La pression sur les salaires des travailleurs saisonniers a lieu dans un contexte difficile pour les fruiticulteurs belges. Boycottage de la Russie, concurrence de la Pologne, abondance de la récolte font baisser les prix. Une chute de plus en plus indigeste pour les producteurs.
Mauvaise année pour les fruiticulteurs belges. La crise russo-ukrainienne laissera des traces. Le boycottage de la Russie sur les produits agroalimentaires d’Europe les a frappés de plein fouet. Selon la Fédération wallonne horticole, 35% des poires belges étaient achetées par la Russie. Certains arboriculteurs nous ont bien expliqué comment contourner l’embargo. Un envoi de caisses de poires vers la Biélorussie, où l’on se charge d’un réétiquetage discret avant réexpédition, et hop le tour est joué. Mais la combine est trop compliquée pour être massive.
Il y a aussi eu les subventions de l’Union européenne pour laisser pourrir les poires sur leurs arbres. Elles ne suffisent pas, comme l’explique Claude Vanhemelen, de la Fédération wallonne horticole: «Avant la récolte, un arboriculteur doit investir de 7.000 à 8.000 euros par hectare. L’Union européenne subventionne de 3.000 à 6.000 euros pour ne pas cueillir. Dans tous les cas, l’agriculteur perd au minimum 1.000 euros par hectare.» Et fondamentalement, un agriculteur sera plutôt déprimé à l’idée de laisser pourrir le fruit de son travail.
Une vente à perte
Faute d’exportation, des milliers de tonnes de fruits belges supplémentaires ont inondé le marché national, faisant automatiquement baisser le prix de vente. Fin septembre, les producteurs de pommes et de poires tiraient la sonnette d’alarme. Sur la criée de Saint-Trond, le kilo se vendait à 25 centimes. «La grande distribution profite de nous pour vendre des pommes à prix bas», affirme Pierre Van der Linden, arboriculteur en Brabant wallon. Vingt-cinq centimes, une somme insuffisante pour couvrir l’ensemble des coûts de production, dont la main-d’œuvre saisonnière. «Nous vendons à perte», affirme-t-il.
Un boycottage qui fait mal. Mais ce que dénoncent en cœur les arboriculteurs, c’est la concurrence de la Pologne. Le pays est devenu le premier producteur de pommes en Europe grâce à des subventions européennes pour développer ce secteur. Aujourd’hui, alors que des cueilleurs polonais viennent en Belgique, en Pologne, ce sont les Ukrainiens qui font le déplacement.
Cette internationalisation de l’agriculture est dénoncée par des syndicats alternatifs comme la Confédération paysanne. Nicolas Duntze, lui-même paysan, dénonce le fait qu’aujourd’hui «le postulat, c’est l’exportation et le fait d’être compétitif. L’essence même de l’agriculture paysanne est perdue. Avec cette logique, on concentre la production, on l’intensifie au maximum. On réduit les coûts jusqu’à des niveaux incompréhensibles. Pour exporter, prendre des marchés, la seule variable c’est la rémunération du travail. On organise une concurrence entre travailleurs pauvres».
La question du «coût du travail»
Les possibilités de gagner de quoi vivre en vendant pommes et poires se font rares. Alors les agriculteurs se plaignent du «coût du travail», «trop haut en Belgique pour concurrencer la Pologne». Même si les salaires payés aux saisonniers sont très bas (la Belgique est en queue de peloton des pays de l’Ouest de l’Europe, avec des salaires bruts inférieurs à ceux de l’Espagne ou de l’Italie), ils restent bien supérieurs aux pays de l’Est de l’Europe (exemple, en Lituanie, le prix de la main-d’œuvre saisonnière est de 2,61 euros l’heure contre 9,77 en Belgique).
Le Boerenbond, organisation patronale d’agriculteurs belges, réfléchit à ces enjeux au niveau européen. On y parle salaires et flexibilité. Mais aussi dumping social, «pour éviter la concurrence vis-à-vis des employeurs de bonne foi».
Côté Confédération paysanne, on se fait bien plus critique: «Les employeurs cherchent de la main-d’œuvre saisonnière à l’étranger pour faire face à une pénurie. Mais il s’agit aussi de gens plus souples en situation difficile avec lesquels ils auront plus de docilité. Ce qui permet d’éroder les codes du travail nationaux.» Alors que certains rêvent d’une agriculture à nouveau locale et moins intensive, d’autres imaginent une harmonisation sociale en Europe.