Le gender budgeting, connu en Belgique depuis 2012, fait aujourd’hui une nouvelle convaincue : la ville de Liège. Une première en Wallonie. Le concept a de quoi séduire mais, la mise en place concrète des projets est peut-être plus complexe qu’il n’y paraît.
En 2016, nous vous parlions déjà du gender budgeting, aussi appelé budget sensible au genre. C’était dans le n°426, juste ici. À l’époque, quatre communes bruxelloises (Ixelles, Schaerbeek, Etterbeek et Bruxelles) se lançaient dans la budgétisation sensible au genre. Le but: analyser leur budget sous le prisme du genre afin d’attirer l’attention sur des futures dépenses pouvant desservir un genre ou l’autre. Un outil censé compléter le gender mainstreaming, c’est-à-dire l’approche intégrée de l’égalité entre les hommes et les femmes dans la mise en place des politiques. Nouvelle recrue depuis décembre: la ville de Liège, qui a réalisé sa première lecture du budget sensible au genre pour 2020. Mais à quoi sert vraiment un tel budget? Mène-t-il véritablement à plus d’égalité? Bilan, avec deux communes bruxelloises: Ixelles et Etterbeek, qui appliquent le gender budgeting depuis 2015 et 2017.
Élève modèle, Ixelles présente aujourd’hui plusieurs changements amenés par cette lecture spécifique du budget: «Chaque année, les services de la commune sont obligés de rendre un ou plusieurs projets liés au genre, et tous ont été sensibilisés et formés aux questions des inégalités de genre», explique Patricia van der Lijn, secrétaire communale d’Ixelles. Une obligation qui mène à la mise en place d’une trentaine de projets chaque année, même si tous n’aboutissent pas. Une attention particulière a par exemple été portée à la mixité des noms de métiers, notamment dans les offres d’emploi. Ce qui a permis d’attirer des candidatures de femmes dans les métiers dits masculins et de mener à l’embauche de balayeuses et techniciens de surface. Seul le domaine de la puériculture reste encore exclusivement féminin, par manque de candidatures masculines. «Nous n’avons pas de quotas mais, à compétences égales, nous avons décidé de privilégier le genre qui était le moins représenté dans le métier», déclare Patricia van der Lijn. Elle ajoute: «Un budget sensible au genre, ce n’est pas que rétablir l’égalité pour les femmes ou faire en sorte que les hommes et les femmes aient exactement la même chose. C’est aussi tenir compte des hommes et du contexte dans lequel on est.» Cette approche a permis d’allonger de cinq jours le congé de paternité pour l’ensemble des employés communaux et de modifier les horaires des technicien.ne.s de surface (métier encore essentiellement féminin) afin de diminuer le sentiment d’insécurité engendré par les horaires décalés.
«Un budget sensible au genre, ce n’est pas que rétablir l’égalité pour les femmes. C’est aussi tenir compte des hommes et du contexte dans lequel on est.» Patricia van der Lijn, commune d’Ixelles.
«On s’est rendus compte qu’on avait vu trop grand.»
La commune d’Etterbeek, quant à elle, en est à sa troisième lecture sensible au genre. Tout comme Ixelles, elle a porté une attention particulière aux métiers de l’administration. Les profils féminins ont été spécifiquement recherchés dans les candidatures spontanées pour les métiers dits masculins. Cela a donné lieu à l’intégration de deux femmes balayeuses dans l’équipe de cinquante hommes.
«Des actions positives nécessaires» insiste Mélina Vanden Borre, responsable de la politique diversité et gender mainstreaming du Service public régional de Bruxelles. Selon elle, ces actions de discrimination positive doivent être comprises comme un passage obligé: «On n’aurait pas besoin de faire cela dans un monde idéal, sans inégalités. Juste inviter les personnes qui embauchent à regarder l’ensemble des candidatures en étant attentifs aux stéréotypes de genre, ce ne serait pas suffisant. En tout cas, en l’état actuel des choses.» Elle rappelle le côté temporaire de ces actions, censées prendre fin dès l’inégalité résorbée.
«Le gender budgeting doit être envisagé sur le long terme. Ce serait une illusion de penser qu’en deux ou trois exercices, on changera tout.» Mélina Vanden Borre, Service public régional de Bruxelles
Une récente évaluation de la mise en place du gender budgeting à Etterbeek a aussi montré à quel point l’activité est chronophage pour la commune, en manque de moyens humains: «Avec l’étude, on s’est rendus compte qu’on avait vu trop grand. On a démarré avec l’ensemble des services mais les résultats ne sont pas très concrets» explique Carole Geerinckx, coordinatrice du service égalité des genres et diversité d’Etterbeek. En 2020, en plus d’aider à la formation d’autres communes telle que Saint-Gilles, Carole Geerinckx ne suivra donc plus que trois ou quatres services.
«Il faut du temps»
Les résultats, loin d’être inutiles, semblent pourtant ne peser que quelques grammes dans la balance de l’égalité. «Aujourd’hui, cinq ans après la mise en place des premières lectures de budgets sensibles au genre, si vous me demandez “Est-ce que, suite au gender budgeting, il y a un projet qui a été créé et a abouti entièrement?” Je ne sais pas vous en donner un. Les résultats ne sont pas encore très clairs à ce jour, ils sont en cours…» indique Mélina Vanden Borre. Mais les administrations communales assurent, qu’avec le temps, les résultats viendront. «Il faut du temps, déclare Carole Geerinckx, le gender budgeting doit être envisagé sur le long terme. Ce serait une illusion de penser qu’en deux ou trois exercices, on changera tout.»
Bien que confiante elle aussi, Mélina Vanden Borre tient tout de même à nuancer: «Cela fonctionnera si on reste derrière, si la volonté politique persiste et si on ne vire pas à l’outil purement administratif.» Un dernier conseil auquel la ville de Liège devra être attentive puisque le département des finances n’a pas prévu, pour le moment, d’évaluation, déclarant que «cela se fera peut-être à posteriori».