISP par la méthode de calcul en vigueur dans lespays voisins, toutes les autres caractéristiques du calcul de l’exonération ISP et du revenu d’intégration étant maintenues. À la lecture des tab
leauxaffichés suite à cet exercice, il est possible de tirer quelques conclusions par ailleurs reprises dans la synthèse. Premièrement, c’est surtout le RSA qui permetd’obtenir un revenu disponible net plus élevé en travaillant plus alors que, on l’a vu, l’exonération ISP offre beaucoup moins de variations à ce niveau, de même quele système issu des Pays-Bas. Deuxièmement, pour les personnes ayant les revenus du travail les plus bas, l’exonération ISP forfaitaire offre un revenu disponible plusélevé que les systèmes d’exonération proportionnelle.

On le voit, si personne n’a vraiment prononcé le mot, on peut supposer l’existence d’une certaine forme de statu quo entre les systèmes envisagés, même si le RSAfrançais semble plus favorable. Un constat auquel certains participants à la matinée mettront tout de même un bémol en faisant remarquer que celui-ci,illimité, pourrait s’apparenter à une forme d’emploi subsidié ad vitam æternam. Ce qui fera dire à Philippe Mongin que la réalité dumarché de l’emploi (en France et en Europe) est ainsi faite que certains emplois doivent être subsidiés. Et d’ajouter : « C’est peut-être une forme derésignation politique, mais… » D’autres participants pointeront quant à eux le danger des systèmes d’aide induisant des effets « in » et« out ». « Il ne faudrait pas que les gens soient obligés de passer par un CPAS ou par un revenu d’intégration sociale pour pouvoir obtenir telle outelle aide », entendrons-nous conclure l’un d’entre eux.

1. Fondation Roi Baudouin :
– adresse : rue Brederode, 21 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 511 18 40
– courriel : info@kbs-frb.be
– site : www.kbs-frb.be

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste (emploi et formation)

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