Les migrants en transit vers le Royaume-Uni tentent leur chance depuis des aires d’autoroute de Wallonie. Des collectifs citoyens s’organisent autour pour leur venir en aide; le plus souvent avec le soutien des autorités locales. Reportage à Gembloux.
Hiver 2018, Gembloux. Chaque jour, une poignée de personnes attendent dans le hall de la gare. Ils se réchauffent, chargent leur téléphone portable, et attendent encore. Ils viennent de la Corne de l’Afrique et parlent une langue qui n’évoque pas grand-chose dans les contrées wallonnes.
Face à ce nouveau phénomène, deux réactions. D’abord, «quelques signes d’inquiétude se sont exprimés», raconte Benoît Dispa, le bourgmestre CDH de Gembloux. «Un groupe Facebook appelait au ‘nettoyage’ de la gare», se souvient, quant à elle, Laurence Nazé, membre du collectif «Gembloux hospitalière» et par ailleurs conseillère communale Écolo.
Ensuite, quelques individus soucieux des autres se sont rendus à la gare avec du café et du pain. Il s’agissait des prémices du collectif. «Les migrants qui attendent à Gembloux sont en transit et veulent aller en Angleterre, décrit Laurence Nazé. À la gare, ils cherchaient de la chaleur et du wi-fi.»
Entre les contrôles policiers au parc Maximilien, les parkings d’autoroute fermés en Flandre et les consignes des passeurs, des migrants se mettent, dès 2018, à fréquenter, en divers endroits de Wallonie, les abords des tronçons de l’E411 ou de l’E42, dans l’espoir de se carapater dans un camion à destination de l’Angleterre. Ils se fixent alors aux alentours des aires de repos.
«Le prix du passage c’est 600 euros. On paye une fois, on essaye jusqu’à ce que ça marche. C’était très fatigant et stressant.» Temesgen, demandeur d’asile érythréen
La route migratoire se déplace toujours plus en amont du rêve anglais. Pendant l’hiver, de véritables petits campements de fortune se mettent en place dans le bois de Grand-Leez, tout près de l’aire d’autoroute d’Aische-en-Retail. «Pendant neuf mois, j’y allais presque toutes les nuits, car les chauffeurs s’arrêtent sur l’aire pour dormir, témoigne Temesgen, originaire d’Érythrée. Et puis, le prix du passage, c’est 600 euros. On paye une fois, on essaye ensuite jusqu’à ce que ça marche. C’était très fatigant et stressant. J’ai parfois dormi au bois dans le petit campement. Ici on m’a arrêté, mais seulement pendant 24 heures et libéré. J’ai aussi été arrêté à Bruges. J’ai été placé en centre fermé.» La plupart de ces migrants en transit trouvent des solutions d’hébergement via la plate-forme citoyenne de soutien aux réfugiés ou via des coups de pouce des habitants de Gembloux. D’autres dorment dans les bois.
Un local pour le collectif
C’est pendant l’hiver que le collectif local se structure, dans la foulée d’un vote au conseil communal. En juillet 2018, la commune de Gembloux devient officiellement «hospitalière». La motion avait été portée par un groupe d’habitants de la ville. C’est ce même groupe qui vient en aide aux migrants.
Pendant quelques mois, les bénévoles s’épuisent à trouver des locaux pour stocker de la nourriture, des vêtements, des produits d’hygiène, pour trouver des lieux de distribution; bref, pour fournir cette aide humanitaire de base qui fait le cœur du collectif. «Après avoir été évacués de la gare par Sécurail, nous sommes passés dans la ‘clandestinité’ en distribuant des repas sur un parking mal éclairé de supermarché», se remémore Laurence Nazé.
Différents partenaires locaux mettent la main à la pâte en proposant des lieux de stockage et de distribution. Le centre culturel, l’École de cirque, la maison Nord-Sud et la paroisse de Grand-Manil aident à faire tourner le collectif. Mais ce qui manque cruellement aux bénévoles, c’est un local en dur, pour mieux organiser l’aide, être moins vampirisé par la logistique.
«Notre commune a toujours été sensible à l’accueil de populations étrangères.» Benoît Dispa, bourgmestre de Gembloux
Et c’est là que la commune intervient. «C’est Anne-Catherine Calonne, membre de notre groupe qui a interpellé la commune sur le fait que la motion ‘commune hospitalière’ devait se traduire en actes concrets pour les transmigrants», dit Laurence Nazé. Le bourgmestre prend alors la décision de fournir au collectif un grand local, en face de la maison communale, pour un accueil de jour. «Notre commune a toujours été sensible à l’accueil de populations étrangères. En 2015, déjà, lors de l’afflux de réfugiés, ce bâtiment avait été mis à disposition», explique Benoît Dispa. «Ce local a permis de nous structurer et d’arrêter de nous épuiser», confirme Laurence Nazé.
D’autres collectifs wallons
La maison possède une douche, une vaste salle d’accueil pour se nourrir et discuter ainsi que trois chambres qui permettent aux migrants de se requinquer avant de repartir vers leurs dangereuses aventures nocturnes. «Ici, je dors beaucoup, je joue un peu. J’en ai besoin, car je dois tenter tous les jours d’aller en Angleterre. Je n’ai pas le choix. Tant qu’il y a une petite chance», affirme Mikki, lui aussi exilé d’Érythrée. «Petit à petit nous changeons. De distributeurs de repas chauds, nous devenons des accompagnateurs de vie», ajoute Laurence Nazé. Les bénévoles du collectif se forment au droit d’asile, donnent quelques conseils. Temesgen a, par exemple, fini par écouter Alice, une habitante de Gembloux, membre du collectif, pour demander l’asile en Belgique. «Nous attendons avec impatience que l’un d’entre eux ait un titre de séjour», conclut Laurence Nazé. Car ces migrants en transit restent de plus en plus longtemps coincés dans cet entre-deux. Ils s’acharnent pendant des mois. Mais «seulement quatre ont réussi à passer depuis janvier», déplore une bénévole.
Pendant ce temps, c’est tout un réseau d’entraide qui se constitue. Des liens se tissent avec le CPAS ou les médecins locaux pour faciliter l’accès à l’aide médicale urgente. Ce lien entre collectifs naissants et autorités n’est pas propre à Gembloux; le long des autoroutes wallonnes se créent d’autres lieux de rassemblement de migrants en transit vers l’Angleterre. Et à chaque fois, des collectifs solidaires émergent et trouvent parfois un appui – généralement discret – des autorités locales.
«Spy, Gembloux, La Bruyère et Rochefort sont des communes où l’on trouve des migrants aux mêmes trajectoires et où l’aide citoyenne s’est structurée», décrit Clotilde Hayertz, du centre d’action interculturelle de Namur (CAI). Le CAI, d’abord interpellé par des citoyens isolés, s’est aussi impliqué dans la mise en réseau de ces différents collectifs – via des séances d’informations, sur les droits des migrants et les droits des citoyens – et la création de contacts entre collectifs, associations structurées et pouvoirs publics. L’organisation s’est lancée dans diverses actions, comme la publication d’une brochure intitulée «Migrants en transit, qui sont-ils?», des interpellations du gouverneur de la province, et des communes concernées, notamment pour faciliter l’accès des migrants à l’aide médicale urgente. «Ce n’est pas forcément dans nos missions, ponctue Clotilde Hayetz. Ni dans celles des communes ou des CPAS qui s’impliquent. Ce n’est dans les missions de personne. Mais c’est important de s’engager là-dedans.» Car, comme le rappelle Benoît Dispa, les «communes hospitalières, c’est un mouvement de sensibilisation et de pression face à une politique fédérale très restrictive».