Enseignement chamboulé, vie sociale balayée. «Les jeunes se sont retrouvés privés du goût des autres et du monde, alors qu’ils sont à l’âge de toutes les découvertes. Ont-ils vieilli à ne pas vivre?», s’interroge la revue Philosophie Magazine dans son dernier numéro, laissant entendre que la «génération Covid» pourrait se caractériser par «la recherche du temps perdu»1.
La jeunesse d’aujourd’hui serait une génération sacrifiée au profit de la survie des plus âgés, au point de faire dire à certains qu’une «guerre des générations» est en marche. L’expression «génération sacrifiée» remonte à la Grande Guerre. Un «petit détail» qui nous rappelle que l’on ne pourrait comparer sans injustice notre jeunesse à celles ayant traversé ou traversant des événements autrement plus tragiques. Il ne faudrait pas non plus omettre que ce sont les plus âgés qui ont été ou sont les plus touchés par la maladie, le report de soins et l’isolement.
Il reste que tous les indicateurs sont au rouge. Que ce soit en termes de revenus, de santé mentale ou d’éducation, les jeunes ont bel et bien encaissé le choc de la crise sanitaire (voir nos articles sur le sujet, cités en bas du texte). Mais ceux-ci ne partagent ni des conditions ni une conscience communes. Et c’est quand on examine la jeunesse dans toute sa pluralité que le constat se fait plus criant. Car ce sont les jeunes – mineurs ou majeurs – issus des catégories les plus modestes qui ont surtout morflé.
Le rapport «État de la crise mondiale de l’éducation» publié ce 6 décembre par la Banque mondiale, l’Unicef et l’Unesco, s’il estime que la génération actuelle d’étudiants risque de perdre, en raison des fermetures d’écoles, 17.000 milliards de dollars de revenus tout au long de la vie – soit environ 14% du PIB mondial –, souligne aussi que les pertes d’apprentissages touchent davantage les enfants issus de ménages à faible revenu, les enfants handicapés et les filles. Les enquêtes menées en matière de revenus et d’emploi ne disent pas autre chose: un jeune sur cinq appartenant à un milieu modeste ou ouvrier déplorait fin 2020 avoir perdu son emploi, contre un jeune sur huit dans la classe moyenne, selon l’OCDE. Sans même évoquer les effets de la crise sur ceux qui, hors des radars, n’entrent pas dans les statistiques, le constat est sans appel.
La pauvreté n’épargne pas les plus âgés, mais son augmentation affecte d’abord les jeunes. «En dix ans, les plus fragiles se sont encore fragilisés», affirmait déjà en décembre 2019 l’économiste Anne-Catherine Guio, évoquant pour Alter Échos l’évolution de la pauvreté infantile. La crise était alors à nos portes. Depuis lors, elle a révélé les difficultés structurelles de ces jeunesses, difficultés de vie, de logement ou de revenus. Alors bien sûr, il convient de (re)penser les politiques publiques à la hauteur de ces jeunes – qui garderont la trace de cette période qui frise parfois l’absurde – en dépassant les discours empreints de compassion ou de culpabilisation à leur égard. Mais il s’agit surtout de ne laisser personne sur le bord de la route. NEET (Not in Education, Employment or Training), jeunes issus de quartiers défavorisés, en errance ou mineurs non accompagnés: il importe de protéger les plus fragilisés d’entre eux et de leur donner les moyens d’une vie digne et décente. En somme, de se garder de sacrifier ces «invisibles» qui seront, eux aussi, les adultes du monde demain.
- «Une jeunesse volée?», Philosophie Magazine, décembre 2021, Catherine Portevin.
En savoir plus
Sur l’impact du Covid sur la jeunesse:
«La complainte des jeunes travailleurs perdus», Alter Échos n° 492, avril 2021, Julien Winkel.
«Coulez jeunesse», Alter Échos n°490, janvier 2021, Clara Van Reeth.
«Les jeunes, aussi touchés financièrement par la crise du Covid», janvier 2021, Nathalie Cobbaut.
«Elsa Roland: ‘Le confinement vient mettre en question le monopole de l’école en terme de savoirs et d’apprentissages’», Alter Échos n°484, mai 2020, Manon Legrand.
Sur les jeunes en grande précarité:
«Enfants et ados des rues: un voyage sans fin?», Alter Échos n°498, novembre 2021, Marinette Mormont.
«Jeunes en errance: ‘Tous les voyants sont au rouge’», Alter Échos n°482, mars 2020, Marinette Mormont.