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Regard critique · Justice sociale
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Depuis le 1er janvier, la fusion des Sociétés immobilières de service public (SISP) a été achevée, ces dernières étant passées en quatre ans de 32 à 16 sociétés en région bruxelloise. Une vaste réforme institutionnelle qui doit encore se concrétiser auprès des usagers. 

Lancé en 2013 et découlant de la sixième réforme de l’Etat, ce processus de rationalisation doit permettre une meilleure utilisation des moyens et une meilleure gouvernance, en visant une harmonisation des pratiques de ces sociétés qui gèrent près de 40000 logements sociaux bruxellois.

Tout ce processus a été accompagné par la SLRB (Société du logement de la Région de Bruxelles-Capitale), la région ayant débloqué une enveloppe de 600.000 euros pour couvrir les dépenses liées aux fusions et dégagé entre 2013 et 2016 un budget de 400000 euros par an pour un pôle d’experts afin de soutenir étroitement chaque fusion dans des domaines variés comme le droit des sociétés, la fiscalité, la comptabilité, la gestion du changement…

Il faut dire que la réforme fut complexe, tant les structures juridiques des sociétés étaient et restent encore très variées, malgré la fusion : il y a des sociétés anonymes, des sociétés commerciales à responsabilité limitée parmi lesquelles des coopératives de locataires. « Toutes ces opérations juridiques ont été un succès grâce à l’implication des différents acteurs, dont en particulier les SISP », se félicite Caroline Osselaer, juriste à la SLRB.

Si le chantier institutionnel est bel et bien achevé, le travail lié à la fusion opérationnelle n’est quant à lui pas terminé : « certaines  sociétés doivent encore disposer d’un nouveau siège social adapté à la taille de la société, tous les processus n’ont pas encore été harmonisés sur le terrain,  d’autres doivent être réévalués sur base de la pratique… Il importe dès lors d’assurer à l’heure actuelle une stabilité au secteur permettant à l’ensemble des éléments  opérationnels du processus de se déployer pleinement », poursuit Caroline Osselaer.

Des défis d’autant plus importants à relever qu’à la base, les sociétés n’étaient pas demandeuses de ces fusions. Ces dernières n’ont d’ailleurs pas toujours suivi, de l’aveu de certains des intervenants que nous avons pu interroger, une ligne directrice très claire : les affinités politiques ou institutionnelles ont apparemment primé sur la proximité géographique notamment. Malgré un cadre, très précis pourtant, celui du code bruxellois du Logement qui avait, dans le cadre de la fusion, prévu une nouvelle procédure d’agrément pour les SISP avec divers critères comme la prise en compte de la spécificité des situations locales, la répartition homogène des logements sociaux sur l’ensemble du territoire bruxelloise ou encore la garantie de maintenir un service de proximité adéquat.

« Si nous étions en faveur de ces fusions, nous espérions qu’il y aurait au moins un consentement entre les sociétés pour se réunir. Or, pour toute une série de raisons, la fusion ne s’est pas faite sur base volontaire. Elle a été imposée. Le politique a hélas repris le dessus : les sociétés ont fusionné, non pas en fonction des réalités du terrain, mais en fonction d’accointances partisanes, ce qui a donné naissance à des sociétés qui ne s’entendent pas entre elles. Certaines éprouvent  clairement des problèmes au niveau de leadership », reproche José Garcia du Syndicat des locataires.

« Certaines sociétés ont en effet fusionné par obligation, sans suivre de logique géographique ou territoriale, mais plutôt une logique de fonctionnement : les coopératives sont restées entre elles, les sociétés communales aussi, avec des fusions en fonction des couleurs politiques », regrette également Elise Fastenakel en charge du secteur du logement social à la FéBUL (Fédération bruxelloise de l’union pour le logement).

« Les sociétés ont fusionné, non pas en fonction des réalités du terrain, mais en fonction d’accointances partisanes, ce qui a donné naissance à des sociétés qui ne s’entendent pas entre elles. Certaines éprouvent  clairement des problèmes au niveau de leadership » José Garcia du Syndicat des locataires

Aux yeux des sociétés elles-mêmes, la fusion n’a pas créé toujours des situations simples à gérer. Avec désormais 3.200 logements sociaux répartis sur quinze communes, Comensia est à la tête d’un un parc immobilier hétéroclite, allant du simple studio aux vastes complexes comme celui de la cité du Parc Peterbos. Née de la fusion du Home familial bruxellois, d’Assam, de la Cité moderne et Sorelo, mêlant société anonyme et coopératives, cette SISP est devenue avec la fusion une coopérative de locataires à part entière. « Dans l’immédiat, le regroupement permet de diminuer les frais de gestion, vu l’économie d’échelle évidente au niveau des structures décisionnelles. Le processus de fusion constitue un moment délicat pour les équipes en place. Des appréhensions quant au changement, à la nouvelle organisation du travail, à l’arrivée de nouveaux collègues… Il faudra attendre un certain temps d’harmonisation. C’est une difficulté à ne pas négliger. Le tout en devant consolider l’identité de Comensia. C’est le défi qui nous a été donné», reconnaît Jean-Louis Pirottin, directeur général de Comensia.

Pour ce dernier, la réorganisation interne est l’occasion de spécialiser les équipes en place. « A terme, la professionnalisation du secteur fera de la fusion un plus incontestable autour d’un management qui permettra de motiver le personnel par rapport aux objectifs fixés par le gouvernement. Par contre, cette uniformisation du traitement pose tout de même la question de l’autonomie des SISP dans leur façon de dégager des potentialités, des espaces de liberté dans leur fonctionnement. »

« Dans l’immédiat, le regroupement permet de diminuer les frais de gestion, vu l’économie d’échelle évidente au niveau des structures décisionnelles. Le processus de fusion constitue un moment délicat pour les équipes en place. Des appréhensions quant au changement, à la nouvelle organisation du travail, à l’arrivée de nouveaux collègues… Il faudra attendre un certain temps d’harmonisation» Jean-Louis Pirottin, directeur général de Comensia.

Du côté des locataires, il semble que les situations varient d’une société à une autre malgré la volonté d’harmonisation de la fusion. Le seul effet concret et commun aux diverses sociétés est l’harmonisation du calcul de charges et des loyers ou encore des règlements d’ordre intérieur. « En effet, les sociétés ont tellement été concentrées dans la mise en œuvre de la fusion qu’elles sont encore pour le moment dans une phase de transition avec la recherche d’une nouvelle manière de fonctionnement interne, d’un nouveau lien avec le locataire et dans la découverte de nouveaux périmètres avec aussi un changement de personnel au sein des structures. Le climat est compliqué et il est encore trop tôt pour parler de plus-value pour les locataires », ajoute Elise Fastenakel.

« Pourtant, une importance toute particulière a été consacrée aux usagers, notamment avec le maintien de services de proximité et à l’amélioration de l’efficacité générale du secteur. L’offre de logements au sein d’une même SISP est aussi plus diversifiée, ce qui est intéressant pour répondre aux demandes de mutation. Quant aux règles applicables à la location d’un logement, elles n’ont pas subi de modification majeure dans le cadre des opérations de rationalisation », rappelle, pour sa part, Caroline Osselaer pour la SLRB.

La SLRB a d’ailleurs été chargée de réaliser une première évaluation de l’impact de ce processus. Cette évaluation est attendue pour la fin 2018. Quant à savoir si la fusion permettra de répondre mieux et rapidement aux 44 000 ménages qui sont en attente d’un logement social en région bruxelloise, autant le dire qu’on en est encore loin…

 

 

 

 

Pierre Jassogne

Pierre Jassogne

Journaliste (social, justice)

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