Dans un marché libéralisé, la protection du consommateur et particulièrement du plus fragilisé fait débat. La modification des ordonnances gaz etélectricité est au menu du gouvernement bruxellois.
Le 24 juin dernier, un colloque abordait la question de l’accès au marché du gaz et de l’électricité en Région bruxelloise. Le moment est opportun.Le cabinet d’Évelyne Huytebroeck (Écolo), la ministre bruxelloise de l’Énergie1, travaille à un projet de modification des ordonnances gaz etélectricité. Objectifs ? Ils sont de trois ordres. Primo, répondre à la nécessité de transposer les directives européennes du troisièmePaquet Énergie. Secundo, répondre aux recommandations effectuées par le Parlement lors de son évaluation de 2008 et 2009. Tertio, tenir compte des retoursd’expérience du fonctionnement actuel du marché libéralisé.
Pour Éric Devuyst, représentant des organisations syndicales au comité des usagers et un des initiateurs du colloque, c’était l’occasion de mener undébat assez large avec le secteur. « Le calendrier a été bien préparé, notamment avec l’administration et le cabinet. Le colloque arrive peu de tempsavant une première lecture au gouvernement, ce qui permet d’avoir encore une certaine influence sur le projet », estime-t-il.
Ce Conseil, instauré par l’ordonnance du 14 décembre 2006, est composé des parties prenantes des marchés de l’énergie bruxellois. Il a pour objectifde donner des avis au gouvernement sur des thématiques énergétiques liées aux problématiques spécifiques bruxelloises. Il rassemble les fournisseurs, leréseau de transport, la fédération des fournisseurs d’énergie renouvelable (Edora) et des représentants des consommateurs résidentiels (les syndicats,Test-Achats, Crioc, la Ligue des familles…).
Le conseil s’est notamment emparé de la question des compteurs mixtes qui concerne les personnes exerçant leur activité professionnelle chez eux. Le constat étantde remarquer que le contrat résidentiel protège plus le consommateur que le contrat professionnel qui ne donne pas accès au statut de client protégé.
En préambule à sa présentation, la ministre bruxelloise de l’Énergie insiste sur la négociation gouvernementale qui doit encore avoir lieu.« Ces pistes de modifications sont le résultat des travaux de mon administration et de mon cabinet. Elles n’ont fait l’objet d’aucune négociation entrecabinets à ce stade », précise-t-elle. Prudence, donc !
Améliorer la protection de tous les consommateurs
Ces modifications se regroupent autour de quatre grands axes. Le premier concerne des améliorations pour tous les consommateurs. Il résulte de l’obligation de transposer lesdirectives européennes 2009/72/CE et 2009/73/CE concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et du gaz imposant desdispositions très détaillées en matière de protection des consommateurs dans le marché libéralisé.
But des directives en question ? Établir une plus grande transparence dans les termes contractuels, l’organisation de services efficaces de traitement des plaintes par lesfournisseurs et le GRD (gestionnaire du réseau de distribution), une information des consommateurs concernant leur consommation et du coût y afférent.
Pour Éric Devuyst, l’enjeu essentiel réside dans la relation entre le fournisseur et le client. « Il s’agit d’un contrat. Qui dit contrat, ditnégociation, ce qui n’est pas le cas car les ménages ne sont pas armés pour négocier. Pour protéger le client, il faut l’intervention des pouvoirspublics », soutient-il. En la matière, l’ordonnance de 2007 prévoit déjà l’obligation pour le fournisseur de faire offre et de s’engager pour descontrats de trois ans minimum.
En complément de ces dispositions, Évelyne Huytebroeck envisage également de prévoir que les fournisseurs responsables de plus de 10 000 points de fournituremettent en place un service clientèle de proximité (et pas uniquement un call center).
En outre, s’inspirant de mesures existantes en Wallonie, elle proposera la mise en place d’un mécanisme d’indemnisation forfaitaire pour compenser les dysfonctionnementsdes fournisseurs ou gestionnaires de réseau permettant au consommateur du réseau d’être indemnisé sans devoir recourir à des procédures judiciaires.Elle souhaite également installer un « Service des litiges » indépendant au sein du régulateur bruxellois Brugel3 qui pourrait statuer sur touteplainte.
Enfin, un guichet unique sera organisé sous la responsabilité de l’IBGE (Bruxelles-environnement). La forme que prendra ce guichet unique doit encore êtreprécisée. La ministre souligne sa volonté de prendre en compte le rôle très efficace joué actuellement par l’asbl Inforgaz-électricité.
Protection sociale : une mesure win-win ?
Les mesures de protection sociale étaient au cœur des débats du colloque. La ministre rencontre une proposition qui avait les faveurs tant des fournisseurs que desreprésentants des usagers. Il est proposé de rendre possible l’octroi du statut de client protégé dès la première mise en demeure de paiement, alorsque la procédure actuelle est beaucoup plus longue. Avantages présumés pour le client : il bénéficie plus rapidement du tarif social maximal octroyé auclient protégé ; il voit son endettement limité par le placement d’un limiteur de puissance ; son endettement chez le fournisseur commercial est par définitionréduit, ce qui devrait permettre un plan d’apurement des dettes plus facile à négocier. Avantages pour le fournisseur : il ne doit plus livrer un client endéfaut de paiement ; la charge est réduite au niveau des formalités administratives ; l’endettement étant réduit, la probabilité derécupérer la dette devrait être meilleure.
Le statut de client protégé4
La législation bruxelloise prévoit de considérer automatiquement comme client protégé celui qui bénéficie du tarif social spécifique oucelui qui est engagé dans un processus de médiation de dettes avec un centre de médiation agréé ou de règlement collectif de dettes. Le clientrésidentiel ne satisfaisant pas à ces conditions pourra s’adresser au régulateur bruxellois pour obteni
r ce statut, attribué sur base des revenus et de la composition duménage. Le client protégé bénéficiera d’une protection accrue.
Éric Devuyst décrit la situation concrètement : « Il y a environ 500 000 points de distribution existants à Bruxelles, 50 000 font l’objet decontentieux et 5 000 seulement bénéficient du statut de client protégé qui sont alors fournis par le fournisseur de dernier ressort instauré parl’ordonnance, soit Sibelga. L’enjeu pour les fournisseurs est de réduire ce chiffre de 45 000 mauvais payeurs », explique-t-il. Le statut apporte une protection, maisaussi un accompagnement. Principal opposant : Sibelga dont les recettes ne sont plus les mêmes depuis la libéralisation et dont le rôle de fournisseur de dernier ressort est lourdà porter. Henri Autrique, conseiller de la ministre, relativise. « L’intérêt de la réforme existe aussi pour Sibelga. Ils auront les clients plus tôt,donc moins endettés avec une réelle chance de retour vers le fournisseur commercial, ce qui est peu le cas actuellement, car les clients arrivent en général chez eux dansdes situations désespérées. N’oublions pas que Sibelga répercute cela dans ses tarifs. Le coût réel est la différence entre le tarif socialoctroyé et le prix d’achat de l’électricité », relève-t-il. Même son de cloche chez les travailleurs de terrain. « La ligne du temps doitêtre resserrée. La procédure de 2007 est assez complexe et il est dès lors difficile d’arrêter l’hémorragie », estime Marie-Christine Renson,assistante sociale aux Services sociaux des quartiers 1030, une association de première ligne dans l’accompagnement social5.
Enfin, certains défendent l’idée de créer un fournisseur X qui deviendrait le fournisseur de dernier ressort avec participation financière des autresfournisseurs. « Un nouveau fournisseur de dernier recours, public mais ouvert aux autres clients ? Cela paraît plutôt irréalisable par rapport à lalibéralisation du marché », estime le conseiller.
Le gaz en mode Pay & Go ?
Pour leur part, les fournisseurs ont exercé un lobby important pour imposer la proposition de compteurs à budget – un système basé sur le principe de la carteprépayée pour les GSM – déjà mise en application en Wallonie. Cette mesure n’a pas été retenue. « Heureusement, se rassure Éric DeVuyst. Le gaz et l’électricité sont des biens de première nécessité. Ce type de compteurs va entraîner des choix de consommation et l’auto-coupureimmédiate. Si demain, les gens paient leurs cartes prépayées plutôt que leur loyer, les propriétaires ne vont-ils pas proposer des ‘serrures àbudget’ ? Le problème derrière cela est bien plus large que celui de la lutte contre la pauvreté. » La possibilité d’octroyer le statut de clientprotégé dès la première mise en demeure sera ouverte à tous les organismes actuellement compétents : Sibelga, CPAS, Brugel.
Pour Éric Devuyst, il faut aussi clarifier la notion de plan d’apurement raisonnable et mettre en place des possibilités de médiation. « Certains fournisseurstrouvent raisonnable de proposer d’apurer une dette de 2 500 euros en deux mois… Si les contrats étaient trop courts, les fournisseurs préféreraient attendre lafin du contrat plutôt que de négocier un plan d’apurement », souligne-t-il. Marie-Christine estime qu’en général, les plans de remboursement desfournisseurs sont assez durs. « Avant la libéralisation, le CPAS pouvait imposer un plan au fournisseur unique. Depuis la libéralisation, ce n’est plus le cas »,remarque-t-elle.
Augmentation de la puissance des limiteurs
Rappelons qu’une coupure ne peut être effectuée que sur décision du juge de paix. Ce principe sera maintenu et Évelyne Huytebroeck souhaite simplifier et rendremoins coûteuse la procédure judiciaire. Il est envisagé d’élargir le rôle du juge de paix aux actions de récupération de sommes, de protection duconsommateur, de retrait ou de pose d’un limiteur, de récupérations de créances ou de facilités de paiement… « Ceci permettrait de limiter le nombre deprocédures et par conséquent les frais qui y sont liés », soutient la ministre.
Autre mesure : limiter le montant de la caution exigée lorsqu’un client n’a pas apuré ses dettes à l’égard du fournisseur ou n’a pasrespecté son plan d’apurement, à un montant maximum correspondant à deux mois de provision, au moment de la conclusion d’un nouveau contrat.
Enfin, en réponse à l’évaluation du parlement, Évelyne Huytebroeck proposera d’augmenter la puissance des limiteurs de 6 A à 10 A (1 380 wattsà 2 300 watts), afin de rencontrer l’objectif d’assurer un standard minimum de dignité humaine. Cette mesure se trouvait dans l’accord de gouvernement. Pour lescas de chauffage électrique principal, il n’y aura pas de pose de limiteur, mais la mise en place d’un accompagnement social.
Pour Marie-Christine Renson, c’est évidemment positif. « De toute façon, malgré les embarras, les gens s’adaptent, ils passent l’aspirateur en coupantle frigo s’il le faut. En tout cas, ils ne consomment pas nécessairement moins. » En bref, le placement des limiteurs ressemble plus à une punition qu’à unemesure efficace.
Les troisième et quatrième axes ont pour objectif d’améliorer le fonctionnement des règles du marché libéralisé et le renforcement descompétences et de l’indépendance du régulateur régional.
Le premier accueil est évidemment plutôt bon chez les opérateurs de terrain. « C’est un peu tôt pour faire des commentaires. On doit en parler enfédération. Mais cela semble plutôt positif. Les demandes des fournisseurs qui comportent des dangers pour les usagers comme réduire la durée des contrats àun an ou la mise en place de compteurs à budgets ne sont pas rencontrées », commente l’assistante sociale.
Les textes sont attendus au parlement bruxellois dès l’automne prochain.
Coupures hivernales : la douche… froide
Lors du colloque, la présidente de Brugel a présenté des chiffres sur les coupures. On y constate que les mois de février et de mars sont ceux où il y a le plusde coupures. Stupeur dans l’assemblée.
« Les chiffres révélés par Brugel sur les coupures sont assez effrayants. Cela va à l’encontre de l’esprit de l’ordonnance. Il y a unproblème technique. Le juge n’est pas obligé d’indiquer dans sa déci
sion que la coupure ne doit pas être effectuée en période hivernale. Vu lesdélais d’application, il est vraisemblable que des décisions prises en juin ne s’applique effectivement qu’en février. Il est très importantd’informer les gens que le CPAS peut exiger la réouverture immédiate du compteur ! », commente Marie-Christine Renson.
Au cabinet, Henri Autrique est aussi très étonné par ces chiffres. « Nous devons chercher l’explication. L’ordonnance s’applique au jugement, pasà son exécution. Notons qu’Electrabel est responsable de la demande de coupure », nous glisse-t-il. On peut supputer qu’Electrabel fait des demandes de coupures pastrop loin de la fin de la période hivernale plutôt qu’en début… Mais le fournisseur dominant n’a pas répondu à notre question sur le sujet.
1. Cabinet de la ministre d’Évelyne Huytebroeck :
– adresse : rue du Marais, 49-53 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 517 12 00
– courriel : info@huytebroeck.irisnet.be
– site : http://evelyne.huytebroeck.be.
2. Conseil des usagers de l’électricité et du gaz :
www.conseildesusagers.be
3. Brugel :
– adresse : Gulledelle, 92 à 1200 Bruxelles
– tél. : 0800 97 198
– site : www.brugel.be.
4. Description précise du processus de demande auprès de Brugel, le régulateur bruxellois à l’adresse web suivante : www.brugel.be/….
5. Services sociaux des quartiers 1030 :
– adresse : rue de la Poste, 156 à 1030 Bruxelles
– tél. : 02 218 76 88.