FruitCollect est une asbl qui propose aux particuliers de récolter les fruits perdus de leurs jardins afin de les redistribuer aux associations ou de les revendre. Un circuit court, solidaire, anti-gaspillage et plutôt simple.
«Félicitations, merci, hein!» Le propriétaire des lieux est sur le pas de la porte et remercie chaudement Hélène qui se tient sur le perron sous la pluie. C’est la deuxième année que l’équipe de récolteurs revient glaner le raisin. «Et surtout, attention aux pièges à taupes dans le fond du jardin», avertit l’homme en refermant la porte. Nous sommes au milieu d’une matinée pluvieuse et la récolte de FruitCollect peut commencer.
«L’année dernière, nous étions arrivés en complets-touristes. Nous avions pris des sacs plastiques mais le raisin finissait écrasé», se rappelle Hélène. Bénévole de la première heure chez FruitCollect, c’est elle qui organise la récolte du jour. La jeune femme a tout prévu: bottes aux pieds, gants et sécateurs aux mains. Sans oublier les bâches pour protéger de l’humidité les caisses en carton. Dans cette propriété proprette située à quelques kilomètres de Louvain-la-Neuve, la tondeuse automatique sommeille le long d’un mur à quelques mètres de la vigne. Longue d’une dizaine de mètres, cette dernière n’a pas été entretenue: ses branches lourdes font penser à la chevelure rebelle d’un ado mal coiffé.
«Plus on est, plus on rit»
Sous l’œil circonspect des automobilistes, Hélène, Alicia et Thierry s’activent. En se pliant sous la vigne, Alicia s’applique à dégager des feuillages les grappes les plus belles et les moins abîmées. Elle finit par mettre la main sur une grappe grosse comme deux fois un poing. Les grains sont sucrés, épais, parfaits pour la dégustation. La chevelure clairsemée de blanc, Alicia confie d’un air un peu peiné qu’elle aura «30 ans le 30 décembre». Mais son enthousiasme pour l’association ne faiblit pas: c’est sa troisième année de récolte. Alicia et Hélène ont été les premières à rejoindre l’association. Le dernier de l’équipée est Thierry. Étudiant de 24 ans, il est venu donner un coup de main dans le cadre d’un aménagement de peine. Pris sur un délit routier, il a choisi de convertir son amende en heures de travail bénévole. Et comme il trouvait le concept de FruitCollect intéressant, le voilà sous la grisaille, sécateur à la main.
Dans la vigne, ça discute, ça blague, on raconte même la fois où une poire est tombée sur Hélène lors d’une précédente récolte.
La petite équipe progresse lentement parmi les branches. Dans la vigne, ça discute, ça blague, on raconte même la fois où une poire est tombée sur Hélène lors d’une précédente récolte. Seule ombre au tableau en plus des nuages, il devait y avoir deux bénévoles supplémentaires ce matin-là. Ils se sont décommandés au dernier moment. «Dur dur de mobiliser», déclare Hélène, notamment par temps de pluie. Les blagues reprennent malgré l’humidité et le froid qui engourdissent les doigts. «On va me prendre pour une poivrote», ricane Alicia en montrant ses manches tâchées de jus de raisin. Les deux autres du groupe rient. Les équipiers du raisin se prennent en photo dans la vigne, images qui seront partagées sur les réseaux sociaux. Le tout est aussi de passer un bon moment entre récolteurs. C’est pour cela que Maxime Niégo, le fondateur de FruitCollect, encourage tout le monde à participer: «On a déjà eu des personnes à mobilité réduite, des enfants qui étaient en bas âge. Plus on est, plus on rit», conclut Maxime. Tout en ajoutant que des membres d’associations peuvent aussi grossir les rangs des récolteurs.
«Sept fois les besoins d’une famille»
Le long de la route qui mène à Gastuche, sous le regard curieux des vaches, Alicia, Thierry et Hélène garnissent au total six caisses pleines à craquer de raisins. Soit un butin de plusieurs dizaines de kilos. Des kilos qui s’ajoutent aux six à huit tonnes de fruits que l’asbl espère récolter pour cette saison. Pourquoi autant de fruits? «Il y a beaucoup de particuliers qui nous expliquent qu’ils essaient de distribuer les fruits à leurs voisins mais qui n’arrivent quand même pas à les écouler. Ils nous contactent à ce moment-là. On a lu quelque part qu’un arbre fruitier, un pommier classique par exemple, peut produire jusqu’à sept fois les besoins d’une famille de quatre personnes sur une année», explique Noémie, future salariée de l’asbl. Les pommiers sont les premiers donneurs à l’asbl: chaque sac pèse 25 kilos. En additionnant les 200 kilos de poires récoltées le second week-end de septembre, les chiffres vont vite.
Livraison directe
L’idéal est la quantité. Et le système récolte-distribution doit rester dans le circuit court. Par exemple, une première partie du raisin récolté par Hélène, Alicia et Thierry voyagera 10 à 15 minutes en voiture pour être livrée dans la cuisine de La Serpentine, une des trois maisons d’accueil de l’asbl Horizons Neufs. Les grappes seront le dessert de la petite dizaine de pensionnaires, hébergés dans cette maison spécialisée pour adultes en situation de handicap à Louvain-la-Neuve. La deuxième partie de la récolte parcourra 20 kilomètres pour aller à Braine-l’Alleud. Elle profitera à l’asbl L’Églantier, qui vient en aide aux femmes en difficulté. Chaque semaine, FruitCollect envoie un courriel aux associations mentionnant les récoltes attendues. Chaque bénéficiaire est ainsi invité «à passer commande», raconte Maxime Niego. FruitCollect se charge ensuite de répartir les fruits selon les besoins.
Les pots de pommes, de poires ou de raisins sont livrés dans plusieurs communes de Bruxelles pour trois euros pièce.
Dans l’esprit du jeune homme, FruitCollect doit rassembler autour d’elle une communauté équitablement répartie en Belgique pour ne pas avoir à faire trop de route pour les pommes, poires, fraises, raisins qui croisent la route de la centaine de glaneurs bénévoles de FruitCollect. Un public majoritairement jeune et connecté, comme en témoignent les réseaux sociaux. Au-delà de l’aspect social, l’organisation de FruitCollect permet de pérenniser ses revenus. La part des fruits qui n’a pas pu être redistribuée est transformée en jus, en compote ou en confiture. Les pots de pommes, de poires ou de raisins sont livrés dans plusieurs communes de Bruxelles pour trois euros pièce. Cette vente permet de couvrir les dépenses de l’association. Pour continuer dans sa logique de circuit court et solidaire, le trafic des jus est assuré en vélo par Molenbike, une coopérative écoresponsable. Elle promet un bon boulot aux coursiers avec, à la clé, une rémunération supérieure à celle des leaders du secteur. L’asbl FruitCollect, elle, a investi dans un vélo-cargo électrique afin de soulager les jambes du coursier dans les montées bruxelloises. Grâce aux revenus des jus, l’asbl va embaucher son premier mi-temps cette année.
Et maintenant?
FruitCollect espère franchir un nouveau cap. Au début du mois d’octobre, l’asbl a été sélectionnée par Coopcity-Bxl, un organisme chargé d’aider ceux et celles qui ont un projet à «haute valeur ajoutée sur le plan sociétal» à concrétiser leurs avenirs. L’association des récolteurs va bénéficier du coaching et de divers modules de formation. De cette manière, l’association planifiera son transit vers l’entrepreneuriat social. Histoire de rêver à un avenir où la jeune entreprise FruitCollect continue à rendre service aux particuliers en cueillant leurs fruits et en créant de l’emploi en Belgique.
En savoir plus
Focales n°38, «Soreal, rien à jeter», octobre 2017, Olivier Bailly, Alex GD.