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Regard critique · Justice sociale
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En hiver, les carences de l’accueil des gens du voyage sont encore plus criantes qu’en été. Certes, Bruxelles ne propose rien, en toutes saisons. Quant à la Wallonie, elle ferme ses rares aires d’accueil en attendant le printemps. Les gens du voyage se fâchent.

Le 3 janvier, l’appel est passé relativement inaperçu. Il était pourtant détonant. Le Comité national des gens du voyage menaçait de bloquer de grandes villes belges francophones. Namur, ou Bruxelles. Caravanes sur le ring et blocages en vue. «Vous allez entendre parler de nous ces prochains mois», déclarait alors Etienne Charpentier, le porte-parole du comité. Le blocage annoncé n’a pas eu lieu. Mais le problème soulevé par les gens du voyage, lui, reste entier.

En hiver, les aires d’accueil manquent cruellement. La situation est particulièrement problématique à Bruxelles où ces terrains n’existent quasiment pas, toutes saisons confondues. «C’est inacceptable, s’indigne Etienne Charpentier. Nous sommes victimes de politiques discriminatoires, nos droits sont bafoués alors que nous sommes Belges, nous avons grandi ici et nous sommes rejetés. Comme si nous étions un peuple oublié.»

Rappelons que les gens du voyage, dont on estime le nombre à environ 10.000 personnes en Belgique, sont des citoyens européens, encore très souvent nomades, qui se déplacent en caravanes, généralement en été, pour des motifs familiaux, culturels, religieux ou professionnels (ils exercent divers métiers, couvreurs, peintres, commerçants). Ils ne sont donc pas à confondre avec les «Roms». Populations sédentaires de l’Est de l’Europe qui s’installent en Belgique pour fuir la pauvreté et les discriminations très fortes qu’ils subissent en Europe de l’Est.

«Nous sommes victimes de politiques discriminatoires, nos droits sont bafoués alors que nous sommes Belges.» Etienne Charpentier, Comité national des gens du voyage.

Dans les interstices

«Il faudrait des emplacements, avec raccordement à l’eau et à l’électricité», rappelle Etienne Charpentier. La Région wallonne a opté pour un accueil, par les communes volontaires, de gens du voyage en transit. Cela s’organise au cas par cas, grâce à l’intervention du Centre de médiation des gens du voyage et des Roms en Wallonie (CMGV). Lorsqu’un groupe arrive dans une ville ou un village, les différents interlocuteurs – gens du voyage, commune, riverains, centre de médiation – tentent de se mettre d’accord sur les modalités d’un accueil temporaire, par exemple sur un terrain de foot ou sur un parking.

De plus, 11 communes, dont Namur, Ath, Verviers, mettent à disposition des aires aménagées. La Région a débloqué des fonds pour permettre à 10 autres communes volontaires d’ouvrir aussi des lieux d’accueil structurels. Mais, dans tous les cas, les terrains ferment en hiver (cf. encadré). Et pour ceux qui n’ont pas de terre familiale où se poser de novembre à mars, l’épreuve est très dure à vivre.

«Beaucoup sont sur les routes du matin au soir», déplore Etienne Charpentier. Ils sont alors poussés au mouvement perpétuel, où s’invitent dans des terrains vagues aux conditions de vie déplorables, sans gestion des déchets, sans raccordement à l’eau ni à l’électricité, ou sur des parkings ou des propriétés privées. Il n’est pas rare que des arrêtés d’expulsion les contraignent à quitter leurs lieux d’occupation. En juin dernier, une cinquantaine de gens du voyage durent quitter un terrain privé. En juillet, un groupe dut partir du zoning de Braine. Ces décisions, sans solution de remplacement, les contraignent parfois à vivre dans les interstices de la ville. Un groupe vit encore aujourd’hui sous le Ring, à Anderlecht, non loin du Cora.

Wallonie, no man’s land hivernal

Le Comité national des gens du voyage a écrit, le 15 janvier dernier, à la ministre wallonne en charge de l’action sociale, Alda Greoli. S’ils apprécient le fait que 11 communes aient signé une convention avec la Région pour obtenir des subventions afin d’ouvrir des aires d’accueil temporaires, ils dénoncent les «limites objectives» de ce dispositif.

En cause: la fermeture des terrains pendant l’hiver, «alors que certaines familles voyagent toute l’année». De plus, ils regrettent qu’en saison estivale, les périodes de fermeture entre chaque groupe soient beaucoup trop longues, «ce qui diminue encore le nombre de groupes accueillis».

Ils réclament notamment des ouvertures de terrain pendant l’hiver (quatre mois).

Bruxelles, le vide sidérant

En Belgique, il n’existe aucune obligation légale d’accueillir les gens du voyage (en France, chaque commune de plus de 5.000 habitants doit aménager un terrain d’accueil). «À Bruxelles, c’est le vide sidéral en matière d’accueil», dénonce Ahmed Akim, directeur du CMGV. Une situation pour le moins paradoxale, car Bruxelles-Capitale est la seule région du pays à reconnaître «l’habitat itinérant» comme un logement en tant que tel, depuis 2012. Dans la pratique, Ahmed Akim regrette «qu’aucun arrêté permettant de définir techniquement la notion n’ait été pris pour mettre ce droit en application». La caravane comme logement, permettant une domiciliation, reste un droit très théorique. Nicolas Bernard, professeur à l’Université Saint-Louis, soulignait même dans une note sur «le droit au logement des gens du voyage en Belgique» que «le législateur a pris soin d’exclure les logements de ce type des différentes aides existantes (à l’acquisition, à la location ou la rénovation), tout en les soustrayant aux règles de salubrité classiques».

Bruxelles a compté un terrain aménagé, situé à Haren et appartenant au CPAS de la commune de Bruxelles. Le terrain a été ouvert, puis fermé, à plusieurs reprises ces dernières années. «Le terrain n’était pas vraiment adapté aux besoins des gens du voyage, notamment concernant l’accès à l’eau, et puis le lieu était mal géré», explique Koen Geurts, de l’association Foyer. Les entrées et les sorties n’étaient pas contrôlées, des problèmes de cohabitation entre groupes ont eu lieu. «Lorsqu’on écoute les besoins des gens du voyage, que l’on gère bien un terrain et que l’on est strict dans le contrôle des entrées et sorties, cela peut tout à fait fonctionner. Et puis il faut proposer des terrains de transit et des terrains résidentiels pour l’hiver», ajoute-t-il.

À Haren, l’expérience a tourné court, car les difficultés étaient nombreuses. Patrick Charlier, directeur d’Unia, en liste quelques-unes: «On ne venait pas ramasser les poubelles, ce qui engendrait des problèmes d’insalubrité. De plus, le CPAS a exigé une redevance dont le montant était considérable, ce qui a eu un effet dissuasif.»

Au cabinet de Rudy Vervoort, ministre-président de la Région de Bruxelles-Capitale, on retient plusieurs leçons de cette expérience: «Il faut prévoir un encadrement accru de la commune et du CPAS, avec une médiation. Il faut également prévoir une sécurisation du terrain pour éviter les dégradations de groupes extérieurs et travailler avec les services de Bruxelles Propreté (conteneurs). Il s’agit aussi de prévoir de petites installations. Bruxelles est une commune qui n’a pas baissé les bras et a accepté de réitérer cette expérience d’accueil à Haren.» Sauf qu’aujourd’hui, l’aire est bel et bien fermée.

«L’image du voleur, du trafiquant leur colle toujours à la peau. C’est un groupe très stigmatisé.» Patrick Charlier, Unia.

En effet, les autres communes de la Région montrent encore moins d’allant pour ouvrir des terrains, alors qu’il s’agit de leur compétence. Au sein du cabinet de Céline Fremault, ministre du Logement, on rappelle qu’en 2018 «un appel à projets sollicitait les communes à introduire des projets d’aménagement de terrains pour l’accueil des gens du voyage».

Résultat? Walou. Rien. Nada. Aucune commune n’a saisi la perche régionale. Quelles sont les raisons de ce manque d’engouement? «Cela s’explique sans doute par la méconnaissance de ce type de public et le fait que cela demande la mobilisation de beaucoup de moyens. Et puis la densité urbaine est bien plus élevée à Bruxelles qu’en Flandre ou en Wallonie, les terrains appropriés ne sont pas légion», nous dit-on chez Rudy Vervoort.

Pour Patrick Charlier, on a à faire au phénomène, classique, du «Nimby», «Not in my backyard» (Pas dans mon jardin). Les bourgmestres préfèrent que la commune d’à côté se charge de l’accueil de cette population qui charrie toujours son lot de clichés. «Les gens du voyage sont le groupe qui génère le plus de stéréotypes, dit-il. L’image du voleur, du trafiquant leur colle toujours à la peau. C’est un groupe très stigmatisé.» Et puis, selon Ahmed Akim, les bourgmestres bruxellois, en gardant les bras fermés, contribueraient à «dissuader les gens du voyage de venir. Il existe un fantasme que l’ouverture de terrains d’accueil va attirer tous les gens du voyage du monde. Mais ce n’est pas vérifié dans les villes qui en ouvrent».

Pour le directeur du centre de médiation, il ne suffit pas de pointer la responsabilité des bourgmestres. «La balle est aujourd’hui dans le camp de la Région. Sa mission est d’impulser une politique.» La Région de Bruxelles-Capitale n’ignore pas le sujet. Elle a lancé un appel à projets infructueux, on la dit. Et elle organise depuis 2016 une commission du logement mobile, réunissant les principaux acteurs concernés. «On y discute des mesures à mettre en place pour ouvrir plus de terrains», nous dit-on. Concrètement, cette commission n’a abouti à rien de concret.

Unia, dans son Mémorandum pour les élections de 2019, suggère quelques pistes pour la prochaine majorité. «Soit que la Région aille plus loin et rende contraignante la mise à disposition de terrains, propose Patrick Charlier, soit que la Région endosse ces compétences et crée elle-même des terrains.» Pas sûr que les bourgmestres bruxellois soient ravis de ces propositions…

Riverains, de la méfiance à l’intolérance

L’arrivée de gens du voyage dans les villes et villages de Belgique suscite souvent la méfiance des riverains. Certains font parfois preuve d’une imagination inquiétante pour les faire fuir.

À Landen, en 2014, c’est le bourgmestre qui avait installé une méga-sono de 14.000 watts pour faire déguerpir les gens du voyage à coups de techno assourdissante. À Marcinelle, un élu de la ville avait fait creuser des fossés dans les espaces vides de la commune pour dissuader les caravanes de s’y installer.

Près de Louvain, le Delhaize de Kessel-Lo avait fait creuser un fossé et ériger un talus pour que le terrain vague attenant ne soit pas investi par les gens du voyage. Enfin, c’est bien sûr le «mur anti-gens du voyage» de Mouscron qui avait créé la polémique en 2015.

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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