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Regard critique · Justice sociale

Garde partagée : on n’est pas sortis de l’auberge

La loi sur la garde partagée – ou hébergement égalitaire suite à la séparation des parents – peine à atteindre ses objectifs.

23-05-2010 Alter Échos n° 295

La loi du 18 juillet 2006 relative à l’hébergement égalitaire – ou garde partagée – de l’enfant dont les parents sont séparés oudivorcés atteint-elle ses objectifs ? Une étude, des pratiques et des discours démontrent qu’il y a encore du pain sur la planche. Et des impacts sur le marché dulogement.

Ce n’est un secret pour personne : avec un taux de divorce de 60 %, la Belgique se place dans le peloton de tête des pays européens. C’est dans ce contexte que la loide juillet 2006 est venue proposer, sans le rendre obligatoire, un principe de référence qui est l’hébergement égalitaire. Comment cette loi est-elle vécuesur le terrain ? C’est ce qu’a voulu savoir le secrétariat d’État à la Politique des familles1 en commanditant àl’Université de Liège une « Évaluation de l’instauration de l’hébergement égalitaire dans le cadre d’un divorce ou d’uneséparation2 ». Les résultats de cette étude viennent d’être publiés. Ils sont riches d’enseignement.

Mais revenons d’abord à la loi elle-même. « Quand on fait aujourd’hui référence à la loi de juillet 2006, on se rend compte qu’unepartie de l’énoncé de celle-ci a disparu », fait d’emblée remarquer Olivier Limet3. Licencié en politique économique et sociale, ilintervient depuis dix ans auprès de professionnels et de parents soucieux de mieux comprendre et de pouvoir expliquer les mécanismes et le contexte sociologique menant à larupture du lien entre un parent et ses enfants après une séparation parentale. De fait, l’intitulé complet de la loi n’est autre que : « Loi du 18juillet 2006 tendant à privilégier l’hébergement égalitaire de l’enfant dont les parents sont séparés et réglementant l’exécution forcéeen matière d’hébergement d’enfant. » Olivier Limet ajoute : « L’exécution forcée telle que prévue dans la deuxième partie de laloi n’est guère appliquée. Plus aucun huissier n’accepte d’aller chercher l’enfant au domicile du parent qui refuserait qu’il se rende, comme prévupar la décision du juge, chez l’autre parent. Dans des situations extrêmes, l’astreinte est exceptionnellement utilisée. » Ce « lapsus »par rapport à la finalité globale de la loi se révèle également dans l’intitulé de la recherche évoquée plus haut, c’estd’une « évaluation de l’instauration de l’hébergement égalitaire dans le cadre d’un divorce ou d’une séparation », dontil est question. Les résultats de la recherche en elle-même faisant référence, en quelques lignes seulement, aux plaintes pour non-présentation de l’enfant,alors même que le rapport compte pas moins de 174 pages.

Trois cas de figure

En matière de séparation et de divorce, trois cas de figure se présentent, au début de la procédure :

1. les parents arrivent devant le tribunal de la jeunesse avec un accord, obtenu par le biais d’une médiation familiale ou non. Le juge va logiquement homologuer cet accord pourautant qu’il ne soit pas contraire aux intérêts de l’enfant.

2. Dans l’hypothèse où l’un des deux parents demande un hébergement égalitaire, mais que l’autre parent souhaite un autre mode de garde, le juge de lajeunesse va prioritairement examiner l’hébergement égalitaire.

3. Reste le dernier cas de figure où aucun des deux parents ne souhaite un hébergement égalitaire. Dans ce cas le juge est censé examiner les solutions proposéespar les parents, mais peut revenir à un hébergement égalitaire si tel est le modèle allant dans le sens de l’intérêt de l’enfant.

« Dans le rapport réalisé à propos de cette recherche, on voit que les juges ont l’impression que la loi ne change pas fondamentalement pour eux. Ilscontinuent à appliquer le cas par cas, tout en ayant leur perception de la situation, leurs représentations et leur histoire personnelle par rapport à la famille, expliqueMarie-Thérèse Casman, coordinatrice de la recherche menée par l’Université de Liège. Certains juges sont probablement amenés à proposerl’hébergement égalitaire. Dans cette dynamique, ajoute-t-elle, la limite serait que les parents qui ne le demandent pas doivent se justifier. Or tous les papas ne souhaitent pascette forme d’hébergement. Et il ne faudrait pas en arriver à ce que les parents se sentent hors normes ou se culpabilisent de ne pas désirer et/ou de ne pas pouvoir, pourdes raisons diverses, opter pour l’hébergement égalitaire. »

Avec son ouvrage Parents séparés : contraints à l’accord ?, où il livre son analyse de loi de 2006, Olivier Limet ouvre également ledébat : « Si le pouvoir judiciaire ne fait pas systématiquement appliquer une décision, serait-ce entre autres parce que le juge se trouve aujourd’hui plusdans une position d’accompagnement et de consensus que d’imposition ? » Et de conclure sous la forme d’une interrogation : la loi du 18 juillet2006 condamnerait-elle les parents à s’entendre tandis que les intervenants judiciaires et parajudiciaires auraient à les accompagner dans ce sens ? 

S’entendre, oui mais…

Que les parents s’entendent lors d’une séparation ou d’un divorce, les conseils d’arrondissement de l’Aide à la jeunesse (CAAJ)4 enrêve. C’est en effet, au quotidien, que le personnel y est amené à constater le risque, bien réel, de passages à l’acte de l’enfant et del’adolescent comme expression d’une souffrance dirigée vers soi-même et/ou vers autrui, dans un contexte de séparation ou de divorce mal vécu au sein de cequ’était la cellule familiale. Plusieurs CAAJ ont ainsi mis sur pied des campagnes préventives, dans le cadre de leur plan d’action annuel, en insistant sur lanécessité de pacifier les relations entre parents qui ne sont plus en couple. « Des parents qui ne parviennent pas à enterrer la hache de guerre, après parfoishuit ans de séparation, nous en rencontrons régulièrement, raconte Martine Colpaint, conseillère de l’Aide à la jeunesse sur Namur. Ces tensions entre parentset les conséquences qu’elles ont sur l’enfant sont quelque chose d’omniprésent dans le travail social. Que ce soit sur le terrain des centres PMS, des centres deguidance, chez des thérapeutes, et bien sûr dans le contexte de l&
rsquo;Aide à la jeunesse. »

« Dans la séparation parentale, le plus dommageable pour l’enfant, ce sont les disputes des parents à son sujet, insiste Diane Drory5, psychologue etpsychanalyste. Le conflit persistant déstructure les enfants en les mettant en position d’otage ou de témoin. Il est courant de voir des couples en discordes’entre-déchirer leurs enfants, se les arracher, en réclamer la propriété. Et l’intervenant se sentira parfois impuissant face aux ingrédients quidéchirent le cœur des enfants : le dénigrement d’un des parents, le chantage, le sentiment d’être un enfant « valise », l’incompréhensionà tous les niveaux… »
Diane Drory insiste dès lors sur le fait que l’on ne répétera jamais assez, qu’en cas de rupture conjugale, la nécessité pour tout intervenantd’aider les parents à « rester parents » malgré leurs dissensions.

In fine, cette loi 2006 apporte-t-elle vraiment un plus ?

« Je ne pense pas que la loi 2006 ait eu comme finalité de promouvoir concrètement l’hébergement égalitaire », partage Olivier Limet.L’idée, le concept de l’hébergement égalitaire n’est qu’un outil, un moyen ayant comme objectif de diminuer les causes de disputes… On partd’une base « équitable ». Mais on en arrive, dans ce contexte, à confondre ce qui est « juste » avec ce qui est« bon ». Cette loi apporte certainement un plus, dans le sens de positionner plus clairement encore l’importance des rôles parentaux. Elle a aussi ses aspectsnégatifs en induisant des confusions entre l’intérêt de l’enfant et le besoin d’un parent, ou des deux. Dans les faits, elle suscite une confusion entreprincipes et modalités. »

« La loi 2006 devrait être entourée par d’autres dispositifs, estime, pour sa part, Marie-Thérèse Casman. Dans une loi traitant d’unematière si grave, qui concerne l’avenir des enfants, celui de plus en plus d’enfants, il est important de mener d’autres études notamment psychologiques etpédagogiques. Il faut également encourager la médiation, la valoriser ; compléter la loi et la rendre plus compréhensible pour le justiciable. Par ailleurs, unjugement ne peut pas être figé : dans les situations de séparation et de divorce l’aspect évolutif des choix doit être pris en compte. Parfois, un seulélément nouveau peut avoir des conséquences importantes. » Et la chercheuse de voir en la création d’un tribunal des familles, avec des jugesformés, un concept qui devrait assurément apporter un plus.

La médiation familiale : une recette miracle ?

« Prenez un bon notaire et entamez une procédure de divorce par consentement mutuel ! », conseillent souvent ceux qui ont choisi de se séparer il y a unetrentaine d’années. Et ces « sages » de témoigner des « dégâts collatéraux », qui ont étéévités grâce à cette formule. Souvent même, alors que leur(s) enfant(s) est/sont devenu(s) adulte(s), il leur arrive de se contacter si l’un a perçu unmal-être important chez leur progéniture. Les notaires auraient-ils donc été les précurseurs de la médiation familiale ?

« De par leur pratique professionnelle, les notaires ont été amenés, de tout temps, à accueillir un groupe de personnes et à faire en sorte que ladécision à prendre puisse rencontrer l’assentiment des différentes parties. Ce qui les rend naturellement aptes à entrer dans une dynamique de médiationfamiliale », explique Monique Boever, médiatrice familiale retraitée depuis peu. Faisant partie des pionnières qui ont impulsé la médiation familiale enBelgique, après être allée se former à Montréal, elle se réjouit de l’ampleur que celle-ci a prise et se souvient qu’il y a une vingtained’années, les avocats voyaient d’un mauvais œil l’arrivée de cette pratique en Belgique : « Ils avaient l’impression qu’on leur prenaitquelque chose, explique-t-elle. Depuis, il y en a qui se sont formés. »

L’histoire se terminerait bien si la récente évaluation de l’Université de Liège ne venait pas montrer que des tensions existent bel et bien entreprofessionnels. « On le dit dans nos recommandations : on pense qu’il faudrait que les professionnels se rencontrent davantage, se parlent, échangent desexpériences. Ce serait tout bénéfice pour les situations et pour les enfants, parce qu’en définitive, c’est quand même eux qui sont vraiment importants.C’est vrai que l’on peut dire qu’il y a certains conflits de territoire entre avocats, avocats-médiateurs et médiateurs tiers. »

Reste que si la médiation familiale se veut créative et personnalisée pour amener les parents à se mettre d’accord sur le partage de l’autoritéparentale, sur le temps de présence des parents auprès des enfants, sur le partage des frais concernant les enfants et sur celui des biens, elle n’est pas la panacéeuniverselle. « Pour résoudre les questions liées à séparation et au divorce, il va falloir sortir d’une logique de l’infinité des solutions et despossibles, de la réalisation de ses désirs, et de la croyance que la médiation équivaut à mettre en place l’égalité 1+1=3 », livreOlivier Limet. Marie-Thérèse Casman rappelle, elle, que si la médiation permet aux parents de construire, ensemble, une solution pour le bien-être de l’enfant, ellereste une négociation difficile dans laquelle chacun sera amené à perdre quelque chose.

Quid de l’intérêt supérieur de l’enfant ?

On en vient à se demander quelle place est encore effective au concept d’intérêt supérieur de l’enfant et à l’article 27 de la conventioninternationale des droits de l’enfant, qui s’adresse à eux en ces termes : « Tu as le droit à un niveau de vie décent. Tu dois pouvoir te développernormalement sur le plan physique, mental, spirituel, moral et social. Ce sont d’abord tes parents qui sont responsables de ton développement. Si nécessaire, ton pays devra aider tesparents ou les personnes responsables de toi. Ils accorderont la priorité à l’alimentation, à l’habillement et au logement. Ton pays te garantit le droit à la pensionalimentaire. Il s’organisera pour t’assurer ce droit, où que tu sois. »

Deux parents, deux toi(ts)

Les familles, les juges et les travailleurs sociaux ayant à gérer les cons&eacute
;quences de divorces et de séparations ne sont pas les seuls à êtreconfrontés à des situations cornéliennes… « L’arrêté du gouvernement wallon du 6 septembre 2007 relatif aux logements publics n’a pasoublié la nécessité pour le parent à qui la garde principale de(s) l’enfant(s) n’a pas été confiée – très souvent lepère – de pouvoir bénéficier d’un logement pourvu d’un nombre de chambres suffisant pour rendre un accueil possible, même s’il s’agituniquement d’un week-end sur deux, explique Edwin Pieron, directeur-gérant d’une société de logement public6. Cette capacité à hébergercorrectement les enfants étant en effet une exigence de la mère, suivie en cela par le juge. Avec pour conséquence, cependant, une diminution globale de l’offre delogements de quatre ou cinq chambres dont ont aussi besoin les familles nombreuses monoparentales ainsi que les familles recomposées. »

Du côté du Fonds du logement des familles nombreuses de Wallonie7, on recherche des solutions à ce qui est en passe de devenir un problème crucial :« Jusqu’où allons-nous pouvoir apporter une aide double pour un même enfant, en octroyant au papa et à la maman, un prêt ou une aide locative sans, infine, réduire notre possibilité d’aider d’autres enfants ? », met en exergue Anne Quévit, directrice de la communication et du développement duFonds du logement.

La Ligue des familles8, elle, dont le logement fait actuellement l’objet d’une campagne, donne largement la parole à l’anthropologue Pascale Jamoulle pourdénoncer : « Le droit social octroie des « primes à la solitude », fragilisant les couples, séparant les familles. L’écart entre les tauxd’allocation « isolé » et « cohabitant » ainsi que les réajustements constants des loyers sociaux en fonction du revenu global des ménages créent des systèmes dedomiciliation fictive dont seuls les propriétaires véreux bénéficient. »

1. Secrétariat d’État à la Politique des familles :
– adresse : rue de la Loi, 51 à 1040 Bruxelles
– tél. : 02 790 57 11
2. « Évaluation de l’instauration de l’hébergement égalitaire dans le cadre d’un divorce ou d’une séparation ». Sous la coordination deMarie-Thérèse Casman – Université de Liège. Panel Démographie familiale, chemin du Trèfle, 1, bât. 13 à 4000 Liège
– tél. : 04 366 31 68
3. Olivier Limet :
– site : www.limet.be
4. CAAJ :
– site : www.ccaj.cfwb.be
5. Diane Drory :
– site : www.drory.be/pages/contact.htm
6. Le Logis Montagnard :
– adresse : rue de Marchienne, 13 à 6110 Montigny-le-Tilleul
– tél. : 071 51 22 21
– courriel : logismontagnard@skynet.be
7. Fonds du logement des familles nombreuses de Wallonie :
– adresse : rue de Brabant, 1 à 6000 Charleroi
– tél. : 071 20 77 11
– site : www.flw.be
8. Ligue des familles :
– adresse : av. E. De Béco, 109 à 1050 Bruxelles
– tél. : 02 507 72 11
– site : www.citoyenparent.be

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