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Justice

G4S pour réinsérer des détenus

À Malines, une maison de transition accueillera prochainement une quinzaine de détenus pour les réinsérer en vue de leur libération. Pour les encadrer, ils seront suivis 7j/7 par la société privée G4S. Un choix qui suscite le malaise auprès des associations et des criminologues.

© Pierre Jassogne

À Malines, une maison de transition accueillera prochainement une quinzaine de détenus pour les réinsérer en vue de leur libération. Pour les encadrer, ils seront suivis 7 j/7 par la société privée G4S. Un choix qui suscite le malaise auprès des associations et des criminologues.

«Avec cette maison, il s’agit de faire entrer la prison dans le XXIe siècle», lança le ministre de la Justice, Koen Geens (CD&V), à la foule de journalistes venus visiter la première maison de transition située dans le centre de Malines. Dès l’entrée, à côté d’un portrait improbable de la Callas, un panneau d’avertissement attire le regard pour indiquer que le lieu est surveillé par une dizaine de caméras.

«Avec cette maison, il s’agit de faire entrer la prison dans le XXIe siècle.» Koen Geens (CD&V)

Tout est fait pourtant pour recréer les conditions d’une vie plus ou moins normale à l’image de cette immuable corbeille de fruits posée fièrement dans la cuisine. Même topo dans les chambres, toutes individuelles, ou le salon avec sa bibliothèque, son coin télé. Le cadre change évidemment de la vie en cellule. Une salle est aussi consacrée aux sports, une autre à l’accueil des enfants. En tout, quinze détenus sélectionnés spécifiquement – par exemple, des condamnés éligibles à une libération conditionnelle – bénéficieront d’un accompagnement spécial pour purger la fin de leur peine dans cette structure qui les prépare à une réinsertion au sein de la société. Si le cadre change, les règles sont celles d’un régime de détention. Les allées et venues des détenus seront régies comme en prison. Un plan de placement décrira également le programme que le condamné doit suivre et indiquera les activités auxquelles il doit participer en vue de sa réinsertion.

«Dans cette maison, les résidents devront prendre activement leurs responsabilités, tout en étant épaulés à différents niveaux, notamment pour trouver un emploi et un logement, construire un réseau social et donner un sens à leur vie», expliquait à la presse Jean-Paul Van Avermaet, directeur général de G4S. Car c’est là que le bât blesse: la gestion de cette maison a été confiée à G4S Care, la partie sociale du «leader mondial en solutions de sécurité intégrée, spécialisé dans la fourniture de services de sécurité». À Malines, les détenus seront encadrés 24 h/24 par des collaborateurs de l’entreprise privée qui doit encore désigner des travailleurs sociaux, des psychologues et des criminologues. G4S Care sera accompagné dans sa tâche par Exodus Nederland, autre société privée qui gère depuis des décennies les maisons de transition aux Pays-Bas.

Une présence toujours plus forte

Faire entrer la prison dans le XXIe siècle serait donc ainsi renforcer la part du privé dans le pénitentiaire? Il y a fort à craindre, déplorent associations et criminologues. «On aurait dû le voir venir», s’indigne la criminologue de l’UCL Marie-Sophie Devresse. Cette incursion du privé est en effet récurrente désormais dans le domaine carcéral. Partenariats public-privé pour la construction des nouvelles prisons, incursion d’entreprises comme Sodexo pour former des détenus… «Les entreprises privées sont en train d’ouvrir un nouveau marché au plus près des détenus en s’occupant de réinsertion désormais. Cela crée un vrai malaise car il y a un enjeu financier pour ces sociétés», poursuit-elle. Avec le risque, selon la criminologue, de faire du profit sur la transition en créant une étape pénitentiaire supplémentaire: «Sont-ce des détenus qui avaient vraiment besoin d’un passage en maison de transition, ou sont-ce des personnes qui auraient pu déjà sortir de prison?»

À Malines, les détenus seront encadrés 24 h/24 par des collaborateurs de G4S.

Un vrai malaise aussi au sein des associations: «On ne peut agir sur la réinsertion, sur le soin et le social, si on doit gérer en même temps la sécurité et la réduction des coûts en toile de fond», dénonce Vinciane Saliez, d’I-Care.

Certaines associations sont elles-mêmes sollicitées ou concurrencées dans leurs actions par ces acteurs privés. C’est le cas de l’asbl bruxelloise Après, en charge de la réinsertion par le travail de détenus. Il y a quelques années, l’association a été contactée par Sodexo. «La société était venue nous trouver pour voir comment on travaillait pour réinsérer les détenus, raconte Sophie Pollak, intervenante psychosociale. Le privé s’immisce de plus en plus dans le secteur de l’accompagnement et l’encadrement des détenus. Au fil du temps, d’appel à projets en appel à projets, une association comme la nôtre se trouve en concurrence avec des agences d’intérim, chose qui semblait inimaginable il y a quelques années encore, nos approches étant diamétralement différentes.»

«Les entreprises privées sont en train d’ouvrir un nouveau marché au plus près des détenus en s’occupant de réinsertion désormais. Cela crée un vrai malaise car il y a un enjeu financier pour ces sociétés.» Marie-Sophie Devresse, criminologue à l’UCL

Quant aux réactions politiques, elles ont été tardives. Il a fallu la présentation de la maison de transition à la presse pour que des voix s’élèvent face à cette intrusion du privé dans la politique carcérale. «Voir passer des fonds publics – 900.000 euros – vers une société privée obligatoirement soumise aux lois du marché pose problème. En matière de réinsertion, les enjeux économiques ne peuvent pas peser. Il ne peut pas y avoir une logique de bénéfices», dénonce la députée Écolo Marie-Colline Leroy. «Autant il y a eu un débat sur la maison de transition, autant il n’y en a eu aucun sur le recours au privé. On ne sait pas pourquoi le ministre a choisi de faire appel à G4S», déplore-t-elle encore, s’inquiétant quant aux répercussions de ce choix sur le recrutement du personnel comme sur l’encadrement des détenus.

Un projet revu et corrigé

À côté de cette gestion confiée au privé, c’est la philosophie du projet qui interroge aussi.

Pour Olivia Nederlandt, juriste interrogée en commission justice sur le sujet, ces maisons de transition constituent avant tout une modalité supplémentaire d’exécution de la peine, c’est-à-dire une nouvelle «étape» obligatoire avant la libération conditionnelle. «Ce passage dans ces maisons sera décidé par l’administration pénitentiaire elle-même, et pas par le tribunal d’application des peines. Sans audience ni contradiction», poursuit-elle.

«En matière de réinsertion, les enjeux économiques ne peuvent pas peser. Il ne peut pas y avoir une logique de bénéfices.» Marie-Colline Leroy, députée Écolo

Aux yeux de la criminologue, il y a surtout un terrible constat d’échec sur la politique pénitentiaire actuelle avec la réalisation de ce projet. «En créant une maison de transition au sein de laquelle il y aura une présence plus importante de services liés à la réinsertion, le ministre de la Justice ne fait que répondre à la loi de principe de 2005 qui prévoit un tel accompagnement, explique Olivia Nederlandt. Or, et c’est là toute l’absurdité du projet, il réserve à quelques détenus sélectionnés une politique, prévue par la loi, qui devrait être appliquée dans toutes les prisons. Il faudrait que le régime de détention soit comme cela dans toutes les prisons. Que ce ne soit pas une forme d’exception.»

La juriste déplore enfin que, malgré le transfert des détenus en maison de transition, les places qu’ils ont libérées en prison ne soient pas supprimées. «Là encore, on reste dans cette logique de la surpopulation, de l’extension du parc carcéral.»

Il faut dire que le concept de maison de transition a complètement été revu par le ministre Geens, en reproduisant une prison en miniature, sans donner la possibilité aux détenus en voie de réinsertion le moyen de s’approprier un environnement externe. On est loin des initiatives présentes dans d’autres pays ou régions comme le Québec dont le but n’est pas de recréer quelque chose de l’ordre du ghetto ni de rester dans cette idée de prolongement de la prison et du monde judiciaire. «Même si certaines personnes dépendent directement du ministère de la Justice, elles sont là sur une base volontaire selon leur projet de réinsertion qui a été évalué, réévalué depuis l’entrée en détention jusqu’à la sortie», peut-on lire dans un rapport de la CAAP, la concertation des associations actives en prison1. D’ailleurs, dans un avis rendu au ministre Geens, la CAAP regrette l’appellation «maison de transition» pour ce qui est en réalité, à ses yeux, une maison de détention. Un changement d’appellation qui entraîne un risque sur le statut juridique et social des personnes accueillies dans ces maisons. «Vu qu’il s’agit d’une modalité d’exécution de la peine, elles conservent un statut de détenu. Cela risque de poser problème pour leur garantir l’accès aux dispositifs d’aide existant à l’extérieur et leur garantir des droits similaires aux autres citoyens – par exemple, en matière de soins de santé ou d’accès à des revenus sociaux. Tout comme pour les personnes en détention limitée et en surveillance électronique, cela constituerait un obstacle majeur à leur réinsertion sociale», indique la CAAP dans cet avis.

Quoi qu’il en soit, une seconde maison verra le jour à Enghien début 2020. Si le projet suscite l’inquiétude d’une partie de la population, le bourgmestre Écolo, Olivier de Saint-Amand, lui, voit l’arrivée de cette maison de transition d’un bon œil. «Actuellement, nos services sociaux comme notre CPAS sont déjà confrontés à des prisonniers qui retrouvent la liberté sans aucune préparation. Le collège communal est convaincu que cette maison de transition facilitera désormais leur tâche.»

(1) Actes de la journée de réflexion et d’échanges «Sortir de prison : vers une transition réussie?», 2017, p. 61.

Pierre Jassogne

Pierre Jassogne

Journaliste

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