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Regard critique · Justice sociale

Carte blanche

Gouvernement Michel: chronique des premiers pas

Proposer à des travailleurs sociaux d’interroger des acteurs des politiques publiques, voilà bien une démarche qui ouvre les yeux. Surtout à l’heure où les politiques virent décidément à droite, exposant le social plus qu’il ne l’a été depuis bien longtemps.

©Lucie Castel

Proposer à des travailleurs sociaux d’interroger des acteurs des politiques publiques, voilà bien une démarche qui ouvre les yeux. Surtout à l’heure où les politiques virent décidément à droite, exposant le social plus qu’il ne l’a été depuis bien longtemps.

Anciens collaborateurs d’Alter Échos, nous sommes chargés d’un cours sur les enjeux des politiques publiques en 1er master en ingénierie et action sociales à l’IESSID, la catégorie sociale de la Haute École Paul-Henri Spaak à Bruxelles. Les étudiants sont soit de futurs professionnels du social, soit des assistants sociaux en reprise d’études, ces derniers étant majoritaires. Nous les avons mobilisés dans un exercice d’interview. Alter Échos reprendrait les articles s’ils correspondaient à ses standards: ouf, les voici donc! Du moins sous forme de florilège, la version intégrale étant à découvrir en ligne sur https://www.alterechos.be/media-lab.

Le cours a comme ambition de montrer comment se construit la décision politique. L’actualité chaude de ce début de législature était un élément de curiosité et donc de motivation: autant l’attaquer de front, avec une consigne qui était de dresser la chronique des premiers pas du gouvernement Michel en suivant le déploiement d’une bonne douzaine de mesures de la déclaration gouvernementale encore toute fraîche. L’exercice était risqué: certains dossiers seraient discrètement ajournés, comme les services à la collectivité pour les chômeurs de longue durée. D’autres seraient complexes, comme la réforme des pensions ou la diminution des coûts salariaux.

Mais surtout, avec la force de frappe d’une classe de 50 étudiants, on allait creuser quelques dossiers qui sont jusqu’ici restés sous le radar médiatique, et interroger quelques acteurs qui n’auront jamais accès aux plateaux télé: réforme de l’incapacité de travail, asile et migration, extension des projets d’insertion des CPAS (PIIS) à de nouveaux publics, etc.

Que soient ici très vivement remerciées les personnes qui ont offert leur temps et leurs analyses, elles ne seront pas déçues par le résultat.

Bonne lecture! Edgar Szoc et Thomas Lemaigre

Activation des personnes en incapacité de travail

Une chef d’un cabinet Emploi d’une commune bruxelloise: «Si ces accords ont pour but de précipiter une réinsertion mal préparée ou trop hâtive, cela pourrait tout aussi bien alourdir la facture des soins de santé. À mon sens, envisager plutôt la diminution, même légère, du temps de travail pourrait avoir un impact beaucoup plus important qu’un contrôle non réfléchi. Des mesures bienveillantes pour les travailleurs, oui, l’activation forcée, non!… On est dans un système qui atteint ses limites, il faut repenser le travail de façon globale et systémique.»

Réductions de charges: la Sécu réduit la voilure

Une collaboratrice d’une association représentative des entreprises non marchandes: «Cet argent est destiné à la Sécurité sociale et au financement des secteurs public et non marchand. Cela pourrait donc devenir problématique. Cela équivaudra à des coupes claires. Il y a encore beaucoup d’opacité autour du budget proposé par le gouvernement. On sait qu’il y a d’autres mesures, comme l’augmentation des accises, qui généreraient des recettes supplémentaires, mais, à ce jour, la compensation n’est pas claire. À coup sûr, il y aura des économies qui vont se faire dans le secteur des soins de santé.»

Pensions à 67 ans: absurde

Mateo Alaluf, sociologue: «L’idée de prolonger l’âge de la retraite, d’abord à 66 ans en 2025 et ensuite à 67 en 2030 n’a aucun effet budgétaire par rapport au problème qui se pose aujourd’hui et qu’on prétend vouloir résoudre aujourd’hui. Pourquoi? Simplement parce qu’elle ne sera applicable que dans 11 ans au plus tôt. L’argument qui n’était pas faux auparavant, celui du papy-boom, n’est plus d’actualité aujourd’hui. Cette cohorte de personnes retraitées aujourd’hui et issues du baby-boom n’existera plus en 2025 et en 2030. Toutes ces mesures n’ont pas de sens.»

Jeunes et djihad: à côté de la plaque

L’accord de gouvernement Michel inscrit ses initiatives concernant la radicalisation dans un registre d’actes répressifs, tandis que la prévention est à peine abordée et incomplète. La notion de réintégration n’y est pas même mentionnée. Pourtant, divers acteurs affirment que la répression ne changera pas la situation, mais plutôt, l’aggravera… Olivier Fillieule, sociologue: «Lorsque la répression s’abat sur les militants, les sympathisants, les suspects, on assiste à une extension de la mobilisation ainsi que de la radicalisation.»

CPAS: élargissement des PIIS

Aucun public cible n’est pour l’heure défini. Mais de l’aveu même au SPP Intégration sociale, l’élargissement de cette mesure concernera les personnes les plus éloignées de l’emploi: «Cela n’a aucun sens de faire signer un projet individualisé d’intégration sociale (PIIS) à un bénéficiaire qui se trouve déjà dans une dynamique d’insertion socioprofessionnelle, précise Alexandre Lesiw, directeur général au SPP Intégration sociale. Le PIIS peut devenir un outil porteur pour les personnes en situation de rupture sociale. Ces personnes vivent généralement dans l’isolement. Elles ont besoin d’être mobilisées autour d’un projet qui structurera l’accompagnement qui leur sera dispensé.»

Statut d’artiste: ne pas avancer, c’est reculer

«Il y a des besoins produits par le marché qui sont de plus en plus nombreux, explique Roger Burton, de SMart, mais inversement il y a aussi de plus en plus de gens qui ne veulent plus être seulement soumis à cette loi du marché, qui ont envie de se réapproprier le sens et la valeur du travail, de se trouver un équilibre entre la passion et la nécessité de vivre, et qui peuvent trouver dans nos outils l’occasion d’une réappropriation sur le moyen et le long terme, dans la continuité, malgré des projets et des financements qui sont ponctuels.»

Asile: confusion des rôles

Francken confond son rôle de secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration avec le rôle de secrétaire d’État à la Sécurité du territoire, quand il explique qu’une de ses priorités consiste à «protéger l’ordre public et la sécurité nationale et à s’assurer que les criminels et délinquants qui ne sont pas en séjour légal n’entrent pas en considération pour l’obtention d’un statut de séjour». Pour ce faire, il souhaiterait mandater certains travailleurs de l’Office des étrangers et leur permettre d’avoir accès à la banque de données nationale générale et au casier judiciaire.

Pensions: concertation piège à c…?

Le 7 novembre, le ministre des pensions Bacquelaine (MR) a envoyé une lettre d’urgence aux interlocuteurs sociaux pour réunir le Comité de gestion de l’Office national des pensions (ONP) le 12 novembre. L’objectif annoncé était de discuter sur le bonus de pension et de la réforme des fins de carrière. Malgré le fait que les syndicats souhaitent dialoguer sur le fond de la réforme et non sur des points particuliers, ce 12 novembre, ils s’y sont présentés en front commun. Mais le 7 novembre, le jour même où la convocation a été envoyée se tenait un conseil des ministres où ces deux points ont déjà été approuvés en première lecture. Se pose alors la question de la motivation réelle de cette concertation d’urgence?

Thomas Lemaigre

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