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Regard critique · Justice sociale

Agriculture sociale

Froidmont, la ferme du talent

Depuis 2010, grâce à ses potagers et son restaurant pédagogique, la Ferme de Froidmont forme à Rixensart des adultes demandeurs d’emploi de longue durée aux métiers de commis de cuisine et de maraîcher en culture biologique. L’association reconnue d’économie sociale forme une quarantaine de personnes chaque année. Outre l’accompagnement vers un emploi, la ferme travaille à l’inclusion sociale et à la protection de l’environnement. 

Depuis 2010, grâce à ses potagers et son restaurant pédagogique, la Ferme de Froidmont forme à Rixensart des adultes demandeurs d’emploi de longue durée aux métiers de commis de cuisine et de maraîcher en culture biologique. L’association reconnue d’économie sociale forme une quarantaine de personnes chaque année. Outre l’accompagnement vers un emploi, la ferme travaille à l’inclusion sociale et à la protection de l’environnement. 

Betteraves, poireaux, carottes, les tas s’empilent au milieu du potager qui s’agite à l’approche des beaux jours. Tous les stagiaires sont occupés. D’un côté, on aère le sol, on sème, tandis que de l’autre, on récolte les légumes. Le tout sous l’œil attentif de Tom Paris, formateur en maraîchage biologique. À 25 ans à peine, le jeune homme a un parcours bien rempli, nourri d’une seule ambition, prendre soin de la terre. «Tout ce qui concerne l’autonomie alimentaire m’intéresse», explique le formateur arrivé à la ferme en 2016. «Froidmont offre un système de pédagogie différent, à travers la formation par le travail, ce qui permet à toute une série de personnes éloignées du monde du travail de s’accrocher davantage qu’à un système plus traditionnel, plus théorique. Puis, la ferme propose à travers le maraîchage biologique de décloisonner le travail agricole, trop souvent isolé. Durant la formation, il y a d’ailleurs une partie importante consacrée à la modélisation du projet professionnel pour le quantifier, le rendre concret, en avançant pas à pas, pour développer un vrai réseau en autonomie alimentaire», ajoute Tom.

«C’est une forme de gouvernance partagée: je donne les directives, et chacun les personnalise en fonction de ses objectifs.», Tom Paris, formateur

L’autre mot, c’est la confiance. «Je suis plus un guide qu’un professeur qui va tout leur apprendre. C’est une forme de gouvernance partagée: je donne les directives, et chacun les personnalise en fonction de ses objectifs, de son projet professionnel. Par exemple, j’ai prévu une association de cultures, et ils utilisent les techniques qu’ils veulent: un stagiaire qui ne voudrait planter que des carottes peut le faire, tandis qu’un autre pourra mélanger les légumes.» La formation dure entre douze et quatorze mois pour découvrir le panel de toutes les techniques maraîchères et de permettre aux stagiaires de sélectionner les techniques qu’ils développeront dans leur futur projet professionnel.

Depuis huit mois, Vincent, la trentaine, suit cette formation de maraîchage. Venant de l’horeca, il a voulu changer de métier après une période de chômage. Avant Froidmont, il n’avait jamais travaillé la terre, et autant le dire, il n’est pas près d’arrêter. «J’ai énormément appris, et je regrette d’avoir découvert si tard les potentialités de l’agriculture biologique. Pour vous donner un exemple, j’avais entendu comme tout le monde parler du compost, mais je n’avais jamais vu de mes yeux tout l’or qu’il peut y avoir dans des déchets. À la ferme, j’ai découvert toute la diversité de ce travail», explique Vincent. Après son stage, il aimerait se lancer à son compte: «Je suis vraiment attiré par les tomates. C’est une culture exigeante et difficile, notamment en extérieur et en Belgique», ajoute-t-il.

«Si on m’avait dit que j’allais me retrouver à découper des légumes, je ne l’aurais pas cru.», Dupleix, ancien footballeur

Bon an, mal an, une quinzaine de tonnes de légumes sont récoltées à Froidmont sur les trois parcelles de la ferme. Ce projet de réinsertion professionnelle par l’apprentissage de la culture biologique s’accompagne d’un autre projet de restaurant pédagogique, «La Table de Froidmont», qui propose une cuisine bio et locale. Les légumes cultivés dans les parcelles sont cuisinés par d’autres stagiaires en formation de commis de cuisine. C’est là qu’on retrouve Dupleix, arrivé il y a cinq mois à la ferme. «Le rôle d’un commis se limite normalement à la découpe et à la mise en place des plats, mais on a la chance ici de pouvoir cuisiner et d’apprendre beaucoup plus que lors d’une formation traditionnelle. Tout de suite, tu sais si tu aimes cela ou pas car il y a toujours quelque chose à faire dans une cuisine. Cela ne cesse jamais», raconte Dupleix. Ancien footballeur professionnel qui a joué en Amérique latine, en Indonésie ou en Turquie, Dupleix a un parcours de vie qui n’avait pourtant rien à voir avec la cuisine. «Si on m’avait dit que j’allais me retrouver à découper des légumes, je ne l’aurais pas cru. Quand j’ai arrêté ma carrière, j’ai travaillé comme moniteur sportif. Puis, je me suis retrouvé au chômage avant de trouver cette formation. J’ai toujours bien aimé cuisiner, mais je ne pensais pas en faire un métier. Pourtant, au fur et à mesure que je travaille ici, je souhaite pouvoir créer un jour mon propre restaurant.»

«Chacun a au moins un talent au fond de sa poche»

Derrière ces espoirs qui apparaissent à la ferme, il y a aussi le projet d’un homme, Thierry de Stexhe. Ancien DRH d’une multinationale, l’homme en a eu marre de négocier des salaires, de gérer les burn-out et de préparer des plans de dégraissage du personnel. Il s’est demandé comment faire quelque chose d’utile et qui ait du sens, tout simplement. «Cela a été un cheminement professionnel, humain, en allant à la rencontre de personnes et de situations très différentes des miennes, ce que je n’avais pas l’occasion de faire en travaillant. Je voulais faire autre chose, mais quoi…» Son inspiration, il la tient de la parabole des talents (Évangile selon Mathieu). «Pour toute situation, personne n’est sans rien. Chacun a au moins un talent dans le fond de sa poche, mais, s’il l’y laisse, il ne se passera rien. On a donc toujours ce qu’il faut même pour les situations qui nous semblent insolubles. Il suffit de le risquer. Ce texte m’est tombé dessus quand j’étais au top d’une confortable carrière et j’ai voulu répondre à son appel.» En 2008, Thierry de Stexhe apprend que les dominicains, qui ont occupé la ferme pendant des dizaines d’années, déménagent. «C’était le lieu idéal, vu le grand réfectoire qui était disponible, et l’Horeca s’est imposé. Et je me suis lancé dans la création d’une association d’économie sociale visant à réinsérer des personnes en les formant. Ce qui était dans mes compétences…» En 2015, l’ONEM accepte de donner des dérogations individuelles aux candidats stagiaires, tandis que des accords sont bouclés entre la ferme et les CPAS. En 2017, la ferme reçoit enfin son agrément CISP, en tant que centre d’insertion socioprofessionnelle. Aujourd’hui, même si l’équilibre financier reste fragile, Froidmont a trouvé son rythme: «C’est la deuxième année, en réalité, avec un nombre d’heures de formation qui avoisine désormais les 25.000 heures par an. Mais l’objectif est que les personnes qui viennent ici en ressortent mieux. Un mieux qui peut être différent pour chacun avec une palette extrêmement large de stagiaires. Que ce soit en cuisine ou au potager, ils reçoivent surtout un retour positif de ce qu’ils font, et à haute fréquence. Ce qui est souvent une première pour certains. Froidmont est un résultat collectif dû à tous ceux qui y travaillent ou s’y forment. Il y a de l’exigence, mais aussi de la bienveillance», se félicite Thierry de Stexhe.

 

 

 

Pierre Jassogne

Pierre Jassogne

Journaliste

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