Sécurité et prévention de la délinquance constituent un objectif urgent pour les pouvoirs publics français. Il faut dire que, des émeutes dans lesbanlieues parisiennes aux incendies de voitures lors des réveillons strasbourgeois de fin d’année, beaucoup d’observateurs estiment qu’il y a péril en lademeure. Cela n’exclut pas de développer une vision à long terme, ce qui ne semble pas être la priorité à l’heure actuelle…
Il en est passé de l’eau sous les ponts, depuis le moment où Nicolas Sarkozy – alors ministre de l’Intérieur – affirmait avec force rodomontadesqu’il allait s’employer à nettoyer « la racaille » au « karcher ». Force est de constater que les problèmes desécurité constituent toujours, cinq ans plus tard, l’une des priorités majeures des pouvoirs publics en France. Avec en ligne de mire, comme un mirage jamais atteint, laconcrétisation d’une politique de prévention véritablement efficace. Et l’urgence commande de promptes prises de position, car il semble que la maison brûle, sil’on en croit certains responsables politiques. Arnaud Montebourg, député socialiste et président du Conseil général de Saône-et-Loire, estimait ainsirécemment sur les ondes d’Europe 1 que « la France est aujourd’hui un territoire où la République est en train de se retirer ». Ledéputé participait à un débat où il était question des violences aux personnes et de la délinquance juvénile.
Le Forum français pour la sécurité urbaine1 – qui rassemble plus d’une centaine de maires français, tous bords politiques confondus –s’est réuni en juin dernier à l’occasion d’un colloque intitulé « Vers la fin des contrats locaux de sécurité ? »Il s’agissait de dresser un état des lieux des politiques de prévention et d’aboutir à une prise de position commune sur ce sujet. Les participantss’accordèrent à dire – et ce fut là leur conclusion officielle – que la prévention sous toutes ses formes constituait la réponse sociale la plusadaptée aux problèmes de la délinquance et de la récidive, et qu’il convenait par conséquent d’y allouer des fonds aussi considérablesqu’à la répression. Conclusion peu discutable, mais que faire de plus sur le terrain que ce qui existe déjà ?
Pléthore de dispositifs
Car ils sont nombreux, les dispositifs en vigueur et leur champ d’application pas toujours très lisibles par le commun des mortels. À l’image des Contrats locaux deSécurité (CLS), inaugurés en octobre 1997 et dont l’objectif est de fédérer les énergies d’un territoire donné afin d’y fairereculer l’insécurité. Ces contrats, qui s’inscrivent dans l’action publique territoriale et reposent sur une action de proximité, impliquent l’ensembledes acteurs concernés : préfets, maires, acteurs de la vie sociale…
Les CLS permettent en théorie de définir des territoires concernés, d’établir des diagnostics et de définir les acteurs susceptibles d’intervenir surle terrain. Ils constituent donc un outil supposé mettre en cohérence la réalité de la délinquance et les moyens à déployer pour la faire reculer.Sauf que nombre de ces CLS sont actuellement dormants, comme le révèle une enquête rendue publique en 2005. Zones urbaines sensibles (ZUP), Contrat ville… Les initiativespubliques ne manquent pas pour favoriser la prévention et la sécurité. Avec toutefois le risque de s’empiler dans un millefeuille administratif typiquement françaiset sans effet réel sur le terrain.
Des choses existent, mais…
Massar Laazibi, acteur associatif engagé et membre de la Licra (Ligue internationale contre le Racisme et l’Antisémitisme) à Strasbourg1 observe les choses aveclucidité : « Dire que la volonté n’existe pas serait injuste. Il y a une prise de conscience des pouvoirs publics : on n’a jamais autant parléd’égalité des chances ou de promotion de la diversité. Mais il y a loin des intentions aux actes. » Est-ce à dire que rien ne se faitréellement ? Les acteurs des services sociaux passent-ils plus de temps en réunions d’évaluation et autres tables rondes que sur le terrain ? « Levolet administratif a tendance à devenir de plus en plus lourd, reconnaît Massar Laazibi. Pour autant, il y a des gens qui accomplissent un travail formidable : des élus, descentres socio-culturels, des éducateurs, des clubs de sport… À Strasbourg, par exemple, il existe des conseils de quartier, qui permettent de monter des projets concrets pour lesjeunes à l’échelle de leur quartier. C’est plutôt encourageant, mais cela ne suffit pas : il faudrait une politique de prévention globale. »
Vaste ambition qui demande pour l’heure de sérieux efforts collectifs, si l’on en croit l’éducateur strasbourgeois qui voit avant tout le problème dansl’articulation des dispositifs existants : « Il existe énormément d’initiatives, mais ce ne sont bien souvent que des petits sas montés dansl’urgence, en réaction à l’actualité. Il faudrait tout de même faire un bilan à tête reposée et essayer d’élargir un peu leshorizons, de voir plus loin. On a créé les zones urbaines sensibles, les zones franches [NDLR censées redynamiser un quartier par l’implantation d’entreprisesauxquelles on accorde en échange des exonérations de taxes], les contrats villes… Aujourd’hui, il y a le plan Espoir Banlieue lancé par Fadela Amara. Leproblème, c’est que pendant qu’on se gargarise de plans aux noms ronflants, la vie associative a du plomb dans l’aile : moins d’argent, moins desoutien. »
Pour un retour de la prévention
Il semble donc qu’on attende la solution comme on attend Godot. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État à la Justice, a été chargé en aoûtdernier d’une mission de réflexion et de propositions dans le domaine de la prévention de la délinquance des jeunes. On voit mal ce qu’une telle étude pourraitnous apprendre qu’on ne sait déjà. À moins qu’il ne s’agisse d’un énième paravent ? Parallèlement, les questions des peinesplancher, de la comparution immédiate des mineurs ou de la déchéance de la nationalité française pour les délinquants d’origine étrangèrelaissent perplexe quant à la volonté d’une réelle politique préventive
: « Les gouvernements de droite ont délaissé le champ de laprévention, préférant enchaîner les mesures et discours répressifs, plus vendeurs et plus spectaculaires », écrivent ainsi Lilan Alemagna et SonyaFaure dans Libération en août dernier.
Les terrifiantes émeutes de novembre 2005, qui avaient enflammé de nombreuses banlieues françaises, témoignent de la profondeur du problème et de la rupture dela France avec une partie de sa jeunesse. Les mandats politiques sont courts, or une prévention efficace demande beaucoup de temps. On comprend, dès lors, que certains soienttentés de miser sur une logique répressive, plus immédiatement visible. Pourtant, comme le souligne Pierre Karli, neurobiologiste, fondateur de l’Institut de promotion dulien social : « En matière de violence, toute explication simple n’explique rien et toute solution simple ne résout rien. » À méditer,sans aucun doute.
1. Forum français pour la sécurité urbaine :
– adresse : rue des Montiboeufs, 10 à 75020 Paris
– tél. : + 33 (0)1 40 64 49 00
– site : www.ffsu.org
2. Licra Bas Rhin (Strasbourg) :
– adresse : rue Moser, 14 à 67300 Schiltigheim
– tél. : + 33 (0)6 64 91 23 18
– courriel : philemonlequeux@evc.net
– site : www.licra.org