Le site de l’ancienne sucrerie de Genappe sera réaffecté. D’ici une vingtaine d’années, 800 logements pourraient y être construits. En dépit deprocédures fort longues, les autorités communales ont la volonté de faire de cette reconversion un modèle du genre. Sera-ce vraiment le cas ? Depuis son démarrage,le dossier suscite de vives polémiques.
Lorsqu’on arrive un vendredi matin à huit heures sur la place communale de Genappe, c’est « jour de marché ». Officiellement, du moins ! En fait, le spectacleest quelque peu désolant : seul un boucher dans sa roulotte officie, le chaland se fait rare, la place a des allures d’un lendemain de Saint-Sylvestre. Repassez sur la même placequelques heures plus tard ou en soirée, cette ambiance d’un centre-ville inanimé est la même. C’est notamment pour cette raison que Jean-FrançoisMitsch1, tête de liste PS de l’entité aux dernières élections communales, s’oppose fermement au projet de réhabilitation de l’anciennesucrerie tel qu’envisagé par la majorité communale, libérale : « Il faut d’abord réfléchir à l’énorme potentiel de solsà bâtir existant au centre même de Genappe. Avec ce nouveau projet, il n’y a aucune vue d’ensemble de la ville. On nous apporte une nouvelle ville sur papier, quel’on juxtapose à la ville existante, sans tenir compte de cette dernière. Aujourd’hui, le centre de Genappe est devenu moribond : sur la place du centre-ville, deuxtiers des commerces sont fermés ; il n’y a plus de restaurant, plus de centre administratif, plus d’activités culturelles. »
Aux dires de l’intéressé, « le développement d’une zone d’activité commerciale à la sortie nord de la ville, le long de lanationale, où sont implantées une série de grandes surfaces depuis quelques années, a déjà accentué la fermeture des petits commerces au centre-villeet paupérisé celui-ci. Le projet de réhabilitation de l’ancienne sucrerie, tel qu’envisagé, avec notamment la construction d’une nouvelle place,accentuera encore plus la désertion du centre-ville. On ajoute ici un projet sans tenir compte de la nécessité d’exister pour la ville actuelle. Si les fonctions de lanouvelle ville à venir ne sont pas les compléments de quelque chose d’existant, tout s’organisera autour de cette nouvelle ville : commerces, maison de repos,associations, etc., autant d’outils qui manquent dans la ville actuelle. Il faudrait répartir ces outils de façon équitable entre la ville actuelle et la nouvelle partie deville à venir. »
Une procédure de longue haleine
Rétroactes. Nous sommes en 2004. La sucrerie de Genappe ferme ses portes, suite aux effets d’une directive européenne du début des années 2000, qui prévoitune baisse de 30 % de la production de sucre en Europe. Bien que performante, l’entreprise n’occupe pas une position géographique stratégique intéressante :elle est située en plein centre-ville, n’est pas à proximité d’une voie navigable… Le couperet tombe : elle est sacrifiée par sonpropriétaire, le Groupe Raffinerie Tirlemontoise, leader du marché du sucre en Belgique (chiffre d’affaires en 2011 : 771 millions d’euros). Les 110 travailleurs serontreclassés dans d’autres entreprises.
Il faut dès lors songer à la réaffectation de l’ensemble du site de l’ancienne sucrerie. On le sait dès le départ : cette procédure serade longue haleine. Elle débute en 2008 lorsque la Région rachète, pour 5 millions d’euros, l’ensemble des terrains de ce site de 145 hectares à la RaffinerieTirlemontoise. Le projet de réaffectation peut commencer. Le gouvernement wallon en attribue alors la maîtrise d’ouvrage déléguée à laSociété d’assainissement et de rénovation des sites industriels du Brabant wallon (la SARSI SA). Un arrêté ministériel délimite ensuite unpérimètre SRPE (Site de réhabilitation paysagère et environnementale). La même année, la SARSI, en collaboration avec le bureau d’études DLAPiper, procède à une étude d’élaboration d’une stratégie opérationnelle de réhabilitation du site. Dans la foulée, un comitéd’accompagnement est mis sur pied. L’actuel bourgmestre de Genappe, le libéral Gérard Couronne, principal initiateur de ce projet de reconversion au sein de la commune,précise que « le comité d’accompagnement réunit notamment des représentants de la Ville de Genappe, le cabinet du ministre – au départAntoine, maintenant Henry – l’administration du Territoire, l’administration du Patrimoine, l’administration de la Division Nature et Forêts, le fonctionnairedélégué, l’Intercommunale du Brabant wallon (IBW), la SARSI… Ce comité s’est déjà réuni seize fois depuis 2008. »
Toujours en 2008, les conclusions de l’étude permettent de déterminer trois zones de réaffectation :
• 73 hectares, reprenant l’ensemble des bassins, seront consacrés à une zone naturelle gérée par la Division Nature et Forêts ;
• 25 hectares seront dédiés à un écoquartier composé de logements, PME, maison de repos pour le CPAS, centre de bien-être privé, piscine,terrains de tennis, etc. ;
• le solde sera destiné à un écoparc affecté à l’agriculture.
Marianne Janssens, l’actuelle échevine en charge de la Rénovation urbaine, de la Politique du logement, du Développement durable et des Affaires Sociales, estime que« la zone naturelle de 73 hectares constitue une véritable richesse, notamment au niveau ornithologique. Il s’agit de la réserve naturelle la plus grande du Brabantwallon. »
En 2010, la SARSI lance un marché de services portant sur l’établissement d’une étude de faisabilité urbanistique et d’aménagement del’écoquartier et de l’écoparc. Finalisée en décembre 2011, cette étude visait à déterminer les enjeux urbanistiques, les structures duterritoire, le positionnement du maillage écologique, de la mobilité, des activités rayonnantes, des services commerciaux et publics, de la gestion locale de l’eau et de lapollution du sol.
800 logements sur 20 ans ?
Quoiqu’il en soit, le mois dernier, le dossier a connu une nouvelle avancée : le Collège communal de Genappe a marqué son accord pour la construction de 30 premiers logements parhectare sur 8 hectares. C’est ici la première phase d’un projet de construction de 800 logements programmé
sur vingt ans, la densité la plus importante devantêtre localisée à terme au plus près du centre de Genappe. La délibération du Collège du 12 septembre 2012 précise que pour ces 8 hectares,« une surface importante sera consacrée aux espaces publics et espaces verts ainsi qu’aux services demandés par la Ville », à savoir unecrèche, un terrain multisport et une aire de jeux. Il a aussi été décidé que les logements, eux, seront limités à un rez-de-chaussée plus deuxétages plus les combles. Initialement, il avait été envisagé d’avoir des habitats de trois étages au-delà des rez-de-chaussée, tout comme ilavait aussi été question de 40 à 50 logements à l’hectare.
Concernant cette première phase, Gérard Couronne2, relate la suite des opérations : « La Région a récemment lancé un appel àcandidats – pas encore un appel à projets ! – pour urbaniser ces 8 hectares. Dix candidatures ont été reçues à ce jour. Un jury, dont fera partiela commune, retiendra cinq candidatures (…) Il y aura 180 à 200 logements. Fin 2014, ces premiers logements devraient faire leur apparition ; ils devraient accueillir quelque 400nouveaux habitants à Genappe. »
Quid de la suite des constructions ? « Là, on est encore parti pour quelques années », estime le bourgmestre, qui se montre par ailleurs plus prudent que ce quia été évoqué jusqu’ici dans la presse : « Le ministre a parlé de la construction d’un total de 800 logements. Cependant, il faudrad’abord analyser ce qui sera ventilé, dans la deuxième phase, pour les PME, les commerces, l’espace public, les crèches, l’école, etc. (…) Enréalité, nous aimerions créer un tissu industriel qui vienne compenser les pertes subies avec la disparition de la sucrerie. » A ce sujet, Marianne Janssensprécise : « Nous souhaitons avoir une zone de 20 hectares d’activité mixte, autrement dit aussi industrielle. Mais le ministre n’en veut pas ! Nousn’abandonnons pas cette idée : cela permettrait à de grosses entreprises de s’installer, de créer ainsi des emplois de proximité… etd’éviter que cette partie de Genappe ne devienne une cité dortoir ! »
Signalons que le projet de revitalisation urbaine initial portait sur la construction de 800 logements avec une répartition de 300 maisons unifamiliales accolées de 1 à 2étages et de 500 logements au sein de petits collectifs de maximum 3 étages. L’étude de la SARSI donne le détail qui suit : « Une réellemixité de fonctions est développée : 800 logements, 3 100 m2 de commerces, 10 200 m2 d’équipements (crèches, groupes scolaires, maisons derepos, maisons des associations, centre d’accueil de la réserve naturelle) et 30 000 m2 d’activité. L’implantation des immeubles sera guidée par desconsidérations énergétiques. »
La problématique de la dépollution du sol
Pourquoi avoir étalé le projet sur 20 ans ? Marianne Janssens3 : « Nous voulons un quartier qui correspond à l’habitat de notre commune.Nous ne voulons par exemple pas l’arrivée de trop d’habitants en même temps. Il y a un équilibre des fonctions à avoir pour répondre aux besoins de lapopulation : crèches, écoles, commerces. La qualité de vie est un objectif primordial du projet. »
A ce propos, Jean-François Mitsch, rétorque que « ce qui est aussi choquant dans ce dossier, c’est le phasage en huit étapes sur 20 ans, où lapremière phase commence par la construction de logements dans la partie la plus éloignée du centre-ville actuel. C’est le contraire qui est souhaitable dans ce quel’on appelle la densification de l’habitat. »
Ce spécialiste dans le développement de projets de partenariat public-privé dans le secteur des énergies renouvelables à une échelle industrielle (parcséoliens, etc.) soulève un autre lièvre : « Un vrai problème de ce dossier est la dépollution du site. Personne ne veut en parler ! La dalle surlaquelle se trouve l’usine a été faite avec des remblais sur des sols pollués. On est sur la nappe phréatique. La dépollution ne doit pas êtreopérée dans 20 ans mais en tout premier lieu ! Une telle dépollution coûterait quelque 20 millions d’euros : comment financer un tel montant ?C’est là la vraie question ! » Cette somme viendrait s’ajouter aux 5 millions d’euros déboursés par la Région wallonne pour le rachat duterrain et aux quelque 200 millions nécessaires, selon la SARSI, aux futures constructions de bâtiments et d’équipements.
Enfin, Jean-François Mitsch conclut par un autre enjeu de ce dossier : « Il faut faire en sorte que ce terrain public, qui appartient donc à la Régionwallonne, puisse rester en grande partie la propriété du secteur public, par exemple par le fait que la commune de Genappe se porte acquéreur des sols. Ceci permettrait notammentde compenser le manque de logements publics sur la commune, qui aujourd’hui tourne en dessous de 5 % ; on devrait viser les 20 % de logements publics sur un tel projet, au lieudes 10 % prévus. »
Nul doute que ce dossier fera encore couler beaucoup d’encre… avant que les premières coulées de béton ne puissent être opérées !
1. Jean-François Mitsch :
– adresse : rue des Communes, 12 B à 1470 Genappe
– tél. : 0495 29 88 15
– courriel : mitsch@mitsch.be
– site : http://blog.mitsch.be/
2. Gérard Couronne :
– adresse : rue Reine Astrid, 5 D à 1473 Glabais
– tél. : 0475 42 70 17
– courriel : gerard.couronne@genappe.be
3. Marianne Janssens :
– adresse : rue Godefroid de Bouillon, 1 A à 1470 Baisy-Thy
– tél. : 0476 77 95 58
– courriel : marjan@skynet.be